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Et on entendit en effet des aboiements furieux, tout là-haut, sur la terre. Les deux visiteurs avaient compris cette fois!…

Ils tournèrent autour d'eux-mêmes comme s'ils étaient ivres… cherchant une issue. Et l'autre dans sa cage répétait en secouant les barreaux comme s'il voulait les arracher:

– Par les chiens!… S'ils savent que vous avez surpris le secret!… le secret du grand Loustalot… Ah! Ah! Ah!… comme des mouches… par les chiens!…

Patard et Lalouette, incapables d'en entendre davantage, affolés d'épouvante, s'étaient rués sur l'escalier qui conduisait à la trappe…

– Pas par là!… hurla l'homme, derrière les barreaux… vous ne les entendez donc pas qui descendent!… Ah! les voilà!… les voilà!… avec les chiens!…

Ajax et Achille avaient dû maintenant pénétrer dans la maison… car celle-ci retentissait de leurs coups de gueule formidables comme un enfer plein de l'aboiement des démons…

Patard et Lalouette étaient retombés au bas de l'escalier, hurlant leur effroi, comme des insensés et criant: «Par où?… par où?… par où?…» tandis que l'autre les couvrait d'injures, en leur ordonnant de se taire…

– Vous allez encore vous faire pincer comme les autres!

Et il vous tuera comme des mouches!… Taisez-vous donc… écoutez!… Ah! si les chiens s'en mêlent, le compte est bon!… Voulez-vous vous taire!…

Patard et Lalouette, croyant déjà voir apparaître les crocs terribles d'Ajax et d'Achille en haut de l'escalier de la trappe, s'étaient rués à l'autre extrémité de cette cave, contre les barreaux mêmes de la cage où l'homme était enfermé; et c'étaient eux maintenant qui suppliaient le malheureux de les sauver Ils l'imploraient avec des mots sans suite, avec des râles… Ah! ils enviaient l'homme dans sa cage…

Mais celui-ci leur avait pris à tous deux ce qui leur restait de cheveux, à travers les barreaux, et leur secouait la tête affreusement pour les faire taire:

– Taisez-vous!… Nous nous sauverons tous les trois!…

Écoutez donc!… Les chiens! La brute les emporte!… Ils les font taire!… Le géant fait craquer la terre, mais il ne se doute de rien! la brute!… Ah! quel idiot!… vous avez de la chance…

Et il les lâcha:

– Tenez! vite!… vite!… dans le tiroir de la table là-bas, une clef…

Lalouette et Patard tiraient le tiroir en même temps et le fouillaient fébrilement de leurs mains tremblantes.

– Une clef, continua l'autre… qui ouvre le passage… les chiens sont enchaînés… Il faut en profiter…

– Mais la clef!… la clef?… réclamaient les deux malheureux qui fouillaient en vain dans le tiroir…

– Eh bien, mais la clef de l'escalier qui monte dans la cour!… vite… cherchez!… Il la met là tous les jours… après m'avoir donné à manger…

– Mais il n'y a pas de clef!…

– Alors, c'est que le géant l'a gardée, la brute!… Silence!… Mais ne remuez donc plus! Ah! les voilà! les voilà!… ils descendent… Maintenant le géant fait craquer l'escalier!…

Lalouette et Patard tournaient… tournaient encore… prêts à se jeter sous les meubles, à se cacher dans les armoires…

– Ah! ne perdez donc pas la tête comme ça! souffla le prisonnier… ou nous sommes fichus!… Tenez, dans le recoin de la cheminée, là… oui, là, bien sûr… de chaque côté!…

Bougez pas!… ou je ne réponds plus de rien!… Tout à l'heure il ira dîner… Mais s'il vous voit… Il vous tuera comme des mouches… mes pauvres chers messieurs… comme des mouches!

XVI. Par les oreilles

Agonisants, MM. Patard et Lalouette s'étaient dissimulés chacun dans un coin de la grande cheminée du laboratoire souterrain. Là, ils étaient dans une nuit profonde. Ils ne voyaient rien. Tout ce qui leur restait de vie s'était réfugié dans les oreilles. En vérité, ils ne vivaient plus que par les oreilles.

Ce fut d'abord le géant Tobie qui, en descendant l'escalier du laboratoire souterrain, fit entendre quelques grognements funestes.

