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Pourtant ces paroles étaient si précises que leur écho retentit au fond de l’âme du prisonnier; il rougit, pâlit tour à tour, et s’écria:

– Que dites-vous! Je crains… Oh! mon Dieu… je me trompe peut-être… je…

– Je dis que du moment où je vous ai vu si bon pour moi, et où je vous ai vu si malheureux, je vous ai aimé autrement qu’un camarade, et que si maintenant une de mes amies voulait se marier, dit Rigolette en souriant et rougissant, ce n’est plus vous que je lui conseillerais d’épouser, monsieur Germain.

– Vous m’aimez! Vous m’aimez!

– Il faut bien que je vous le dise de moi-même, puisque vous ne me le demandez pas.

– Il serait possible!

– Ce n’est pourtant pas faute de vous avoir par deux fois mis sur la voie, pour vous le faire comprendre. Mais bon! monsieur ne veut pas entendre à demi-mot, il me force à lui avouer ces choses-là. C’est mal peut-être, mais comme il n’y a que vous qui puissiez me gronder de mon effronterie, j’ai moins peur; et puis, ajouta Rigolette d’un ton plus sérieux et avec une tendre émotion, tout à l’heure vous m’avez paru si accablé, si désespéré, que je n’y ai pas tenu; j’ai eu l’amour-propre de croire que cet aveu, fait franchement et du fond du cœur, vous empêcherait d’être malheureux à l’avenir. Je me suis dit: «Jusqu’à présent, je n’ai pas eu de chance dans mes efforts pour le distraire ou pour le consoler; mes friandises lui étaient l’appétit, ma gaieté le faisait pleurer; cette fois du moins…» Ah! mon Dieu! qu’avez-vous? s’écria Rigolette en voyant Germain cacher sa figure dans ses mains. Là! voyez si ce n’est pas cruel! s’écria-t-elle, quoi que je fasse, quoi que je dise… vous restez aussi malheureux; c’est être par trop méchant et par trop égoïste aussi!… On dirait qu’il n’y a que vous qui souffriez de vos chagrins!…

– Hélas! quel malheur est le mien!!! s’écria Germain avec désespoir. Vous m’aimez, lorsque je ne suis plus digne de vous!

– Plus digne de moi? Mais ça n’a pas de bon sens, ce que vous dites là! C’est comme si je disais qu’autrefois je n’étais pas digne de votre amitié, parce que j’avais été en prison… car, après tout, moi aussi j’ai été prisonnière, en suis-je moins honnête fille?

– Mais vous êtes allée en prison parce que vous étiez une pauvre enfant abandonnée, tandis que moi! mon Dieu, quelle différence!

– Enfin, quant à la prison, nous n’avons rien à nous reprocher, toujours!… C’est plutôt moi qui suis une ambitieuse… car, dans mon état, je ne devrais penser qu’à me marier avec un ouvrier. Je suis un enfant trouvé… je ne possède rien que ma petite chambre et mon bon courage… pourtant je viens hardiment vous proposer de me prendre pour femme!

– Hélas! autrefois ce sort eût été le rêve, le bonheur de ma vie! Mais à cette heure, moi, sous le coup d’une accusation infamante, j’abuserais de votre admirable générosité, de votre pitié qui vous égare peut-être! Non, non.

– Mais, mon Dieu! Mon Dieu! s’écria Rigolette avec une impatience douloureuse, je vous dis que ce n’est pas de la pitié que j’ai pour vous! c’est de l’amour. Je ne songe qu’à vous! Je ne dors plus, je ne mange plus; votre triste et doux visage me suit partout. Est-ce de la pitié, cela? Maintenant, quand vous me parlez, votre voix, votre regard me vont au cœur. Il y a mille choses en vous qui, à cette heure, me plaisent à la folie, et que je n’avais pas remarquées. J’aime votre figure, j’aime vos yeux, j’aime votre tournure, j’aime votre esprit, j’aime votre bon cœur, est-ce encore de la pitié, cela? Pourquoi, après vous avoir aimé en ami, vous aimé-je en amant? je n’en sais rien! Pourquoi étais-je folle et gaie quand je vous aimais en ami, pourquoi suis-je tout absorbée depuis que je vous aime en amant? je n’en sais rien! Pourquoi ai-je attendu si tard pour vous trouver à la fois beau et bon, pour vous aimer à la fois des yeux et du cœur? je n’en sais rien, ou plutôt, si, je le sais, c’est que j’ai découvert combien vous m’aimiez sans me l’avoir jamais dit, combien vous étiez généreux et dévoué. Alors l’amour m’a monté du cœur aux yeux, comme y monte une douce larme quand on est attendri.

