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– Certaine.

– Vous l’avez bien vu, bien reconnu?…

– Ah! permettez… je ne l’ai pas dévisagé. Il a passé très vite, en tâchant de se cacher, comme un brigand qu’il est, et le corridor est mal éclairé…

Je bondis, à cette réponse d’une incalculable portée, et m’avançant vers la concierge:

– S’il en est ainsi, m’écriai-je, comment osez-vous affirmer que vous avez reconnu monsieur Monistrol?

Elle me toisa, et avec un sourire ironique:

– Si je n’ai pas vu la figure du maître, répondit-elle, j’ai vu le museau du chien… Comme je le caresse toujours, il est entré dans ma loge, et j’allais lui donner un os de gigot quand son maître l’a sifflé.

Je regardais monsieur Méchinet, anxieux de savoir ce qu’il pensait de ces réponses, mais son visage gardait fidèlement le secret de ses impressions.

Il ajouta seulement:

– De quelle race est le chien de monsieur Monistrol?

– C’est un loulou, comme les conducteurs en avaient autrefois, tout noir, avec une tache blanche au-dessus de l’oreille; on l’appelle Pluton.

Monsieur Méchinet se leva.

– Vous pouvez vous retirer, dit-il à la portière, je suis fixé.

Et, quand elle fut sortie:

– Il me paraît impossible, fit-il, que le neveu ne soit pas le coupable.

Cependant, les médecins étaient arrivés pendant ce long interrogatoire et, quand ils eurent achevé l’autopsie, leur conclusion fut:

– La mort du sieur Pigoreau a certainement été instantanée. Donc, ce n’est pas lui qui a tracé ces cinq lettres: Monis que nous avons vues sur le parquet, près du cadavre…

Ainsi, je ne m’étais pas trompé.

– Mais si ce n’est pas lui, s’écria monsieur Méchinet, qui donc est-ce?… Monistrol… Voilà ce qu’on ne me fera jamais entrer dans la cervelle.

Et comme le commissaire, ravi de pouvoir enfin aller dîner, le raillait de ses perplexités; perplexités ridicules, puisque Monistrol avait avoué:

– Peut-être en effet ne suis-je qu’un imbécile, dit-il, c’est ce que l’avenir décidera… Et en attendant, venez, mon cher monsieur Godeuil, venez avec moi à la préfecture…

VI

De même que pour venir aux Batignolles, nous prîmes un fiacre pour nous rendre à la préfecture de police.

La préoccupation de monsieur Méchinet était grande: ses doigts ne cessaient de voyager de sa tabatière vide à son nez, et je l’entendais grommeler entre ses dents:

– J’en aurai le cœur net! Il faut que j’en aie le cœur net.

Puis il sortait de sa poche le bouchon que je lui avais remis, il le tournait et le retournait avec des mines de singe épluchant une noix et murmurait:

– C’est une pièce à conviction, cependant… il doit y avoir un parti à tirer de cette cire verte…

Moi, enfoncé dans mon coin, je ne soufflais mot.

Assurément ma situation était des plus bizarres, mais je n’y songeais pas. Tout ce que j’avais d’intelligence était absorbé par cette affaire; j’en ruminais dans mon esprit les éléments divers et contradictoires, et je m’épuisais à pénétrer le secret du drame que je pressentais.

Lorsque notre voiture s’arrêta, il faisait nuit noire.

Le quai des Orfèvres était désert et silencieux: pas un bruit, pas un passant. Les rares boutiques des environs étaient fermées. Toute la vie du quartier s’était réfugiée dans le petit restaurant qui fait presque le coin de la rue de Jérusalem, et sur les rideaux rouges de la devanture se dessinait l’ombre des consommateurs.

– Vous laissera-t-on arriver jusqu’au prévenu? demandai-je à monsieur Méchinet.

– Assurément, me répondit-il. Ne suis-je pas chargé de suivre l’affaire… Ne faut-il pas que selon les nécessités imprévues de l’enquête, je puisse, à toute heure de jour et de nuit, interroger le détenu!…

Et d’un pas rapide, il s’engagea sous la voûte, en me disant:

– Arrivez, arrivez, nous n’avons pas de temps à perdre.

Il n’était pas besoin qu’il m’encourageât. J’allais à sa suite, agité d’indéfinissables émotions et tout frémissant d’une vague curiosité.

C’était la première fois que je franchissais le seuil de la préfecture de police, et Dieu sait quels étaient alors mes préjugés.

– Là, me disais-je, non sans un certain effroi, là est le secret de Paris…

J’étais si bien abîmé dans mes réflexions, qu’oubliant de regarder à mes pieds, je faillis tomber. Le choc me ramena au sentiment de la situation. Nous longions alors un immense couloir aux murs humides et au pavé raboteux. Bientôt mon compagnon entra dans une petite pièce où deux hommes jouaient aux cartes pendant que trois ou quatre autres fumaient leur pipe, étendus sur un lit de camp. Il échangea avec eux quelques paroles qui n’arrivèrent pas jusqu’à moi qui restais dehors, puis il ressortit et nous nous remîmes en marche.

Ayant traversé une cour et nous étant engagés dans un second couloir, nous ne tardâmes pas à arriver devant une grille de fer à pesants verrous et à serrure formidable.

Sur un mot de monsieur Méchinet, un surveillant nous l’ouvrit, cette grille; nous laissâmes à droite une vaste salle où il me sembla voir des sergents de ville et des gardes de Paris, et enfin, nous gravîmes un escalier assez roide.

Au haut de cet escalier, à l’entrée d’un étroit corridor percé de quantité de petites portes, était assis un gros homme à face joviale, qui certes n’avait rien du classique geôlier.

Dès qu’il aperçut mon compagnon:

– Eh! c’est monsieur Méchinet! s’écria-t-il… Ma foi! je vous attendais… Gageons que vous venez pour l’assassin du petit vieux des Batignolles.

– Précisément. Y a-t-il du nouveau?

– Non.

– Cependant le juge d’instruction doit être venu.

– Il sort d’ici.

– Eh bien?…

– Il n’est pas resté trois minutes avec l’accusé, et en le quittant il avait l’air très satisfait. Au bas de l’escalier, il a rencontré monsieur le directeur, et il lui a dit: «C’est une affaire dans le sac; l’assassin n’a même pas essayé de nier…»

Monsieur Méchinet eut un bond de trois pieds, mais le gardien ne le remarqua pas, car il reprit:

– Du reste, ça ne m’a pas surpris… Rien qu’en voyant le particulier, quand on me l’a amené, j’ai dit: «En voilà un qui ne saura pas se tenir.»

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