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– Je ne sais pas, balbutia-t-elle, je ne me rappelle pas…

– Peut-être avait-il suivi votre mari…

– En effet, oui, il me semble maintenant me le rappeler…

– C’est donc qu’il est dressé à suivre les voitures, car vous nous avez dit avoir conduit votre mari jusqu’à l’omnibus!

Elle se taisait, et j’allais poursuivre, quand monsieur Méchinet m’interrompit. Bien loin de profiter du trouble de la jeune femme, il parut prendre à tâche de la rassurer, et après lui avoir bien recommandé d’obéir à la citation du juge d’instruction, il m’entraîna.

Puis, quand nous fûmes dehors:

– Perdez-vous donc la tête? me dit-il.

Le reproche me blessa.

– Est-ce donc perdre la tête, fis-je, que de trouver la solution du problème?… Or, je l’ai, cette solution… Le chien de Monistrol nous guidera jusqu’à la vérité.

Ma vivacité fit sourire mon digne voisin, et d’un ton paternel:

– Vous avez raison, me dit-il, et je vous ai bien compris… Seulement, si madame Monistrol a pénétré vos soupçons, avant ce soir, le chien sera mort ou aura disparu.

XI

J’avais commis une imprudence énorme, c’est vrai…

Je n’en avais pas moins trouvé le défaut de la cuirasse, ce joint par où on désarticule le plus solide système de défense.

Moi, conscrit volontaire, j’avais vu clair là où le vieux routier de la sûreté s’égarait à tâtons.

Un autre peut-être eût été jaloux et m’en eût voulu. Lui, non.

Il ne songeait qu’à tirer parti de mon heureuse découverte, et comme il le disait, ce ne devait pas être la mer à boire, maintenant que la prévention s’appuyait sur un point de départ positif.

Nous entrâmes donc dans un restaurant voisin pour tenir conseil tout en déjeunant.

Et voici où en était le problème, qui, l’heure d’avant, semblait insoluble.

Il nous était prouvé jusqu’à l’évidence que Monistrol était innocent. Pourquoi il s’était avoué coupable? nous pensions bien le deviner, mais la question n’était pas là pour le moment.

Nous étions également sûrs que madame Monistrol n’avait pas bougé de chez elle le soir du meurtre… Mais tout démontrait qu’elle était moralement complice du crime, qu’elle en avait eu connaissance, si même elle ne l’avait conseillé et préparé, et que par contre elle connaissait très bien l’assassin…

Qui était-il donc, cet assassin?…

Un homme à qui le chien de Monistrol obéissait comme à ses maîtres, puisqu’il s’en était fait suivre en allant aux Batignolles…

Donc, c’était un familier de la maison Monistrol.

Il devait haïr le mari, cependant, puisqu’il avait tout combiné avec une infernale adresse pour que le soupçon du crime retombât sur cet infortuné.

Il fallait, d’un autre côté, qu’il fût bien cher à la femme, puisque le connaissant elle ne le livrait pas, lui sacrifiant sans hésiter son mari…

Donc…

Oh! mon Dieu! la conclusion était toute formulée. L’assassin ne pouvait être qu’un misérable hypocrite, qui avait abusé de l’affection et de la confiance du mari pour s’emparer de la femme.

Bref, madame Monistrol, mentant à sa réputation, avait certainement un amant, et cet amant, nécessairement était le coupable…

Tout plein de cette certitude, je me mettais l’esprit à la torture pour imaginer quelque ruse infaillible qui nous conduisît jusqu’à ce misérable.

– Et voici, disais-je, à monsieur Méchinet, comment nous devons, je pense, opérer… Madame Monistrol et l’assassin ont dû convenir qu’après le crime ils resteraient un certain temps sans se voir; c’est de la prudence la plus élémentaire… Mais croyez que l’impatience ne tardera pas à gagner la femme, et qu’elle voudra revoir son complice… Placez donc près d’elle un observateur qui la suivra partout, et avant deux fois quarante-huit heures l’affaire est dans le sac…

Acharné après sa tabatière vide, monsieur Méchinet demeura un moment sans répondre, mâchonnant entre ses dents je ne sais quelles paroles inintelligibles.

Puis tout à coup, se penchant vers moi:

– Vous n’y êtes pas, me dit-il. Le génie de la profession, vous l’avez, c’est sûr, je ne vous le conteste pas, mais la pratique vous fait défaut… Je suis là, moi, par bonheur… Quoi! une phrase à propos du crime vous met sur la piste, et vous ne poursuivez pas…

– Comment cela?

– Il faut l’utiliser, ce caniche fidèle.

– Je ne saisis pas bien…

– Alors sachez attendre… Madame Monistrol sortira vers deux heures, pour être à trois au Palais de Justice, la petite bonne sera seule à la boutique… vous verrez, je ne vous dis que cela!…

Et en effet, j’eus beau insister, il ne voulut rien dire de plus, se vengeant de sa défaite par cette bien innocente malice. Bon gré mal gré, je dus le suivre au café le plus proche, où il me força de jouer aux dominos.

Je jouais mal, préoccupé comme je l’étais, et il en abusait sans vergogne pour me battre, lorsque la pendule sonna deux heures.

– Debout, les hommes du poste! me dit-il en abandonnant ses dés.

Il paya, nous sortîmes, et l’instant d’après nous étions de nouveau en faction sous la porte cochère, d’où nous avions étudié les abords du magasin Monistrol.

Nous n’y étions pas depuis dix minutes, quand madame Monistrol apparut sur le seuil de sa boutique, vêtue de noir, avec un grand voile de crêpe, comme une veuve.

– Jolie toilette d’instruction! grommela monsieur Méchinet.

Elle adressa quelques recommandations à sa petite domestique et ne tarda pas à s’éloigner.

Patiemment, mon compagnon attendit cinq grandes minutes, et quand il supposa la jeune femme déjà loin:

– Il est temps, me dit-il.

Et pour la seconde fois nous pénétrâmes dans le magasin de bijouterie.

La petite bonne y était seule, assise dans le comptoir, grignotant pour se distraire quelque morceau de sucre volé à sa patronne.

Dès que nous parûmes, elle nous reconnut, et toute rouge et un peu effrayée, elle se dressa.

Mais sans lui laisser le temps d’ouvrir la bouche:

– Où est madame Monistrol? demanda monsieur Méchinet.

– Sortie, monsieur.

– Vous me trompez… Elle est là, dans l’arrière-boutique.

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