– Vraiment, je crois rêver en vous entendant parler ainsi.

– Et moi, donc! je n’aurais jamais cru pouvoir oser vous dire tout cela; mais votre désespoir m’y a forcée! Eh bien! monsieur, maintenant que vous savez que je vous aime comme mon ami! comme mon amant! comme mon mari! direz-vous encore que c’est de la pitié?

Les généreux scrupules de Germain tombèrent un moment devant cet aveu si naïf et si vaillant. Une joie inespérée le ravit à ses douloureuses préoccupations.

– Vous m’aimez! s’écria-t-il. Je vous crois: votre accent, votre regard, tout me le dit! Je ne veux pas me demander comment j’ai mérité un pareil bonheur, je m’y abandonne aveuglément. Ma vie, ma vie entière, ne suffira pas à m’acquitter envers vous! Ah! j’ai bien souffert déjà; mais ce moment efface tout!

– Enfin, vous voilà consolé. Oh! j’étais bien sûre, moi, que j’y parviendrais! s’écria Rigolette avec un élan de joie charmante.

– Et c’est au milieu des horreurs d’une prison, et c’est lorsque tout m’accable, qu’une telle félicité…

Germain ne put achever.

Cette pensée lui rappelait la réalité de sa position; ses scrupules, un moment oubliés, revinrent plus cruels que jamais, et il reprit avec désespoir:

– Mais je suis prisonnier, mais je suis accusé de vol, mais je serai condamné, déshonoré peut-être! et j’accepterais votre valeureux sacrifice, je profiterais de votre généreuse exaltation! Oh non! non! je ne suis pas assez infâme pour cela!

– Que dites-vous?

– Je puis être condamné… à des années de prison.

– Eh bien! répondit Rigolette avec calme et fermeté, on verra que je suis une honnête fille, on ne nous refusera pas de nous marier dans la chapelle de la prison.

– Mais je puis être emprisonné loin de Paris.

– Une fois votre femme, je vous suivrai; je m’établirai dans la ville où vous serez; j’y trouverai de l’ouvrage, et je viendrai vous voir tous les jours!

– Mais je serai flétri aux yeux de tous.

– Vous m’aimez plus que tout, n’est-ce pas?

– Pouvez-vous me le demander?

– Alors que vous importe? Loin d’être flétri à mes yeux, je vous regarderai, moi, comme le martyr de votre bon cœur.

– Mais le monde vous accusera, le monde condamnera, calomniera votre choix…

– Le monde! c’est vous pour moi, et moi pour vous; nous laisserons dire…

– Enfin, en sortant de prison, ma vie sera précaire, misérable; repoussé de partout, peut-être ne trouverai-je pas d’emploi!… Et puis cela est horrible à penser, mais si cette corruption que je redoute allait malgré moi me gagner… quel avenir pour vous!

– Vous ne vous corromprez pas; non, car maintenant vous savez que je vous aime, et cette pensée vous donnera la force de résister aux mauvais exemples… vous songerez qu’alors même que tous vous repousseraient en sortant de prison, votre femme vous accueillera avec amour et reconnaissance, bien certaine que vous serez resté honnête homme… Ce langage vous étonne, n’est-ce pas? il m’étonne moi-même… Je ne sais pas où je vais chercher ce que je vous dis… c’est au fond de mon âme assurément… et cela doit vous convaincre… sinon, si vous dédaigniez une offre qui vous est faite de tout cœur… si vous ne vouliez pas de l’attachement d’une pauvre fille qui ne…

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