En ce moment il se sentit tirer par le fourreau de son épée, et se pencha en arrière.
Celui qui attirait son attention par cet attouchement était un jeune homme aux cheveux noirs, à l'œil étincelant, petit, fluet, gracieux, et les mains gantées.
– Qu'y a-t-il pour votre service, monsieur? demanda le cavalier.
– Monsieur, une grâce.
– Parlez, mais parlez vite, je vous prie: vous voyez que l'on m'attend.
– J'ai besoin d'entrer en ville, monsieur, besoin impérieux, comprenez-vous? – De votre côté, vous êtes seul, et avez besoin d'un page qui fasse encore honneur à votre bonne mine.
– Eh bien?
– Eh bien, donnant donnant: faites-moi entrer, je serai votre page.
– Merci, dit le cavalier; mais je ne veux être servi par personne.
– Pas même par moi? demanda le jeune homme avec un si étrange sourire que le cavalier sentit se fondre l'enveloppe de glace où il avait tenté d'enfermer son cœur.
– Je voulais dire que je ne pouvais pas être servi.
– Oui, je sais que vous n'êtes pas riche, monsieur Ernauton de Carmainges, dit le jeune page.
Le cavalier tressaillit; mais, sans faire attention à ce tressaillement, l'enfant continua:
– Aussi ne parlerons-nous pas de gages, et c'est vous au contraire, si vous m'accordez ce que je vous demande, qui serez payé, et cela au centuple des services que vous m'aurez rendus; laissez-moi donc vous servir, je vous prie en songeant que celui qui vous prie, a ordonné quelquefois.
Le jeune homme lui serra la main, ce qui était bien familier pour un page; puis se retournant vers le groupe de cavaliers que nous connaissons déjà:
– Je passe, moi, dit-il, c'est le plus important; vous Mayneville, tâchez d'en faire autant par quelque moyen que ce soit.
– Ce n'est pas tout que vous passiez, répondit le gentilhomme; il faut qu'il vous voie.
– Oh! soyez tranquille, du moment où j'aurai franchi cette porte, il me verra.
– N'oubliez pas le signe convenu.
– Deux doigts sur la bouche, n'est-ce pas?
– Oui, maintenant que Dieu vous aide.
– Eh bien, fit le maître du cheval noir, – mons le page, nous décidons-nous?
– Me voici, maître, répondit le jeune homme, et il sauta légèrement en croupe derrière son compagnon qui alla rejoindre les cinq autres élus occupés à exhiber leurs cartes et à justifier de leurs droits.
– Ventre de biche! dit Robert Briquet qui les avait suivis des yeux, – voilà tout un arrivage de Gascons, ou le diable m'emporte!
III La revue
Cet examen que devaient passer nos six privilégiés que nous avons vus sortir des rangs du populaire pour se rapprocher de la porte, n'était ni bien long, ni bien compliqué.
Il s'agissait de tirer une moitié de carte de sa poche et de la présenter à l'officier, lequel la comparait à une autre moitié, et si, en la rapprochant, ces deux moitiés s'emboîtaient en faisant un tout, les droits du porteur de la carte étaient établis.
Le Gascon à tête nue s'était approché le premier. Ce fut en conséquence par lui que la revue commença.
– Votre nom? demanda l'officier.
– Mon nom, monsieur l'officier? il est écrit sur cette carte sur laquelle vous verrez encore autre chose.
– N'importe! votre nom? répéta l'officier avec impatience; ne savez-vous pas votre nom?
– Si fait, je le sais; cap de Bious! et je l'aurais oublié que vous pourriez me le dire, puisque nous sommes compatriotes et même cousins.
– Votre nom? mille diables! Croyez-vous que j'aie du temps à perdre en reconnaissances?
– C'est bon. Je me nomme Perducas de Pincornay.
– Perducas de Pincornay? reprit M. de Loignac, à qui nous donnerons désormais le nom dont l'avait salué son compatriote. Puis jetant les yeux sur la carte:
– Perducas de Pincornay, 26 octobre 1585, à midi précis.
– Porte Saint-Antoine, ajouta le Gascon en allongeant son doigt noir et sec sur la carte:
– Très bien! en règle: entrez, fit M. de Loignac pour couper court à tout dialogue ultérieur entre lui et son compatriote; à vous maintenant, dit-il au second.
L'homme à la cuirasse s'approcha.
– Votre carte? demanda Loignac.
– Eh quoi? monsieur de Loignac, s'écria celui-ci, ne reconnaissez-vous pas le fils de l'un de vos amis d'enfance que vous avez fait sauter vingt fois sur vos genoux?
– Non.
– Pertinax de Montcrabeau, reprit le jeune homme avec étonnement; vous ne le reconnaissez pas?
– Quand je suis de service, je ne reconnais personne, monsieur. Votre carte.
Le jeune homme à la cuirasse tendit sa carte.
– Pertinax de Montcrabeau, 26 octobre, midi précis, porte Saint-Antoine. Passez.
Le jeune homme passa, et, un peu étourdi de la réception, alla rejoindre Perducas, qui attendait l'ouverture de la porte.
Le troisième Gascon s'approcha; c'était le Gascon à la femme et aux enfants.
– Votre carte? demanda Loignac.
Sa main obéissante plonge aussitôt dans une petite gibecière de peau de chèvre qu'il portait au côté droit.
Mais ce fut inutilement: embarrassé qu'il était par l'enfant qu'il portait dans ses bras, il ne trouvait point le papier qu'on lui demandait.
– Que diable faites-vous de cet enfant, monsieur? vous voyez bien qu'il vous gêne.
– C'est mon fils, monsieur de Loignac.
– Eh bien! déposez votre fils à terre.
Le Gascon obéit; l'enfant se mit à hurler.
– Ah ça! vous êtes donc marié? demanda Loignac.
– Oui, monsieur l'officier.
– À vingt ans?
– On se marie jeune chez nous, vous le savez bien, monsieur de Loignac, vous qui vous êtes marié à dix-huit.
– Bon! fit Loignac, en voilà encore un qui me connaît.
La femme s'était approchée pendant ce temps, et les enfants, pendus à sa robe, l'avaient suivie.
– Et pourquoi ne serait-il point marié? demanda-t-elle en se redressant et en écartant de son front hâlé ses cheveux noirs que la poussière du chemin y fixait comme une pâte; est-ce que c'est passé de mode de se marier à Paris? Oui, monsieur, il est marié, et voici encore deux autres enfants qui l'appellent leur père.