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— Prévenez Mrs. Humphrey pendant que je sors la voiture. Venez avec moi, François. Vous ouvrirez les portes.

Ils allèrent au garage. En chemin, elle mit François au courant.

— Jonathan a disparu dans des conditions très mystérieuses, paraît-il. L'infirmière de garde n'a rien vu et elle n'a pourtant pas quitté son bureau de la nuit… Comme je regrette, François, que vous soyez mêlé à tous ces malheurs!

Voulait-elle lui suggérer de rentrer à Paris? Non, car elle ajouta aussitôt:

«Vous êtes là, heureusement. Occupez-vous bien de Bob. Je tremble autant pour lui que pour Jonathan.

François n'eut pas le loisir de réfléchir à cette bizarre réflexion, car Bob arrivait en courant. Il se jeta dans la voiture.

— Que dit Mrs. Humphrey? demanda Miss Mary.

— Elle est scandalisée, comme toujours. Durant le trajet, personne ne parla. François

revoyait le couloir où l'homme aux cheveux roux semblait guetter. Pas moyen d'y accéder sans passer devant l'infirmière de surveillance. Encore un mystère. Mais ce mystère était encore bien plus incompréhensible que ne le pensait François. Quand l'inspecteur, une demi-heure plus tard, leur montra les lieux, ils eurent l'impression que l'impossible était réalisé. Deux policemen gardaient l'entrée du couloir et Morrisson examinait minutieusement la chambre.

— Oh, dit-il, c'est absurde mais c'est tout simple. La chambre donne sur une cour, mais nous avons trouvé la fenêtre fermée. Donc personne n'est passé par là. D'autre part, le corridor aboutit à une sortie de secours, dont la porte, qui ne s'ouvre que de l'intérieur, est, elle aussi, toujours fermée. A moins d'admettre une complicité dans la place, personne n'a pu entrer par là non plus. Reste le corridor qui, à son autre extrémité, passe devant la petite salle où il y a, jour et nuit, une infirmière. Or, personne n'est passé devant elle. Voilà… Vous voyez, les données du problème ne sont pas nombreuses. Ou la fenêtre, ou l'issue de secours, ou le corridor. Mais nous savons qu'aucune de ces hypothèses ne tient debout. Ajoutez que M. Skinner dormait. On lui avait administré, comme chaque soir, un somnifère… Pour emporter un homme endormi, il faut se mettre à deux ou trois ou alors être diablement costaud. N'importe comment, on fait fatalement du bruit. Or, Miss North, l'infirmière de nuit, n'a rien vu, rien entendu. Et je vous précise tout de suite que c'est une femme au-dessus de tout soupçon. Elle n'a rien vu, rien entendu, et elle n'a pas une seconde quitté son poste… Incroyable! C'est incroyable!

L'inspecteur ne tenait pas en place. Il passait de la chambre dans le couloir, revenait dans la chambre, déplaçait machinalement les médicaments sur la table de chevet, ouvrait et refermait l'armoire qui contenait un peu de linge et répétait, de temps en temps: incroyable!

Bob, atterré, rongeait ses ongles. Miss Mary s'était composé un visage impassible. Elle n'était pas femme à montrer ses émotions en public. Et François, un peu en arrière, s'interrogeait, repris par son débat intérieur. Quel verdict fallait-il rendre: Coupable? Innocente? Le moment était-il venu de raconter l'équipée de la veille, de parler de la valise? Et si elle agissait sous la contrainte? Si elle était, elle aussi, menacée d'enlèvement ou de mort?

— Le motif est clair, disait l'inspecteur. Le voleur n'a pas trouvé dans le dossier qu'il a emporté tous les éléments dont il a besoin pour tirer parti de l'invention. Il a donc enlevé M. Skinner et compte sans doute le faire parler.

— Jonathan ne parlera pas, dit Miss Mary.

— Dans ce cas…

Morrisson haussa les épaules. Pour lui, il n'y avait pas à se leurrer: l'ingénieur était condamné.

— Oh! ajouta-t-il pour paraître optimiste, on le retrouvera. Ce n'est pas facile de transporter un grand blessé sans être remarqué. Il a fallu une voiture transformée en ambulance, ou bien une ambulance volée… Ce véhicule a stationné… Des gens l'ont vu… Non, de ce côté-là, je ne m'inquiète pas. Nous ne tarderons pas à relever une piste. La seule question est de savoir comment M. Skinner a supporté le transport. Je suppose qu'on ne l'a pas emmené trop loin; dans la banlieue, sans doute.

