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Je regardai les derniers rayons couronner le pic et les ombres monter peu à peu sur ses rampes.

En ce moment, le capitaine Nemo, appuyant sa main sur mon épaule, me dit:

«Monsieur, en 1600, le Hollandais Ghéritk, entraîné par les courants et les tempêtes, atteignit 64° de latitude sud et découvrit les New-Shetland. En 1773, le 17 janvier, l’illustre Cook, suivant le trente-huitième méridien, arriva par 67°30’de latitude. et en 1774, le 30 janvier, sur le cent-neuvième méridien, il atteignit 71°15’de latitude. En 1819, le Russe Bellinghausen se trouva sur le soixante-neuvième parallèle, et en 1821, sur le soixante-sixième par 111° de longitude ouest. En 1820, l’Anglais Brunsfield fut arrêté sur le soixante-cinquième degré. La même année, l’Américain Morrel, dont les récits sont douteux, remontant sur le quarante-deuxième méridien, découvrait la mer libre par 70°14’de latitude. En 1825, l’Anglais Powell ne pouvait dépasser le soixante-deuxième degré. La même année, un simple pêcheur de phoques, l’Anglais Weddel s’élevait jusqu’à 72°14’de latitude sur le trente-cinquième méridien, et jusqu’à 74°15’sur le trente-sixième. En 1829, l’Anglais Forster, commandant le Chanticleer, prenait possession du continent antarctique par 63°26’de latitude et 66°26’de longitude. En 1831, l’Anglais Biscoë, le ler février, découvrait la terre d’Enderby par 68°50’de latitude, en 1832, le 5 février, la terre d’Adélaïde par 67° de latitude. et le 21 février, la terre de Graham par 64°45’de latitude. En 1838, le Français Dumont d’Urville, arrêté devant la banquise par 62°57’de latitude, relevait la terre Louis-Philippe; deux ans plus tard, dans une nouvelle pointe au sud, il nommait par 66°30’, le 21 janvier, la terre Adélie, et huit jours après, par 64°40’, la côte Clarie. En 1838, l’Anglais Wilkes s’avançait jusqu’au soixante-neuvième parallèle sur le centième méridien. En 1839, l’Anglais Balleny découvrait la terre Sabrina, sur la limite du cercle polaire. Enfin, en 1842, l’Anglais James Ross, montant l’Érébus et le Terror, le 12 janvier, par 76°56’de latitude et 171°7’de longitude est, trouvait la terre Victoria; le 23 du même mois, il relevait le soixante-quatorzième parallèle, le plus haut point atteint jusqu’alors; le 27, il était par 76°8’, le 28, par 77°32’, le 2 février, par 78°4’, et en 1842, il revenait au soixante-onzième degré qu’il ne put dépasser. Eh bien, moi, capitaine Nemo, ce 21 mars 1868, j’ai atteint le pôle sud sur le quatre-vingt-dixième degré, et je prends possession de cette partie du globe égale au sixième des continents reconnus.

– Au nom de qui, capitaine?

– Au mien, monsieur!»

Et ce disant, le capitaine Nemo déploya un pavillon noir, portant un N d’or écartelé sur son étamine. Puis, se retournant vers l’astre du jour dont les derniers rayons léchaient l’horizon de la mer:

«Adieu, soleil! s’écria-t-il. Disparais, astre radieux! Couche-toi sous cette mer libre. et laisse une nuit de six mois étendre ses ombres sur mon nouveau domaine!»

XV ACCIDENT OU INCIDENT?

Le lendemain, 22 mars, à six heures du matin, les préparatifs de départ furent commencés. Les dernières lueurs du crépuscule se fondaient dans la nuit. Le froid était vif. Les constellations resplendissaient avec une surprenante intensité. Au zénith brillait cette admirable Croix du Sud, l’étoile polaire des régions antarctiques.