– Vous avez encore laissé la trappe ouverte, maître, dit-il, vous verrez que cela vous portera malheur… à la fin!…

On entendit les pas monstrueux de Tobie qui se rapprochaient de la cage, c'est-à-dire des barreaux derrière lesquels ils avaient découvert l'homme enfermé.

– Dédé a dû en profiter pour crier comme un sourd… T'as crié, Dédé?

– Certainement qu'il a crié… répondit la voix de fausset de M. Loustalot… je l'ai entendu, moi, quand j'étais au gros chêne et que je mettais les mains sur Ajax!… Mais il n'y a personne, à cette heure, dans les environs.

– On ne sait jamais… gronda le géant… vous pouvez recevoir des visites comme l'autre fois… Il faut toujours fermer la trappe… avec elle on est tranquilles… elle est rembourrée de crin… on n'entend rien…

– Si tu n'avais pas laissé la grille du jardin ouverte, vieux fou, et laissé échapper les chiens… Tu sais bien qu'ils ne rentrent qu'à ma voix… Je n'ai pas pensé à la trappe derrière moi…

– Tu as crié, Dédé? interrogea le géant.

Mais il n'obtint pas de réponse… L'homme, derrière ses barreaux, ne bougeait pas plus qu'un mort.

Le géant reprit:

– Les chiens étaient terribles, ce soir Ah! j'ai eu du mal à les enchaîner! Quand ils sont revenus, j'ai cru qu'ils allaient manger la maison… Ils étaient comme le soir où nous avons trouvé ici les trois messieurs en visite devant la cage à Dédé…

C'était un soir comme celui-là, maître, où les chiens s'étaient échappés et où il a fallu «leur courir après»…

– Ne me parle jamais de ce soir-là, Tobie, fit la voix chevrotante de Loustalot.

– C'est ce soir-là, continua le géant, que j'ai bien cru que ça nous porterait malheur!… car Dédé avait crié!… avait bavardé… N'est-ce pas, Dédé, que tu avais bavardé?

Pas de réponse…

– Mais c'est à eux, reprit le géant de sa voix grasse et lente, c'est à eux que ça a porté malheur… Ils sont morts…

– Oui, ils sont morts…

– Tous les trois…

– Tous les trois… répéta comme un écho sinistre la voix cassée du grand Loustalot.

– Ça, ricana lugubrement le géant… ça a été comme un fait exprès.

Loustalot ne lui répondit pas, mais quelque chose comme un soupir un soupir de terreur et d'angoisse passa sur la tête des deux hommes qui devaient, au bruit qu'ils faisaient avec les instruments, être occupés à quelque expérience.

– Tu as entendu? demanda Loustalot.

– C'est toi, Dédé? fit le géant.

– Oui, c'est moi, répondit la voix de l'homme aux barreaux.

– Tu es malade? demanda Loustalot… Regarde donc, Tobie, ce qu'il a. Dédé est peut-être malade? Il a crié tout à l'heure à se casser la poitrine… Il a peut-être faim? As-tu faim, Dédé?

– Tenez, fit la voix de l'homme dans la cage, voilà la «formule»! Elle est complète. Vous pouvez me donner à manger maintenant… J'ai bien gagné mon souper!

– Va lui chercher sa «formule», ordonna Loustalot, et donne-lui sa soupe…

– Regardez d'abord si la formule est bonne, répliqua Dédé… vous m'avez habitué à ne pas voler mon pain…

Il y eut les pas du géant et puis le bruit d'un morceau de papier froissé que le prisonnier devait passer à Tobie à travers les barreaux…

Et un silence pendant lequel certainement le grand Loustalot devait examiner la «formule».

– Oh! ça!… ça c'est épatant! s'exclama-t-il dans un véritable transport… c'est tout à fait épatant, Dédé!… Mais tu ne m'avais pas dit que tu travaillais à ça!…

– Je ne travaille qu'à ça depuis huit jours… nuit et jour… vous entendez?… nuit et jour… mais ce coup-ci, ça y est!…

– Oh! ça y est!…

Il y eut un grand soupir de Loustalot.

– Quel génie!… fit-il…

– Il a encore trouvé quelque chose? demanda Tobie.

– Oui, oui… Il a encore trouvé quelque chose… et ce qu'il a trouvé, il l'a enfermé dans une bien belle formule!…

Loustalot et Tobie se parlèrent alors à voix basse.

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