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– Parfait!

– Et un autre sur l'authenticité des signatures de nos peintres les plus célèbres.

– Bravo!

– Évidemment, ces œuvres ne sont point répandues dans le gros public, mais tous ceux qui fréquentent l'Hôtel des ventes les connaissent.-M. Lalouette est trop modeste, déclara Mme Lalouette en faisant sonner sa chaîne d'or. Nous avons ici une lettre de félicitations d'un personnage qui a su apprécier mon mari à sa juste valeur. J'ai nommé Monseigneur le prince de Condé.

– Monseigneur le prince de Condé! s'exclamèrent tous les académiciens en se levant comme un seul homme.

– Voici la lettre.

Et Mme Lalouette tira, en effet, une lettre de son opulent corsage.

– Elle ne me quitte jamais! fit-elle. Après M. Lalouette, c'est ce que j'ai de plus cher au monde.

Tous les académiciens étaient, maintenant, sur la lettre qui était bien du prince et des plus élogieuses. La joie était générale. M. Hippolyte Patard se retourna vers M. Lalouette et lui serra la main à la lui briser.

– Mon cher collègue, lui dit-il, vous êtes un brave!

M. Lalouette devint tout rouge. Il avait relevé le front. Déjà il dominait la situation. Sa femme le regardait avec orgueil.

Et tout le monde répéta:

– Oui, oui, vous êtes un brave.

M. Patard:

– L'Académie s'honorera d'avoir un brave dans son sein.

– Je ne sais, monsieur, fit M. Lalouette avec une humilité feinte, car il voyait bien que «l'affaire était dans le sac», s'il n'y a vraiment point trop d'ambition, à un pauvre plumitif comme moi, à briguer un tel honneur?

– Eh! s'écria M. le directeur qui considérait maintenant M. Lalouette avec amour depuis qu'il avait lu la lettre de Monseigneur le prince de Condé!… Cela fera réfléchir les imbéciles!

M. Lalouette ne sut d'abord trop comment il devait prendre cette réflexion, mais il y avait une telle allégresse sur le visage de M. le directeur qu'il pensa que celui-ci n'avait point voulu lui être désagréable, ce qui, du reste, était la vérité.

– De fait! Il y en a eu dans toute cette histoire, dit-il.

On l'écouta. On était curieux de savoir comment M. Lalouette envisageait les malheurs de l'Académie. Maintenant on n'avait plus qu'une crainte, c'est qu'il revînt sur sa résolution. Il dit:

– Oh! moi, c'est bien simple! Je plains la pauvre humanité qui admet parfaitement une série de vingt et une à la noire et qui n'admet point trois morts naturelles de suite à l'Académie!

On applaudit. M. le directeur qui ne connaissait point le jeu de la roulette se le fit expliquer. On laissa parler M. Lalouette. On l'étudiait. On était content de lui; mais ce fut une véritable admiration quand, à propos d'un incident purement littéraire qui s'était élevé entre M. le chancelier et M. le secrétaire perpétuel, M. Lalouette les départagea avec une remarquable autorité.

Voici comment la chose advint.

– Enfin, je vais pouvoir vivre, grâce à ce galant homme!» s'était écrié M. Patard, dans son enthousiasme. «Ma parole, je n'étais plus que l'ombre de moi-même et il m'était venu de véritables abajoues!»

– Oh! monsieur le secrétaire perpétuel! réclama M. le chancelier: on dit de véritables bajoues! Abajoues, le mot n'est pas français.

C'est alors que M. Lalouette, coupant court aux protestations de M. Patard, était intervenu, et il avait déclaré tout d'une traite et quasi sans respirer:

«Abajoues, altération du mot bajoues, substantif féminin.

Poches que certains singes chéiroptères et rongeurs portent dans l'épaisseur des joues, de chaque côté de la bouche. Les abajoues sont des réservoirs pour les aliments non consommés immédiatement. Dans les chauves-souris du genre nyctère elles facilitent le vol en permettant l'introduction de l'air dans le tissu cellulaire sous-cutané. Par extension et plaisamment, joues pendantes. Parties latérales du groin du cochon et de la tête de veau!» Il n'y avait rien à répondre à cela. Ils eurent tous le bec clos, tout académiciens qu'ils étaient. Mais l'admiration générale devint presque de l'humiliation et cette humiliation de la consternation, quand, passant devant une sorte de table divisée en un certain nombre de rainures parallèles où glissaient des boutons mobiles, M. le directeur lui-même demanda ce que cela était et qu'il lui fut répondu par M. Lalouette que cela était l'abaque et qu'enfin M. le directeur demanda ce que c'était qu'une abaque.

