Литмир - Электронная Библиотека

Si l'on avait encore eu la force d'écouter dans la cheminée, on n'aurait pu certainement rien entendre de ce qu'ils se disaient là…

Loustalot reprit tout haut:

– Mais c'est de la véritable alchimie, ça, mon garçon!… Ce que tu viens de trouver là, c'est quelque chose comme la transmutation des métaux!… Tu es sûr de l'expérience, Dédé?

– Je l'ai répétée trois fois avec du chlorure de potassium.

Ah! on ne dira plus que la matière est inaltérable!… c'est tout à fait autre chose!… Un véritable potassium nouveau que j'ai obtenu!… un potassium ionisé, sans parenté aucune avec le premier-Et de même pour le chlore? interrogea Loustalot.

– De même pour le chlore…

– Bigre!…

Loustalot et le géant se reparlèrent à voix basse, puis Loustalot encore:

– Qu'est-ce que tu veux pour ta peine, Dédé?

– Je voudrais bien des confitures et un bon verre de vin.

– Oui, ce soir, tu peux lui donner un bon verre de vin, obtempéra le grand Loustalot, ça ne peut pas lui faire de mal.

Mais tout à coup, la paix relative de cette cave profonde fut effroyablement troublée par Dédé. Il y eut comme une tempête souterraine, un déchaînement de fureurs, des cris, des lamentations, des malédictions!… M. Lalouette de son côté, M. Patard du sien, n'eurent que le temps d'arrêter sur les bords de leurs lèvres sèches la clameur suprême de leur épouvante… On sentait que l'homme s'était rué comme un animal féroce derrière les barreaux de sa cage.

– Assassins! hurlait-il… Assassins!… misérables bandits, voleur de Loustalot!… Geôlier immonde, garde-chiourme de mon génie!… monstre à qui je donne la gloire et qui me paie d'un morceau de pain!… Tes crimes seront punis, tu entends, misérable!… Dieu te châtiera!… Ton forfait sera connu de l'univers!… Il faudra bien qu'ils viennent, les hommes qui me délivreront!… Tu ne les tueras pas tous!…

Et je te traînerai comme une charogne infâme avec une pique de boucher, bandit!… Par la peau du cou…

– Assez! fais-le taire, Tobie! râla Loustalot.

On entendit un bruit de grille de fer qui tourna sur ses gonds.

– Je ne me tairai pas!… Par la peau du cou! Par la peau du cou!… Non! non! Pas cela!… Au secours! au secours!…

Qui, je me tais… je me tais!… Par la peau du cou, aux gémonies!… je me tais!…

Et le bruit de la grille de fer recommença sur ses gonds…

Et il n'y eut plus bientôt, dans la cave profonde, qu'un gémissement qui allait s'apaisant, de plus en plus, comme quelqu'un qui s'endort après une grande colère ou qui meurt…

XVII. Quelques inventions de Dédé

Après ce gémissement il y eut encore quelque remue-ménage dans le Laboratoire de la cave du fond et puis peu à peu tout bruit s'éteignit.

Dans leur coin de cheminée, M. Hippolyte Patard et M. Lalouette ne donnaient point signe de vie. Ils étaient collés au mur comme s'ils ne devaient plus s'en détacher jamais.

Cependant la voix de l'homme, derrière les barreaux de la cage, résonna:

– Vous pouvez venir… ils sont partis.

Ce fut encore le silence. Et puis la voix de l'homme reprit:

– Etes-vous morts?

Enfin, dans la pénombre du laboratoire-tombeau, qui n'était plus éclairé maintenant que par un lumignon qui brillait derrière les barreaux de la cage, chez le prisonnier, dans cette pénombre, disons-nous, apparurent timidement, au bord de la vaste cheminée, deux silhouettes…

Les têtes d'abord se montrèrent prudemment, puis les corps… et tout redevint immobile.

– Oh! vous pouvez avancer, dit la voix de Dédé… ils ne reviendront plus de la nuit… et la trappe est fermée.

Alors les deux silhouettes remuèrent à nouveau… mais avec des précautions extrêmes. Elles s'arrêtaient à chaque pas. Elles glissaient fort précautionneusement… Elles étaient debout sur la pointe des pieds, les mains étendues… et, quand elles se heurtaient à un meuble et que ce meuble répondait à ce choc par quelque sonorité, les silhouettes restaient comme suspendues.

