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Du Chat et d’une Perdrix.

J’avais fait mon nid (dit le Corbeau), sur un arbre auprès duquel il y avait une Perdrix de belle taille et de bonne humeur. Nous fîmes un commerce d’amitié et nous nous entretenions souvent ensemble. Elle s’absenta, je ne sais pour quel sujet, et demeura si longtemps sans paraître que je la croyais morte. Néanmoins elle revint, mais elle trouva sa maison occupée par un autre Oiseau. Elle le voulut mettre dehors, mais il refusa d’en sortir disant que sa possession était juste. La Perdrix de son côté prétendait rentrer dans son bien et tenait cette possession de nulle valeur. Je m’employai inutilement à les accorder. À la fin la Perdrix dit: – Il y a ici près un Chat très dévot: il jeûne tous les jours, ne fait de mal à personne et passe les nuits en prière; nous ne saurions trouver juge plus équitable. – L’autre Oiseau y ayant consenti, ils allèrent tous deux trouver ce Chat de bien. La curiosité de le voir m’obligea de les suivre. En entrant, je vis un Chat debout très attentif à une longue prière, sans se tourner de côté ni d’autre, ce qui me fit souvenir de ce vieux proverbe: que la longue oraison devant le monde est la clef de l’enfer. J’admirai cette hypocrisie et j’eus la patience d’attendre que ce vénérable personnage eût fini sa prière. Après cela, la Perdrix et sa partie s’approchèrent de lui fort respectueusement et le supplièrent d’écouter leur différend et de les juger suivant sa justice ordinaire. Le Chat, faisant le discret, écouta le plaidoyer de l’Oiseau, puis s’adressant à la Perdrix: – Belle Fille, ma mie, lui dit-il, je suis vieux et n’entends pas de loin; approchez-vous et haussez votre voix afin que je ne perde pas un mot de tout ce que vous me direz. – La Perdrix et l’autre Oiseau s’approchèrent aussitôt avec confiance, le voyant si dévot, mais il se jeta sur eux et les mangea l’un après l’autre.

D’un Jardinier et d’un Ours.

Il y avait autrefois un Jardinier qui aimait tant les jardinages qu’il s’éloigna de la compagnie des Hommes pour se donner tout entier au soin de cultiver les plantes. Il n’avait ni Femme ni Enfants, et depuis le matin jusqu’au soir il ne faisait que travailler dans son jardin, qu’il rendit aussi beau que le paradis terrestre. À la fin, le bonhomme s’ennuya d’être seul dans sa solitude. Il prit la résolution de sortir de son jardin pour chercher compagnie. En se promenant au pied d’une montagne, il aperçut un Ours dont les regards causaient de l’effroi. Cet animal s’était aussi ennuyé d’être seul et n’était descendu de la montagne que pour voir s’il ne rencontrerait point quelqu’un avec qui il pût faire société. Aussitôt qu’ils se virent, ils sentirent de l’amitié l’un pour l’autre. Le Jardinier aborda l’Ours qui lui fit une profonde révérence. Après quelques civilités, le Jardinier fit signe à l’Ours de le suivre et l’ayant mené dans son jardin, lui donna de fort beaux fruits qu’il avait conservés soigneusement et enfin il se lia entre eux une étroite amitié. Quand le Jardinier était las de travailler, et qu’il voulait se reposer, l’Ours par affection demeurait auprès de lui et chassait les Mouches de peur qu’elles ne l’éveillassent. Un jour que le Jardinier dormait au pied d’un arbre et que l’Ours selon sa coutume écartait les Mouches, il en vint une se poser sur la bouche du Jardinier, et quand l’Ours la chassait d’un côté, elle se remettait de l’autre, ce qui le mit dans une si grande colère qu’il prit une grosse pierre pour la tuer. Il la tua à la vérité, mais en même temps il écrasa la tête du Jardinier. C’est à cause de cela que les gens d’esprit disent qu’il vaut mieux avoir un sage ennemi qu’un ami ignorant.

D’un Faucon et d’une Poule.

