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– Du Fier Chevalier, je veux dire, et à moins d'avoir le Louvre et ses dépendances…

L'étranger attacha sur elle un singulier regard.

– Vous avez raison, dit-il, et à moins d'avoir le Louvre…

Puis à part:

– Pourquoi pas, continua-t-il; ce serait plus commode et moins cher.

Vous dites donc, ma bonne dame, reprit-il tout haut, que vous pourriez à demeure recevoir ici trente personnes?

– Oui, sans doute.

– Mais pour un jour?

– Oh! pour un jour, quarante et même quarante-cinq.

– Quarante-cinq? parfandious! c'est juste mon compte.

– Vraiment! voyez donc comme c'est heureux!

– Et sans que cela fasse esclandre au dehors?

– Quelquefois, le dimanche, nous avons ici quatre-vingts soldats.

– Et pas de foule devant la maison, pas d'espion parmi les voisins?

– Oh! mon Dieu, non; nous n'avons pour voisin qu'un digne bourgeois qui ne se mêle des affaires de personne, et pour voisine qu'une dame qui vit si retirée que depuis trois semaines qu'elle habite le quartier, je ne l'ai pas encore vue; tous les autres sont de petites gens.

– Voilà qui me convient à merveille.

– Oh! tant mieux, fit madame Fournichon.

– Et d'ici en un mois, continua le capitaine, retenez bien ceci, madame, d'ici en un mois…

– Le 26 octobre alors?

– Précisément, le 26 octobre.

– Eh bien?

– Eh bien, le 26 octobre, je loue votre hôtellerie.

– Tout entière?

– Tout entière. Je veux faire une surprise à quelques compatriotes, officiers, ou tout au moins gens d'épée pour la plupart, qui viennent à Paris chercher fortune; d'ici là ils auront reçu avis de descendre chez vous.

– Et comment auront-ils reçu cet avis, si c'est une surprise que vous leur faites? demanda imprudemment madame Fournichon.

– Ah! répondit le capitaine, visiblement contrarié par la question; ah! si vous êtes curieuse ou indiscrète, parfandious!…

– Non, non, monsieur, se hâta de dire madame Fournichon effrayée.

Fournichon avait entendu; aux mots: officiers ou gens d'épée, son cœur avait battu d'aise.

Il accourut.

– Monsieur, s'écria-t-il, vous serez le maître ici, le despote de la maison, et sans questions, mon Dieu! Tous vos amis seront les bienvenus.

– Je n'ai pas dit mes amis, mon brave, dit le capitaine avec hauteur; j'ai dit mes compatriotes.

– Oui, oui, les compatriotes de Sa Seigneurie; c'est moi que me trompais.

Dame Fournichon tourna le dos avec humeur: les roses d'amour venaient de se changer en buissons de hallebardes.

– Vous leur donnerez à souper, continua le capitaine.

– Très bien.

– Vous les ferez même coucher au besoin, si je n'avais pu encore préparer leurs logements.

– À merveille.

– En un mot, vous vous mettrez à leur entière discrétion, sans le moindre interrogatoire.

– C'est dit.

– Voilà trente livres d'arrhes.

– C'est marché fait, monseigneur; vos compatriotes seront traités en rois, et si vous voulez vous en assurer en goûtant le vin…

– Je ne bois jamais; merci.

Le capitaine s'approcha de la fenêtre et appela le gardien des chevaux.

Maître Fournichon pendant ce temps avait fait une réflexion.

– Monseigneur, dit-il (depuis la réception des trois pistoles si généreusement payées à l'avance, maître Fournichon appelait l'étranger monseigneur), monseigneur, comment reconnaître-je ces messieurs?

– C'est vrai, parfandious! j'oubliais; donnez-moi de la cire, du papier et de la lumière.

Dame Fournichon apporta tout.

Le capitaine appuya sur la cire bouillante le chaton d'une bague qu'il portait à la main gauche.

– Tenez, dit-il, vous voyez cette figure?

– Une belle femme, ma foi.

– Oui, c'est une Cléopâtre; eh bien! chacun de mes compatriotes vous apportera une empreinte pareille; vous hébergerez donc le porteur de cette empreinte; c'est entendu, n'est-ce pas?

– Combien de temps?

– Je ne sais point encore; vous recevrez mes ordres à ce sujet.

– Nous les attendrons.

Le beau capitaine descendit l'escalier, se remit en selle et partit au trot de son cheval.

En attendant son retour, les époux Fournichon empochèrent leurs trente livres d'arrhes, à la grande joie de l'hôte qui ne cessait de répéter:

– Des gens d'épée! allons, décidément l'enseigne n'a pas tort, et c'est par l'épée que nous ferons fortune.

Et il se mit à fourbir toutes ses casseroles, en attendant le fameux 26 octobre.

VIII Silhouette de Gascon

Dire que dame Fournichon fut absolument aussi discrète que le lui avait recommandé l'étranger, nous ne l'oserions pas. D'ailleurs elle se croyait sans doute dégagée de toute obligation envers lui, par l'avantage qu'il avait donné à maître Fournichon à l'endroit de l'Épée du fier Chevalier ; mais comme il lui restait encore plus à deviner qu'on ne lui en avait dit, elle commença, pour établir ses suppositions sur une base solide, par chercher quel était le cavalier inconnu qui payait si généreusement l'hospitalité à ses compatriotes. Aussi ne manqua-t-elle point d'interroger le premier soldat qu'elle vit passer sur le nom du capitaine qui avait passé la revue.

Le soldat, qui probablement était d'un caractère plus discret que son interlocutrice, lui demanda d'abord, avant de répondre, à quel propos elle faisait cette question.

– Parce qu'il sort d'ici, répondit madame Fournichon, qu'il a causé avec nous, et qu'on est bien aise de savoir à qui l'on parle.

Le soldat se mit à rire.

– Le capitaine qui commandait la revue ne serait pas entré à l'Épée du Fier Chevalier, madame Fournichon, dit-il.

– Et pourquoi cela? demanda l'hôtesse; il est donc trop grand seigneur pour cela?

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