François et Bob échangèrent un regard. Ils pensaient, l'un et l'autre, à la maison où les avait conduits l'homme à l'Austin. Mais ils ignoraient où se trouvait cette maison; alors, à quoi auraient servi leurs déclarations?… Et pourtant, c'était un supplice de tenir un fragment de vérité et de se taire, quand M. Skinner, faute des soins nécessaires, était peut-être en train de mourir. Un supplice plus grand encore pour François. N'aurait-il pas dû dénoncer Miss Mary? Il faillit parler, se retint. Non! C'était décidément au-dessus de ses forces. Il n'y avait qu'à laisser agir la police.

L'inspecteur, justement, leur conseillait de rentrer. Il avait seulement voulu, en les faisant venir à l'hôpital, leur montrer les difficultés de la tâche et prévenir ainsi tout reproche de lenteur et d'inefficacité.

Ils revinrent donc, tristement, et ressassant les mêmes questions: Comment s'y était-on pris pour faire sortir le blessé? Y avait-il eu une complicité dans l'hôpital? Mais non, l'inspecteur avait dit que l'infirmière de garde était au-dessus de tout soupçon.

Miss Mary écoutait distraitement les propos des garçons. Elle semblait étrangère à la discussion. «Pardi, pensa François, elle sait, elle, ce qui s'est passé et où on a caché M. Skinner.

Elle connaît la maison!..» Et un projet se forma peu à peu dans son esprit… Il fallait la surveiller constamment, écouter ses paroles si elle téléphonait, ne pas dormir, monter la garde à la fenêtre, au cas où l'inconnu reviendrait lui parler à la grille… Tout cela était un peu chimérique, soit! Mais il n'en restait pas moins que Miss Mary pouvait conduire à M. Skinner. C'était là, du moins, une hypothèse à ne pas écarter. Certes, François ne nourrissait aucune illusion: il savait bien qu'il était à peu près impuissant; que, si la jeune femme sortait sous prétexte de faire des courses, il ne pourrait pas la suivre; que, si elle écrivait, il ne pourrait pas intercepter la lettre… Mais il lui suffirait de recueillir de nouveaux indices, même minuscules, pour alerter Morrisson. Dénoncer Miss Mary? Pourquoi pas? Puisque, maintenant, la vie de M. Skinner ne tenait plus qu'à un fil!

La routine des gestes quotidiens les reprit; ils laissèrent la voiture devant le perron et, tandis que Miss Mary allait mettre la gouvernante au courant des événements, Bob commença à sortir les assiettes et les couverts et François écrivit une petite lettre pour ses parents, où il parlait beaucoup de Mme Tussaud, mais très peu de la famille Skinner. Mrs. Humphrey avait fait cuire un poulet auquel on ne toucha guère. Bob avait mal à la tête.

— Moi-même, dit Miss Mary, je ne me sens pas très bien. Il faut pourtant que je songe au ravitaillement. Nous allons manquer de tout.

François dressa l'oreille.

— Je peux vous aider? proposa-t-il.

— Oh non! Merci. Je suis habituée à me débrouiller. Tenez plutôt compagnie à Bob.

François ne fut pas dupe. Ce qu'il avait prévu arrivait. Elle allait rejoindre l'homme roux; il le sentait. Que faire? Il avait beau passer en revue toutes sortes de plans, aucun n'était réalisable. Cependant, à force de chercher, il trouva une idée qui ne valait peut-être pas cher, mais qui n'était pas idiote. Il se mit à la creuser, tout en aidant Bob à débarrasser la table.

— Tu devrais te reposer un peu, dit-il. Une petite sieste et tu seras d'aplomb. Moi, pendant ce temps, je ferai du courrier. Vers quatre heures, s'il ne pleut pas, on essaiera de sortir, hein? Et puis, crois-moi, Morrisson n'est sans doute pas un superman, mais il dispose de moyens formidables. Alors, il faut avoir confiance.

Bob avala deux cachets et consentit à s'étendre. Aussitôt, François avertit Miss Mary qu'il sortait pour acheter des cartes postales, et il fit mine de s'éloigner. Mais en quelques bonds, il se cacha derrière la Daimler. C'était maintenant ou jamais…

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