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– Ne fais donc pas l’enfant! répondit-il, ton compte est réglé… On t’a vu sortir de chez le père Anténor, et j’ai dans ma poche le bouchon dont tu t’es servi pour empêcher ton poignard de s’épointer…

Ce fut comme un coup de poing sur la nuque du misérable… Il s’écrasa sur sa chaise en bégayant:

– Je suis innocent…

– Tu diras cela au juge, fit bonnement monsieur Méchinet, mais je crains bien qu’il ne te croie pas… Ta complice, la femme Monistrol, a tout avoué…

Comme s’il eût été mû par un ressort, Victor se redressa.

– C’est impossible!… s’écria-t-il. Elle n’a rien su…

– Alors tu as fait le coup tout seul?… Très bien!… C’est toujours autant de confessé.

Puis s’adressant à moi en homme sûr de son fait:

– Cherchez donc dans les tiroirs, cher monsieur Godeuil, poursuivit monsieur Méchinet, vous y trouverez probablement le poignard de ce joli garçon, et très certainement les lettres d’amour et le portrait de sa dulcinée.

Un éclair de fureur brilla dans l’œil de l’assassin et ses dents grincèrent, mais la puissante carrure et la poigne de fer de monsieur Méchinet éteignirent en lui toute velléité de résistance.

Je trouvai d’ailleurs dans un tiroir de la commode tout ce que mon compagnon m’avait annoncé.

Et vingt minutes plus tard, Victor, «proprement emballé» – c’est l’expression – dans un fiacre, entre monsieur Méchinet et moi, roulait vers la préfecture de police.

– Quoi, me disais-je, stupéfié de la simplicité de la scène, l’arrestation d’un assassin, d’un homme promis à l’échafaud, ce n’est que cela!…

Je devais plus tard apprendre à mes dépens qu’il est des criminels plus terribles…

Celui-ci, dès qu’il se vit dans la cellule du dépôt, se sentant perdu, s’abandonna et nous dit son crime par le menu.

Il connaissait, nous déclara-t-il, de longue date le père Pigoreau et en était connu. Son but, en l’assassinant, était surtout de faire retomber sur Monistrol le châtiment du crime. Voilà pourquoi il s’était habillé comme Monistrol et s’était fait suivre de Pluton. Et une fois le vieillard assassiné, il avait eu l’horrible courage de tremper dans le sang le doigt du cadavre pour tracer ces cinq lettres: Monis, qui avaient failli perdre un innocent.

– Et c’était joliment combiné, allez, nous disait-il avec une cynique forfanterie… Si j’avais réussi, je faisais d’une pierre deux coups: je me débarrassais de mon ami Monistrol que je hais et dont je suis jaloux, et j’enrichissais la femme que j’aime…

C’était simple et terrible, en effet.

– Malheureusement, mon garçon, objecta monsieur Méchinet, tu as perdu la tête au dernier moment… Que veux-tu! on n’est jamais complet!… Et c’est la main gauche du cadavre que tu as trempée dans le sang…

D’un bond, Victor se dressa.

– Quoi! s’écria-t-il, c’est là ce qui m’a perdu!…

– Juste!

Du geste du génie méconnu, le misérable leva le bras vers le ciel.

– Soyez donc artiste! s’écria-t-il.

Et nous toisant d’un air de pitié, il ajouta:

– Le père Pigoreau était gaucher!

Ainsi, c’est à une faute de l’enquête qu’était due la découverte si prompte du coupable.

Cette leçon ne devait pas être perdue pour moi. Je me la rappelai, par bonheur, dans des circonstances bien autrement dramatiques, que je dirai plus tard.

Le lendemain, Monistrol fut mis en liberté.

Et comme le juge d’instruction lui reprochait ses aveux mensongers qui avaient exposé la justice à une erreur terrible, il n’en put tirer que ceci:

– J’aime ma femme, je voulais me sacrifier pour elle, je la croyais coupable…

L’était-elle, coupable? Je le jurerais.

On l’arrêta, mais elle fut acquittée par le jugement qui condamna Victor aux travaux forcés à perpétuité.

Monsieur et madame Monistrol tiennent aujourd’hui un débit de vins mal famé sur le cours de Vincennes… L’héritage de leur oncle est loin; ils sont dans une affreuse misère.

(1876)

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