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Et l'homme, tout à coup, se redressant avec une agilité de singe, fut debout. On eût dit qu'il sautait aux barreaux et qu'il s'y accrochait, tel un quadrumane. Patard recula brusquement, redoutant que l'autre ne lui saisît encore ce qui lui restait de cheveux.

– Oh! n'ayez pas peur!… n'ayez pas peur!

L'homme se laissa retomber sur ses pattes et marcha dans son cachot-laboratoire à grandes enjambées.

Il redressait la taille, il redressait la tête… Quand il passait sous le lumignon, on apercevait son vaste front.

– Voyez-vous, mon cher monsieur!… Tout cela est bien terrible, mais tout de même, on peut être fier de son invention!… Ça, c'est réussi!… Ce n'est point de la mort pour rire que j'ai mise là-dedans… non, non! C'est de la vraie mort que j'ai enfermée dans la lumière et dans le son!… Ça m'a donné beaucoup de mal!… mais vous savez, quand on a l'idée, le reste n'est plus rien à faire!… Il s'agit d'avoir l'idée et ce ne sont point les idées qui me manquent!… Demandez-le au grand, à l'illustre Loustalot… Ah! la réalisation d'une idée comme celle-là, avec moi, ça ne traîne pas!… C'est vraiment magnifique!

L'homme arrêta sa marche, leva l'index et dit:

– Vous savez qu'il existe dans le spectre des rayons ultraviolets? Ces rayons, qui sont des rayons chimiques, agissent vigoureusement sur la rétine… On a signalé des accidents très graves avec ces rayons!… oh! très graves!… Maintenant, écoutez-moi bien… vous connaissez peut-être ces sortes de lampes-longs-tubes, à lueur blafarde, verdâtre, et dans lesquelles le mercure volatilisé… Ah çà! m'écoutez-vous? ou ne m'écoutez-vous pas? s'écria l'homme si haut et si fort que Lalouette, épouvanté, se laissa tomber à genoux, suppliant l'étrange professeur de se taire, et que M. Patard gémit:

– Oh! plus bas!… au nom du ciel, plus bas!

Mais cette humiliation d'élève ne désarma point le maître qui, tout à sa conférence et à l'orgueil de prôner les mérites de son invention devant cet exceptionnel auditoire, continua d'une voix forte, nette, dominatrice:

– …Ces lampes dans lesquelles le mercure volatilisé produit une lumière vraiment diabolique… Tenez, je crois bien que j'en ai là…

L'homme chercha, remua des choses… et ne trouva pas.

En haut, les chiens ne se taisaient toujours point. Ils avaient senti les visiteurs, et c'est ce qui les faisait si insupportables.

«Ils ne se tairont, bien sûr, qu'avec de la viande dans la gueule», pensait M. Lalouette, et cette pensée qui ne le quittait décidément pas, malgré l'éloquence du professeur ne le ranimait nullement et le laissait à genoux, comme si, avant le trépas, il n'avait plus que la force de demander pardon au Seigneur de la stupide vanité qui l'avait poussé à briguer un honneur qui est généralement réservé à des gens qui savent au moins lire. L'homme continuait son dangereux cours, redressant plus haut encore le front d'orgueil et scandant ses phrases de grands gestes tranchants.

– Eh bien, mon idée, à moi, la voilà! la voilà! Au lieu de me servir d'un verre pour enveloppe, j'ai pris un tube de quartz, ce qui m'a donné une production folle de rayons ultraviolets! Et alors! et alors, je l'ai enfermé, ce tube qui contenait du mercure, dans une petite lanterne sourde, possédant une petite bobine mue par un petit accumulateur!…

Et alors, et alors! La force mortelle de ces rayons sur l'œil est incomparable… Un rayon, un seul, de ma lanterne sourde que je fais agir comme je veux, grâce à un diaphragme qui me permet d'intercepter la lumière à volonté-un rayon, un seul, suffit. La rétine reçoit un coup terrible qui amène la mort instantanément par traumatisme! mais il fallait le trouver… Il fallait songer à la possibilité de cette mort par inhibition, c'est-à-dire par le brusque arrêt du cœur telle cette mort également par inhibition-phénomène, messieurs, découvert par moi d'abord, par Brown-Séquard ensuite-, telle cette mort, dis-je, par inhibition qui survient, par exemple, à la suite d'un coup porté par le revers de la main sur le larynx!…

– Voilà! voilà! Ah! j'étais fier, bien fier de ma petite lanterne sourde!… Mais il me l'a prise et je ne l'ai plus jamais revue…

– Non, jamais! Ah! c'est une terrible petite lanterne qui tue les gens comme des mouches!… Aussi vrai que je suis le professeur Dédé.