Un Faucon disait à une Poule: – Vous êtes une ingrate. – Quelle ingratitude avez-vous remarquée en moi? répondit la Poule. – En est-il une plus grande, reprit le Faucon, que celle que vous faites voir à l’égard des Hommes? Ils ont un extrême soin de vous. Le jour, ils cherchent de tous côtés de quoi vous nourrir et vous engraisser, et la nuit, ils vous préparent un lieu pour dormir. Ils ont bien soin de tout fermer, de peur que votre repos ne soit interrompu par quelque autre animal, et cependant, lorsqu’ils veulent vous prendre, vous fuyez, ce que je ne fais pas, moi qui suis un Oiseau sauvage. À la moindre caresse qu’ils me font, je m’apprivoise, je me laisse prendre et je ne mange que dans leurs mains. – Cela est vrai, répliqua la Poule, mais vous ne savez pas la cause de ma fuite: c’est que vous n’avez jamais vu de Faucon à la broche et j’ai vu des poules à toutes sortes de sauces. – J’ai rapporté cette fable pour montrer que ceux qui veulent s’attacher à la cour n’en connaissent pas les désagréments.

D’un Chasseur et d’un Loup

Un grand Chasseur revenant un jour de la chasse avec un Daim qu’il avait pris, aperçut un Sanglier qui venait droit à lui. – Bon, dit le Chasseur, cette bête augmentera ma provision. – Il banda son arc aussitôt et décocha sa flèche si adroitement qu’il blessa le Sanglier à mort. Cet animal, se sentant blessé, vint avec tant de furie sur le Chasseur qu’il lui fendit le ventre avec ses défenses, de manière qu’ils tombèrent tous deux sur la place. Dans ce temps-là il passa par cet endroit un Loup affamé qui, voyant tant de viande par terre, en eut une grande joie. – Il ne faut pas, dit-il en lui-même, prodiguer tant de biens, mais je dois, ménageant cette bonne fortune, conserver toutes ces provisions. – Néanmoins, comme il avait faim, il en voulut manger quelque chose. Il commença par la corde de l’arc, qui était de boyau, mais il n’eut pas plus tôt coupé la corde que l’arc, qui était bien bandé, lui donna un si grand coup contre l’estomac qu’il le jeta tout raide mort sur les autres corps. Cette fable fait voir qu’il ne faut point être avare.

D’un Homme et d’une Couleuvre

Un feu allumé par une caravane gagne de proche en proche, et se répand autour d’une Couleuvre. Un Homme veut la sauver en lui jetant un sac. Celle-ci, en remerciement, cherche à tuer son sauveur. L’Homme crie à l’ingratitude. Le Serpent proteste. On choisit pour arbitre la Vache. La Couleuvre lui demanda comment il fallait reconnaître un bienfait. – Par son contraire, répondit la Vache, selon la loi des Hommes, et je sais cela par expérience. J’appartiens, ajouta-t-elle, à un Homme qui tire de moi mille profits. Je lui donne tous les ans un Veau, je fournis sa maison de lait, de beurre et de fromage, et à présent que je suis vieille et que je ne suis plus en état de lui faire du bien, il m’a mise dans ce pré pour m’engraisser, dans le dessein de me faire couper la gorge par un boucher à qui il m’a déjà vendue. – L’Homme répond qu’un témoin ne suffit pas. On en choisit un second, l’Arbre. L’Arbre ayant appris le sujet de leur dispute, leur dit: – Parmi tous les Hommes les bienfaits ne sont récompensés que par des maux, et je suis un triste exemple de leur ingratitude. Je garantis les passants de l’ardeur du soleil. Oubliant toutefois bientôt le plaisir que leur a fait mon ombrage, ils coupent mes branches, en font des bâtons et des manches de cognée et, par une horrible barbarie, ils scient mon tronc pour en faire des ais. N’est-ce pas là reconnaître un bienfait reçu? – L’Homme demande un troisième arbitre. Passe un Renard. Il ne veut pas croire qu’une si grosse Couleuvre ait pu entrer dans un si petit sac. Il demande la preuve. La Couleuvre se prête à l’expérience. Sur le conseil du Renard, l’Homme lie le sac et le frappe tant de fois contre une pierre qu’il assomme la Couleuvre et finit par ce moyen la crainte de l’un et les disputes de l’autre.

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