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— Moi, les étoiles, dit-il, ça ne me touche pas beaucoup. Les vraies, on ne les voit pas souvent et, quand elles se montrent, je dors. En ce moment, je ferais bien un petit somme. Pas toi? Tu n'es pas fatigué?

Oh si! François était rompu. Mais, surtout, il était accablé de tristesse. Miss Mary paraissait si nette, si incapable d'une mauvaise action! Et pourtant, elle était la complice de l'homme à l'Austin. Et celui-ci était l'ennemi de M. Skinner. François, s'il parlait, trahirait la jeune femme; et, s'il se taisait, il trahirait l'ingénieur. Dans tous les cas, il aurait le mauvais rôle. Restait une possibilité: rentrer en France. C'est-à-dire quitter la partie d'une manière honteuse, en laissant le mensonge triompher. Cette fois, il trahirait Bob, en l'abandonnant. Que lui importaient la Voie Lactée, les années-lumières, et l'univers en expansion, puisqu'il demeurait prisonnier de la famille Skinner!

— Je suis comme toi, dit-il. Je n'en peux plus.

— Eh bien, rentrons.

Ils prirent un autobus, arrivèrent pour le thé. Miss Mary était là.

— Mais vous êtes trempés! s'écria-t-elle. Qu'est-ce que vous avez fait?

— On a marché un peu, expliqua Bob.

— Allez vite vous changer.

Pleine d'une sollicitude qui n'était pas feinte. Souriante aussi. Tellement maîtresse d'elle-même! Et ce regard bleu, franc, direct, qui se livrait jusqu'au fond! François, le cœur lourd, changea de chaussures, revêtit un pantalon de flanelle et un pull bien chaud. Mais, avant de redescendre, il ouvrit son «cahier», hésita un moment. Il y avait tant de choses à noter! Finalement, il écrivit le commentaire qui résumait le mieux sa pensée:

Je n'y comprends rien!

Il glissa le bloc au plus profond de l'armoire, sous ses chemises et ses mouchoirs.

Bob racontait la visite chez M" " Tussaud. Lui aussi était parfaitement naturel et, pour reprendre son mot favori: décontracté. A le voir beurrer ses toasts, qui aurait cru que, quelques heures plus tôt, il roulait, dans la banlieue, poursuivi par un homme prêt à tout…, le même homme qui, la nuit précédente… François prit, d'une main qui tremblait un peu, la tasse offerte par Miss Mary.

— Quels sont vos projets pour demain? demanda-t-elle.

— Demain, répliqua Bob presque sèchement, on opère papa… Alors, il n'y a pas de projets. Nous verrons… Si tout se passe bien, nous irons peut-être au British Museum.

— Bob, dit doucement Miss Mary, croyez bien que je suis aussi anxieuse que vous. Mais raison de plus pour faire des projets, comme si la vie devait toujours nous obéir. C'est donc entendu. Vous irez au British Museum. C'est la meilleure façon d'assister votre père, de lui prouver que vous êtes confiant. Il a tant besoin qu'on lui donne confiance!

Une seconde, elle faillit perdre son sang-froid. Il y eut, au coin de sa bouche, un imperceptible tremblement. Ah! Savoir ce qui se cachait derrière ce masque de froide gentillesse! A coup sûr, elle tremblait pour M. Skinner. Mais alors pourquoi livrait-elle, la nuit, ces objets absurdes à celui qui rôdait dans les couloirs de l'hôpital comme s'il préparait quelque nouvelle agression?

Chantage? L'idée de chantage s'imposait à François, bien qu'elle demeurât indéfendable. Cependant, l'imminence de l'opération lui permettait de ne rien décider encore. En un sens, elle tombait bien, cette opération. Il ne parlerait qu'après, s'il choisissait de partir. Aussi retrouva-t-il un peu d'entrain et était-il prêt à admirer les dessins de Bob, quand ce dernier l'emmena au grenier, en grand mystère.

Mais François fut sincèrement étonné: autant qu'il pouvait en juger, Bob avait plus que des dispositions. François s'était attendu à voir des croquis appliqués, scolaires; et il était en présence d'esquisses qui affirmaient un vrai talent de caricaturiste. En quelques traits, Bob avait silhouetté de la manière la plus amusante Mrs. Humphrey. Les lunettes relevées sur le haut de la tête, la bouche amère, l'œil réprobateur, la pauvre gouvernante était plus vraie que nature. Et Miss Mary avait été exécutée avec la même verve. Ce n'était plus un portrait. C'était le pilori. Chaque détail était exact, mais l'ensemble exprimait une indifférence dédaigneuse qui n'existait pas chez le modèle.

