– Messieurs, je vous jure que non… Regardez-y, plutôt.
C’est de l’air le plus contrarié que monsieur Méchinet se frappait le front, en répétant:
– Comme c’est désagréable, mon Dieu!… comme cette pauvre madame Monistrol va être désolée…
Et la petite bonne le regardant bouche béante, l’œil arrondi d’étonnement:
– Mais au fait, continua-t-il, vous, ma jolie fille, vous pouvez peut-être remplacer votre patronne… Si je reviens, c’est que j’ai perdu l’adresse du monsieur qu’elle m’avait prié de visiter…
– Quel monsieur?…
– Vous savez bien, monsieur… Allons, bon, voici que j’oublie son nom, maintenant!… Monsieur… parbleu! vous ne connaissez que lui… Ce monsieur à qui votre diable de chien obéit si bien…
– Ah! monsieur Victor…
– C’est cela, juste… Que fait-il ce monsieur?
– Il est ouvrier bijoutier… C’est un grand ami de monsieur… Ils travaillaient ensemble, quand monsieur était ouvrier bijoutier avant d’être patron, et c’est même pour cela qu’il fait tout ce qu’il veut de Pluton…
– Alors, vous pouvez me dire où il demeure ce monsieur Victor…
– Certainement. Il demeure rue du Roi-Doré, numéro 23.
Elle paraissait toute heureuse, la pauvre fille, d’être si bien informée, et moi, je souffrais, de l’entendre ainsi dénoncer, sans s’en douter, sa patronne…
Plus endurci, monsieur Méchinet n’avait pas de ces délicatesses.
Et même, nos renseignements obtenus, c’est par une triste raillerie qu’il termina la scène…
Au moment où j’ouvrais la porte pour nous retirer:
– Merci, dit-il à la jeune fille, merci! Vous venez de rendre un fier service à madame Monistrol, et elle sera bien contente…
XII
Aussitôt sur le trottoir, je n’eus plus qu’une idée.
Ajuster nos flûtes et courir rue du Roi-Doré, arrêter ce Victor, le vrai coupable, bien évidemment.
Un mot de monsieur Méchinet tomba comme une douche sur mon enthousiasme.
– Et la justice! me dit-il. Sans un mandat du juge d’instruction, je ne puis rien… C’est au Palais de Justice qu’il faut courir…
– Mais nous y rencontrerons madame Monistrol, et si elle nous voit, elle fera prévenir son complice…
– Soit, répondit monsieur Méchinet, avec une amertume mal déguisée, soit!… le coupable s’évadera et la forme sera sauvée… Cependant, je pourrai prévenir ce danger. Marchons, marchons plus vite.
Et de fait, l’espoir du succès lui donnait des jambes de cerf. Arrivé au Palais, il gravit quatre à quatre le raide escalier qui conduit à la galerie des juges d’instruction, et, s’adressant au chef des huissiers, il lui demanda si le magistrat chargé de l’affaire du petit vieux des Batignolles était dans son cabinet.
– Il y est, répondit l’huissier, avec un témoin, une jeune dame en noir.
– C’est bien elle! me dit mon compagnon.
Puis à l’huissier:
– Vous me connaissez, poursuivit-il… Vite, donnez-moi de quoi écrire au juge un petit mot que vous lui porterez.
L’huissier partit avec le billet, traînant ses chausses sur le carreau poussiéreux, et ne tarda pas à revenir nous annoncer que le juge nous attendait au n° 9.
Pour recevoir monsieur Méchinet, le magistrat avait laissé madame Monistrol dans son cabinet, sous la garde de son greffier, et avait emprunté la pièce d’un de ses confrères.
– Qu’y a-t-il? demanda-t-il d’un ton qui me permit de mesurer l’abîme qui sépare un juge d’un pauvre agent de la sûreté.
Brièvement et clairement, monsieur Méchinet exposa nos démarches, leurs résultats et nos espérances.
Faut-il le dire, le magistrat ne sembla guère partager nos convictions.
– Mais puisque Monistrol avoue!… répétait-il avec une obstination qui m’exaspérait.
Cependant, après bien des explications:
– Je vais toujours signer un mandat, dit-il.
En possession de cette pièce indispensable, monsieur Méchinet s’envola si lestement que je faillis tomber en me précipitant à sa suite dans les escaliers… Un cheval de fiacre ne nous eût pas suivis…
Je ne sais pas si nous mîmes un quart d’heure à nous rendre rue du Roi-Doré.
Mais une fois là:
– Attention! me dit monsieur Méchinet.
Et c’est de l’air le plus posé qu’il s’engagea dans l’allée étroite de la maison qui porte le numéro 23.
– Monsieur Victor? demanda-t-il au concierge.
– Au quatrième, la porte à droite dans le corridor.
– Est-il chez lui?
– Oui.
Monsieur Méchinet fit un pas vers l’escalier, puis semblant se raviser:
– Il faut que je le régale d’une bonne bouteille, ce brave Victor, dit-il au portier… Chez quel marchand de vin va-t-il, par ici?…
– Chez celui d’en face.
Nous y fûmes d’un saut, et d’un ton d’habitué monsieur Méchinet commanda:
– Une bouteille, s’il vous plaît, et du bon… du cachet vert.
Ah! par ma foi! cette idée ne me fût pas venue, en ce temps-là! Elle était bien simple, pourtant.
La bouteille nous ayant été apportée, mon compagnon exhiba le bouchon trouvé chez le sieur Pigoreau, dit Anténor, et il nous fut aisé de constater l’identité de la cire.
À notre certitude morale, se joignait désormais une certitude matérielle, et c’est d’un doigt assuré que monsieur Méchinet frappa à la porte de Victor.
– Entrez! nous cria une voix bien timbrée.
La clef était sur la porte, nous entrâmes, et dans une chambre fort propre, j’aperçus un homme d’une trentaine d’années, fluet, pâle et blond, qui travaillait devant un établi. Notre présence ne parut pas le troubler.
– Que voulez-vous? demanda-t-il poliment.
Monsieur Méchinet s’avança jusqu’à lui, et le saisissant par le bras:
– Au nom de la loi, dit-il, je t’arrête!
L’homme devint livide, mais ne baissa pas les yeux.
– Vous moquez-vous de moi?… dit-il d’un air insolent. Qu’est-ce que j’ai fait?…
Monsieur Méchinet haussa les épaules.