Enfin elles arrivèrent à la lumière barrée de la grille derrière laquelle Dédé, debout, les attendait.

Et elles s'affalèrent exténuées, au pied des barreaux. Une voix qui était celle de M. Hippolyte Patard dit:

– Ah! mon pauvre monsieur!

Et la voix de M. Lalouette se fit entendre à son tour:

– Nous avons cru qu'ils vous assassinaient.

– Vous êtes restés dans la cheminée tout de même? fit l'homme.

C'était vrai. Ils ne pouvaient le nier Ils expliquèrent, en des propos confus, que leurs jambes leur avaient refusé tout service, qu'ils n'avaient point l'habitude de pareilles émotions, qu'ils étaient académiciens et nullement préparés à d'aussi horribles tragédies.

– Des académiciens! fit l'homme. Un jour il en est descendu trois ici… trois candidats qui faisaient leur visite et que le bandit a surpris… Je ne les ai jamais revus… Depuis, j'ai appris, en écoutant le bandit et le géant, qu'ils étaient tous morts… Il a dû les tuer comme des mouches!

Toute cette conversation était prononcée à voix très basse, étouffée, les lèvres de tous trois collées aux barreaux.

– Monsieur! implora Gaspard Lalouette, est-ce qu'il y a un moyen de sortir sans que le bandit nous surprenne?

– Bien sûr! fit l'homme… par l'escalier qui donne directement dans la cour…

M. Hippolyte Patard dit:

– La clef qui ouvre cet escalier et dont vous nous avez parlé n'est point dans le tiroir L'homme dit:

– Je l'ai dans ma poche! Je l'ai prise dans la poche du géant… Je me suis fait taire pour qu'il vienne dans ma cage.

– Ah! mon «pauvre monsieur», reprit Patard.

– Oui! oui! Je suis à plaindre, allez! Ils ont des façons terribles de me faire taire.

– Alors, vous croyez qu'on peut s'en aller, soupira M. Gaspard Lalouette, qui s'étonnait que l'autre ne leur eût pas encore passé la clef.

– Reviendrez-vous me chercher? demanda l'homme.

– Nous vous le jurons, dit solennellement M. Lalouette.

– Les autres aussi l'ont juré, et ils ne sont pas revenus.

M. Hippolyte Patard intervint pour l'honneur de l'Académie:

– Ils seraient revenus s'ils n'étaient pas morts.

– Ça, c'est vrai… Il les a tués comme des mouches!… Mais vous, il ne vous tuera pas, parce qu'il ne sait pas que vous êtes venus… Mais il ne faut pas qu'il vous voie…

– Non! non! gémit Lalouette. Il ne faut pas qu'il nous voie…

– Il faut être malin! recommanda l'homme en dressant devant les deux visiteurs une petite clef noire.

Et il donna la clef à M. Hippolyte Patard en lui disant qu'elle ouvrait une porte qui se trouvait derrière la dynamo que l'on apercevait dans un coin. Cette porte ouvrait sur un escalier qui montait à une petite cour derrière la maison. Là, ils trouveraient une autre porte qui donnait sur la campagne et dont ils n'auraient qu'à tirer les verrous intérieurs. La clef de cette autre porte restait toujours sur la serrure.

– J'ai remarqué tout cela, fit l'homme, quand le géant me promène.

– Vous sortez donc quelquefois de votre cage? demanda

M. Patard qui frissonnait en face d'un pareil malheur oubliant presque le sien.

– Qui, mais toujours enchaîné; une heure par jour à l'air libre, quand il ne pleut pas.

– Ah! mon pauvre monsieur!

Quant à M. Lalouette, il ne pensait qu'à s'en aller. Il était déjà à la porte de l'escalier. Mais il lui sembla entendre tout là-haut des grondements, et il recula.

– Les chiens! gémit-il.

– Mais oui, les chiens!… répéta l'homme, hostile… Est-il embêtant, ce gros-là… vous ne sortirez d'ici que quand je vous le dirai, à la fin! Il faut bien compter une heure avant que Tobie leur porte à manger… Alors, vous pourrez passer… ils ne prendront pas le temps d'aboyer… Quand ils mangent, ils ne connaissent plus rien, ni personne… entendez-vous… quand ils mangent!

31
{"b":"125242","o":1}