— Tu es dur, dit François. Mais tu as un sacré coup de crayon.

— C'est vrai? fit Bob, ravi. Attends. Je vais te montrer mes profs.

Il n'était pas surprenant que Bob préférât cacher, à tous, ses dessins, excessifs, féroces, irrésistibles.

— Je croyais que tu peignais, reprit François.

— Quelquefois. Mais j'aime mieux ce genre. Ça va vite et c'est bien plus amusant.

— Mais, à Paris, tu ne m'avais pas mis au courant.

— Je n'ai pas osé. C'est méchant ce que je fais; tu ne trouves pas?

— Oui. Un peu.

– Ça me soulage. Après chaque portrait, je me sens heureux. Je ne sais pas bien expliquer cela.

— Moi…, tu ne veux pas me caricaturer, là, en vitesse?

— Non. Pas toi. Parce que… parce que toi, je t'aime bien.

Ils parlèrent encore longtemps, et bientôt grandit entre eux une intimité qui n'avait plus rien de commun avec la camaraderie que le hasard seul des circonstances avait fait naître. La pluie crépitait sur le toit, à toucher leurs têtes, et déjà l'ombre du soir commençait à se glisser le long des poutres jusque vers les coins encombrés de vieilleries et de choses au rebut.

Assis par terre, jambes écartées, comme des gamins jouant avec des pâtés de sable, ils discutaient gravement, évoquaient l'avenir.

— Papa construit des marionnettes. J'ai bien le droit de faire des caricatures. Peut-être qu'en me perfectionnant, je pourrais entrer dans un journal…, ou bien me tourner vers le théâtre; tu sais, les maquettes, ça me plairait bien.

Pauvre vieux Bob, qui ne se doutait pas que le malheur allait venir, comme cette nuit qui, maintenant, envahissait le grenier. Peut-être était-ce le moment de tout lui révéler? Mais où prendre le courage de détruire cette merveilleuse entente? Et ce fut la voix de Mrs. Humphrey qui la rompit: le dîner était prêt. Dommage! Presque à tâtons, Bob remit ses dessins dans leur cachette et les deux garçons descendirent. Le dîner fut morne. Miss Mary, préoccupée, laissait tomber la conversation. François sentait ses yeux qui se fermaient. Deux nuits sans sommeil, ou presque. C'était plus qu'il n'en pouvait supporter. Aussi se retira-t-il dès que la bienséance le lui permit. Pas de méditations vaines, pas de notes; demain, peut-être…

Et ce fut le lendemain, comme dans un conte de fée où il suffit de faire un vœu, même imprudent, pour qu'il soit aussitôt exaucé. Le coup de téléphone survint, alors que François était sous la douche. Il entendit vaguement tout un remue-ménage, des appels, et une brusque angoisse lui bloqua le cœur. Est-ce que M. Skinner?… Mais le médecin était confiant. Et d'ailleurs, l'opération ne devait avoir lieu que plus tard, dans la matinée. Il arrêta la douche et achevait de s'habiller rapidement, quand Bob tambourina à la porte.

— Eh bien, entre.

Bob était si ému et si essoufflé qu'il ne pouvait parler.

— Papa… papa… enlevé!

— Comment ça?

— Kidnappé, si tu préfères… Morrisson vient… de nous prévenir.

François accompagna son ami qui retenait difficilement ses larmes et trouva Miss Mary dans le bureau. Elle était assise, toute droite, devant le téléphone, le visage crispé, les yeux trop brillants. Elle murmura, d'une voix méconnaissable:

— Rien ne nous sera épargné.

Mais, puisqu'elle était la complice du gangster, elle devait bien être au courant de ses projets. Alors, pourquoi cet accablement? Car elle ne jouait pas la comédie. Visiblement, elle était désespérée.

— Bob, dit-elle encore, il faut m'aider. Il faut être gentil.

Elle se passa la main sur les paupières, comme quelqu'un qui essaie de vaincre un étourdissement, et reprit d'une voix plus ferme:

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