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– Oui, oui, mon bon frère, reprit le jeune homme en serrant les mains de son ami; oui, je guérirai, oui, je serai heureux, oui, je serai allègre; merci de votre amitié, merci! c'est mon bien le plus précieux.

– Après votre amour.

– Avant ma vie.

Joyeuse, profondément touché malgré sa frivolité apparente, interrompit brusquement son frère.

– Partons-nous? dit-il; voilà que les flambeaux sont éteints, les instruments au dos des musiciens, les pages en route.

– Allez, allez, mon frère, je vous suis, dit du Bouchage en soupirant de quitter la rue.

– Je vous entends, dit Joyeuse; le dernier adieu à la fenêtre, c'est juste. Alors adieu aussi pour moi, Henri.

Henri passa ses bras au cou de son frère, qui se penchait pour l'embrasser.

– Non, dit-il, je vous accompagnerai jusqu'aux portes; attendez-moi seulement à cent pas d'ici. En croyant la rue solitaire, peut-être se montrera-t-elle.

Anne poussa son cheval vers l'escorte arrêtée à cent pas.

– Allons, allons, dit-il, nous n'avons plus besoin de vous jusqu'à nouvel ordre; partez.

Les flambeaux disparurent, les conversations des musiciens et les rires des pages s'éteignirent, comme aussi les derniers gémissements arrachés aux cordes des violes et des luths par le frôlement d'une main égarée.

Henri donna un dernier regard à la maison, envoya une dernière prière aux fenêtres, et rejoignit lentement, et en se retournant sans cesse, son frère, que précédaient les deux écuyers.

Robert Briquet, voyant les deux jeunes gens partir avec les musiciens, jugea que le dénoûment de cette scène, si toutefois cette scène devait avoir un dénoûment, allait avoir lieu.

En conséquence, il se retira bruyamment du balcon et ferma la fenêtre.

Quelques curieux obstinés demeurèrent encore fermes à leur poste; mais, au bout de dix minutes, le plus persévérant avait disparu.

Pendant ce temps, Robert Briquet avait gagné le toit de sa maison, dentelé comme celui des maisons flamandes, et se cachant derrière une de ces dentelures, il observait les fenêtres d'en face.

Sitôt que le bruit eut cessé dans la rue, qu'on n'entendit plus ni instruments, ni pas, ni voix; sitôt que tout enfin fut rentré dans l'ordre accoutumé, une des fenêtres supérieures de cette maison étrange s'ouvrit mystérieusement, et une tête prudente s'avança au dehors.

– Plus rien, murmura une voix d'homme, par conséquent plus de danger; c'était quelque mystification à l'adresse de notre voisin; vous pouvez quitter votre cachette, madame, et redescendre chez vous.

À ces mots, l'homme referma la fenêtre, fit jaillir le feu d'une pierre, et alluma une lampe qu'il tendit vers un bras allongé pour la recevoir.

Chicot regardait de toutes les forces de sa prunelle.

Mais il n'eut pas plus tôt aperçu la pâle et sublime figure de la femme qui recevait cette lampe, il n'eut pas plus tôt saisi le regard doux et triste qui fut échangé entre le serviteur et la maîtresse, qu'il pâlit lui-même et sentit comme un frisson glacé courant dans ses veines.

La jeune femme, à peine avait-elle vingt-quatre ans, la jeune femme alors descendit l'escalier: son serviteur la suivit.

– Ah! murmura Chicot, passant la main sur son front pour en essuyer la sueur, et comme si en même temps il eût voulu chasser une vision terrible, ah! comte du Bouchage, brave, beau jeune homme, amoureux insensé qui parles maintenant de devenir joyeux, chantant et allègre, passe ta devise à ton frère, car jamais plus tu ne diras: hilariter. [1]

Puis il descendit à son tour dans sa chambre, le front assombri comme s'il fût descendu dans quelque passe terrible, dans quelque abîme sanglant, et s'assit dans l'ombre, subjugué, lui, le dernier, mais le plus complètement peut-être, par l'incroyable influence de mélancolie qui rayonnait du centre de cette maison.

XVIII La bourse de Chicot

Chicot passa toute la nuit à rêver sur son fauteuil. Rêver est le mot, car, en vérité, ce furent moins des pensées qui l'occupèrent que des rêves.

Revenir au passé, voir s'éclairer au feu d'un seul regard toute une époque presque effacée déjà de la mémoire, ce n'est pas penser. Chicot habita toute la nuit un monde déjà laissé par lui bien en arrière, et peuplé d'ombres illustres ou gracieuses que le regard de la femme pâle, semblable à une lampe fidèle, lui montrait défilant une à une devant lui avec son cortège de souvenirs heureux et terribles.

Chicot, qui regrettait tant son sommeil en revenant du Louvre, ne songea pas même à se coucher. Aussi quand l'aube vint argenter les vitraux de sa fenêtre:

– L'heure des fantômes est passée, dit-il, il s'agit de songer un peu aux vivants.

Il se leva, ceignit sa longue épée, jeta sur ses épaules un surtout de laine lie de vin, d'un tissu impénétrable aux plus fortes pluies, et, avec la stoïque fermeté du sage, il examina d'un coup d'œil le fond de sa bourse et la semelle de ses souliers.

Ceux-ci parurent à Chicot dignes de commencer une campagne; celle-là méritait une attention particulière.

Nous ferons donc une halte à notre récit pour prendre le temps de la décrire à nos lecteurs.

Chicot, homme d'ingénieuse imagination, comme chacun sait, avait creusé la maîtresse poutre qui traversait sa maison de bout en bout, concourant ainsi à la fois à l'ornement, car elle était peinte de diverses couleurs, et à la solidité, car elle avait dix-huit pouces au moins de diamètre.

Dans cette poutre, au moyen d'une concavité d'un pied et demi de long sur six pouces de large, il s'était fait un coffre-fort dont les flancs contenaient mille écus d'or.

Or, voici le calcul que s'était fait Chicot.

– Je dépense par jour, avait-il dit, la vingtième partie d'un de ces écus: j'ai donc là de quoi vivre vingt mille jours. Je ne les vivrai jamais, mais je puis aller à la moitié; et puis, à mesure que je vieillirai, mes besoins et par conséquent mes dépenses s'augmenteront, car encore faut-il que le bien-être progresse en proportion de la diminution de la vie. Tout cela me fait vingt-cinq ou trente bonnes années à vivre. Allons, c'est, Dieu merci! bien assez.

Chicot se trouvait donc, grâce au calcul que nous venons de faire après lui, un des plus riches rentiers de la ville de Paris, et cette tranquillité sur son avenir lui donnait un certain orgueil.

Non pas que Chicot fût avare, longtemps même il avait été prodigue; mais la misère lui faisait horreur, car il savait qu'elle tombe comme un manteau de plomb sur les épaules, et qu'elle courbe les plus forts.

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