Les deux auditeurs du professeur Dédé recommandèrent in petto leur âme à Dieu, car décidément, avec les chiens et la petite lanterne sourde, c'était bien le diable si maintenant ils en réchappaient. Mais le professeur Dédé n'avait encore rien dit de la deuxième invention qui, paraît-il, lui avait donné plus de joie que toutes celles qui l'avaient précédée. Il n'avait encore rien dit de ce qu'il appelait son cher petit perce-oreille… Cette lacune fut comblée en quelques phrases et l'épouvante fut accomplie… La hideuse horreur de la mort prochaine et sûre sembla glacer pour toujours M. le secrétaire perpétuel et le nouvel académicien.

– Tout cela! Tout cela! proclama donc le professeur Dédé, «c'est de la crotte de bique» à côté de mon cher petit perce-oreille. C'est une petite boîte qui n'est pas plus haute que ça!… Elle peut se fourrer partout!… dans un accordéon, si on est malin et que l'on sache s'y prendre… dans un orgue de Barbarie… dans tout ce qui chante… dans tout ce qui fait une fausse note.

Le professeur Dédé leva l'index encore.

– Qu'y a-t-il, monsieur de plus désagréable pour une oreille tant soit peu musicienne, qu'une fausse note? Je vous le demande, mais ne me répondez pas! Il n'y a rien! rien! rien! Avec mon cher petit perce-oreille, grâce au plus heureux dispositif électrique permettant des ondes nouvelles, beaucoup plus rapides et plus pénétrantes-oui, monsieur, ma parole!-que les ondes hertziennes-avec, dis-je, mon cher petit perce-oreille, je vrille la fausse note dans les méninges, je fais subir au cerveau qui s'attend normalement à une note normale un choc tel que l'auditeur tombe mort, frappé comme d'un coup de couteau ondulatoire, si j'ose dire, au moment même où l'onde armée de la fausse note pénètre furtive et rapide dans le limaçon. Ah! vrai! qu'est-ce que vous dites de ça?… Hein?… vous ne dites rien de ça!… Non! rien du tout!… moi non plus! Il n'y a rien à dire… Tout cela tue les gens comme des mouches!… Ah! c'est au fond bien ennuyeux… car je resterai ici toute ma vie n'ayant vu passer que des gens qui seraient venus me délivrer s'ils n'étaient pas morts… Mais, à leur place, je sais bien ce que je ferais dans une aussi grave circonstance…

– Quoi?… Quoi?… râlèrent les deux malheureux.

– Je porterais des lunettes bleues et je me mettrais du coton dans les oreilles.

– Oui! oui! oui! des lunettes bleues et du coton!… répétèrent les deux hommes, et ils tendaient les mains comme des mendiants.

– Je n'en ai pas sur moi!… fit gravement le professeur Dédé…

Et tout à coup il s'écria:

– Attention! Attention! Écoutez! des pas!… C'est peut-être lui, la petite terrible lanterne sourde d'une main, et le cher petit perce-oreille de l'autre… Ah! Ah!… Pas un sou!… je ne donnerais pas un sou de votre existence terrestre à tous les deux, ma parole!… Non!… Non!… C'est encore un coup raté!… une délivrance ratée!… vous ferez comme les autres!… Vous ne reviendrez jamais!… jamais!…

En effet, des pas descendaient… On marchait maintenant juste au-dessus de leurs têtes. Les pas allaient vers la trappe…

Patard et Lalouette s'étaient relevés, avaient fui vers la porte du petit escalier, redressés par une suprême énergie, une dernière volonté de vivre. La voix de l'autre les poursuivait: «Jamais!… je ne les reverrai plus… Ils ne reviendront plus jamais!» Et ils eurent la perception nette qu'on soulevait la trappe au-dessus de leur tête… Ils se détournèrent instinctivement, rentrant la tête dans les épaules, fermant les yeux, se bouchant les oreilles.

Et c'était trop horrible… Ils préféraient décidément risquer la mort par les chiens… Ils ouvrirent la porte et grimpèrent, escaladèrent l'escalier, ne pensant qu'à ne pas être rejoints par le rayon qui assassine ou la chanson qui tue… ne pensant même plus aux chiens.

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