M. Lalouette parut grandir il lança un coup d'œil glorieux à Mme Lalouette et dit:

– Monsieur le directeur on dit un abaque. Abaque est un nom masculin qui vient du grec abax, comptoir, damier buffet. Chez les Grecs, table placée dans le sanctuaire pour recevoir les offrandes. Chez les Romains, buffet sur lequel on étalait la vaisselle de prix. Mathématiques: machine à calculer d'origine grecque, employée par les Romains dans leurs opérations arithmétiques. Les Chinois, les Tartares, les Mongols en ont usé. Les Russes l'ont adopté. En architecture: tablette qui s'interpose entre le chapiteau d'une colonne et l'architrave. Vitruve, monsieur le directeur Vitruve se sert du mot plinthe pour désigner l'abaque.

En entendant le marchand de tableaux parler de Vitruve, ils baissèrent tous la tête, à l'exception de M. Patard, dont l'œil flamboyait. Vitruve, surtout, finit de le conquérir.

– Le fauteuil de Mgr d'Abbeville sera dignement occupé, dit-il.

Et on ne parla plus à M. Lalouette qu'avec respect. Enfin, ces messieurs, un peu gênés, et redoutant de commettre encore quelque faute de français, prirent congé. Ils firent leurs compliments à M. Lalouette et baisèrent tous la main de «son épouse» qui leur parut bien imposante.

Mais M. Patard ne s'en alla pas, car M. Gaspard Lalouette lui avait fait entendre qu'il avait quelque chose de particulier à lui dire. Restés seuls, M. Lalouette congédia Mme Lalouette.

– Va-t'en, fille, ordonna-t-il.

Celle-ci s'en fut en poussant un soupir et en implorant du regard M. Patard.

– Qu'y a-t-il pour votre service, mon cher collègue?» demanda M. Patard un peu inquiet.

– J'ai une confidence à vous faire, monsieur le secrétaire perpétuel; cela restera entre vous et moi, mais il est nécessaire que je ne vous cache rien… A nous deux, nous pourrons certainement remédier aux inconvénients de la chose… car, pour le discours, par exemple…

– Quoi?… pour le discours?… Expliquez-vous, mon cher monsieur Lalouette, je ne vous comprends pas… Ne sauriez-vous pas composer un discours?

– Oh! si, si, ce n'est pas cela qui me gêne!

– Eh bien, alors!

– Eh bien, alors… on le lit…

– Naturellement, c'est beaucoup trop long pour qu'on l'apprenne par cœur-voilà bien ce qui me tracasse, monsieur le secrétaire perpétuel… car je ne sais pas lire.

X. Le calvaire

A ces derniers mots, M. le secrétaire perpétuel bondit comme s'il avait reçu un coup de fouet dans les jambes.

– Ça n'est pas possible! s'écria-t-il.

Et il regarda M. Gaspard Lalouette, pensant que celui-ci se moquait de lui. Mais M. Lalouette se taisait maintenant, les yeux baissés, lui montrant une mine plutôt triste.

– Ah! ça, vous voulez rire, s'exclama M. Patard en tirant la manche de M. Lalouette.

– Non, non, fit M. Lalouette en secouant la tête comme un enfant malheureux, je ne ris pas!…

Mais M. le secrétaire perpétuel, que semblait gagner une sorte de délire, reprit:

– Qu'est-ce que c'est que cette histoire-là? voyons?…

Répondez-moi!… Regardez-moi un peu!…

M. Lalouette leva sur M. Panard un regard humble et douloureux, un de ces regards qui ne trompent pas.

Cette fois, M. le secrétaire perpétuel sentit un véritable frisson lui parcourir le corps de la tête aux pieds: Le candidat à l'Académie ne savait pas lire!

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