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Elle fut interrompue par un grognement sourd, qui partait d’un des angles de l’arrière-boutique.

Je regardai, et j’aperçus un chien noir, les poils hérissés et les yeux injectés de sang, qui nous montrait les dents prêt à sauter sur nous…

– Taisez-vous, Pluton! fit madame Monistrol; allons, allez vous coucher, ces messieurs ne me veulent pas de mal.

Lentement, et sans cesser de nous fixer d’un regard furieux, le chien se réfugia sous le lit.

– Vous avez raison de dire que nous ne vous voulons pas de mal, madame, reprit monsieur Méchinet, nous ne sommes pas venus pour vous arrêter…

Si elle entendit, il n’y parut guère.

– Déjà ce matin, poursuivit-elle, j’ai reçu ce papier que je tiens, et qui me commande de me rendre ce tantôt, à trois heures, au Palais de Justice, dans le cabinet du juge d’instruction… Que veut-on de moi, mon Dieu!… que veut-on de moi?…

– Obtenir des éclaircissements qui démontreront, je l’espère, l’innocence de votre mari… Ainsi, madame, ne me considérez pas comme un ennemi… ce que je veux, c’est faire éclater la vérité…

Il arbora sa tabatière, y fourra précipitamment les doigts, et d’un ton solennel, que je ne lui connaissais pas:

– C’est vous dire, madame, reprit-il, de quelle importance seront vos réponses aux questions que je vais avoir l’honneur de vous adresser… Vous convient-il de me répondre franchement?

Elle arrêta longtemps ses grands yeux bleus noyés de larmes sur mon digne voisin, et d’un ton de douloureuse résignation:

– Questionnez-moi, monsieur, dit-elle.

Pour la troisième fois, je le répète, j’étais absolument inexpérimenté. Et cependant, je souffrais de la façon dont monsieur Méchinet avait entamé cet interrogatoire.

Il trahissait, me paraissait-il, ses perplexités, et au lieu de poursuivre un but arrêté d’avance, portait ses coups au hasard.

Ah! si on m’eût laissé faire:… Ah! si j’avais osé!…

Lui, impénétrable, s’était assis en face de madame Monistrol.

– Vous devez savoir, madame, commença-t-il, que c’est avant-hier soir, sur les onze heures, qu’a été assassiné le sieur Pigoreau, dit Anténor, l’oncle de votre mari…

– Hélas!…

– Où était à cette heure-là monsieur Monistrol?

– Mon Dieu!… c’est une fatalité.

Monsieur Méchinet ne sourcilla pas.

– Je vous demande, madame, insista-t-il, où votre mari a passé la soirée d’avant-hier.

Il fallut à la jeune femme du temps pour répondre, parce que les sanglots semblaient l’étouffer. Enfin, se maîtrisant:

– Avant-hier, gémit-elle, mon mari a passé la soirée hors de la maison.

– Savez-vous où il était?

– Oh! pour cela oui… Un de nos ouvriers, qui habite Montrouge, avait à nous livrer une parure de perles fausses et ne la livrait pas… Nous risquions de garder la commande pour compte, ce qui eût été un désastre, car nous ne sommes pas riches… C’est pourquoi, en dînant, mon mari me dit: «Je vais aller jusque chez ce gaillard-là!…» Et, en effet, sur les neuf heures, il est sorti, et même je suis allée le conduire jusqu’à l’omnibus, où il est monté devant moi, rue Richelieu…

Je respirai plus librement… Ce pouvait être un alibi, après tout.

Monsieur Méchinet eut la même pensée, et plus doucement:

– S’il en est ainsi, reprit-il, votre ouvrier pourra affirmer qu’il a vu monsieur Monistrol chez lui à onze heures…

– Hélas! non…

– Comment!… Pourquoi?…

– Parce qu’il était sorti… Mon mari ne l’a pas vu.

– En effet, c’est une fatalité… Mais il se peut que la concierge ait remarqué monsieur Monistrol…

– Notre ouvrier demeure dans une maison où il n’y a pas de concierge.

Ce pouvait être la vérité… C’était à coup sûr une terrible charge contre le malheureux prévenu.

– Et à quelle heure est rentré votre mari? continua monsieur Méchinet.

– Un peu après minuit.

– Vous n’avez pas trouvé qu’il était bien longtemps absent?

– Oh! si… et même je lui en ai fait des reproches… Il m’a répondu pour s’excuser, qu’il avait pris par le plus long, qu’il avait flâné en chemin et qu’il s’était arrêté à un café pour boire un verre de bière…

– Quelle physionomie avait-il, en rentrant?

– Il m’a paru contrarié, mais c’était bien naturel…

– Quels vêtements avait-il?

– Ceux qu’il portait quand on l’a arrêté.

– Vous n’avez rien observé en lui d’extraordinaire?

– Rien.

X

Debout, un peu en arrière de monsieur Méchinet, je pouvais à mon loisir observer le visage de madame Monistrol et y surprendre les plus fugitives manifestations de ses impressions.

Elle paraissait accablée d’une douleur immense, de grosses larmes roulaient le long de ses joues pâlies, et cependant il me semblait par moments découvrir au fond de ses grands yeux bleus, comme un éclair de joie.

– Serait-elle donc coupable!… pensais-je.

Et cette idée qui déjà m’était venue, se représentant plus obstinément à mon esprit, je m’avançai vivement, et d’un ton brusque:

– Mais vous, madame, demandai-je, vous, où étiez-vous, pendant cette soirée fatale, à l’heure où votre mari courait inutilement à Montrouge, à la recherche de son ouvrier?…

Elle arrêta sur moi un long regard plein de stupeur, et doucement:

– J’étais ici, monsieur, répondit-elle; des témoins vous l’affirmeront.

– Des témoins!…

– Oui, monsieur… Il faisait si chaud, ce soir-là, que j’eus envie de prendre une glace… mais la prendre seule m’ennuyait. J’envoyai donc ma bonne inviter deux de mes voisines, madame Dorstrich, la femme du bottier dont le magasin touche le nôtre, et madame Rivaille, la gantière d’en face… Ces deux dames acceptèrent mon invitation, et elles sont restées ici jusqu’à onze heures et demie… Interrogez-les, elles vous le diront… Au milieu des épreuves si cruelles que je subis, cette circonstance fortuite est une faveur du bon Dieu…

Était-ce bien une circonstance fortuite?…

Voilà ce que d’un coup d’œil plus rapide que l’éclair, nous nous demandâmes, monsieur Méchinet et moi.

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