Le thermomètre marquait douze degrés au-dessous de zéro, et quand le vent fraîchissait, il causait de piquantes morsures. Les glaçons se multipliaient sur l’eau libre. La mer tendait à se prendre partout. De nombreuses plaques noirâtres, étalées à sa surface, annonçaient la prochaine formation de la jeune glace. Évidemment, le bassin austral, gelé pendant les six mois de l’hiver, était absolument inaccessible. Que devenaient les baleines pendant cette période? Sans doute, elles allaient par-dessous la banquise chercher des mers plus praticables. Pour les phoques et les morses, habitués à vivre sous les plus durs climats, ils restaient sur ces parages glacés. Ces animaux ont l’instinct de creuser des trous dans les ice-fields et de les maintenir toujours ouverts. C’est à ces trous qu’ils viennent respirer; quand les oiseaux, chassés par le froid, ont émigré vers le nord, ces mammifères marins demeurent les seuls maîtres du continent polaire.

Cependant, les réservoirs d’eau s’étaient remplis, et le Nautilus descendait lentement. A une profondeur de mille pieds, il s’arrêta. Son hélice battit les flots, et il s’avança droit au nord avec une vitesse de quinze milles à l’heure. Vers le soir, il flottait déjà sous l’immense carapace glacée de la banquise.

Les panneaux du salon avaient été fermés par prudence, car la coque du Nautilus pouvait se heurter à quelque bloc immergé. Aussi, je passai cette journée à mettre mes notes au net. Mon esprit était tout entier à ses souvenirs du pôle. Nous avions atteint ce point inaccessible sans fatigues, sans danger, comme si notre wagon flottant eût glissé sur les rails d’un chemin de fer. Et maintenant, le retour commençait véritablement. Me réserverait-il encore de pareilles surprises? Je le pensais, tant la série des merveilles sous-marines est inépuisable! Cependant, depuis cinq mois et demi que le hasard nous avait jetés à ce bord, nous avions franchi quatorze mille lieues, et sur ce parcours plus étendu que l’Équateur terrestre, combien d’incidents ou curieux ou terribles avaient charmé notre voyage: la chasse dans les forêts de Crespo, l’échouement du détroit de Torrès, le cimetière de corail, les pêcheries de Ceylan, le tunnel arabique, les feux de Santorin, les millions de la baie du Vigo, l’Atlantide, le pôle sud! Pendant la nuit, tous ces souvenirs, passant de rêve en rêve, ne laissèrent pas mon cerveau sommeiller un instant.

A trois heures du matin, je fus réveillé par un choc violent. Je m’étais redressé sur mon lit et j’écoutais au milieu de l’obscurité, quand je fus précipité brusquement au milieu de la chambre. Évidemment, le Nautilus donnait une bande considérable après avoir touché.

Je m’accotai aux parois et je me traînai par les coursives jusqu’au salon qu’éclairait le plafond lumineux. Les meubles étaient renversés. Heureusement, les vitrines, solidement saisies par le pied, avaient tenu bon. Les tableaux de tribord, sous le déplacement de la verticale se collaient aux tapisseries, tandis que ceux de bâbord s’en écartaient d’un pied par leur bordure inférieure. Le Nautilus était donc couché sur tribord, et, de plus, complètement immobile,

A l’intérieur j’entendais un bruit de pas, des voix confuses. Mais le capitaine Nemo ne parut pas. Au moment où j’allais quitter le salon, Ned Land et Conseil entrèrent.

«Qu’y a-t-il? leur dis-je aussitôt.

– Je venais le demander à monsieur, répondit Conseil.

– Mille diables! s’écria le Canadien, je le sais bien moi! Le Nautilusa touché, et à en juger par la gîte qu’il donne, je ne crois pas qu’il s’en tire comme la première fois dans le détroit de Torrès.

– Mais au moins, demandai-je, est-il revenu à la surface de la mer?

– Nous l’ignorons, répondit Conseil.

– Il est facile de s’en assurer», répondis-je.

Je consultai le manomètre. A ma grande surprise, il indiquait une profondeur de trois cent soixante mètres.

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