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Je ne sais quelle, force désespérée m'y poussait, j'avais comme une sourde envie de la posséder encore une fois, de boire sur son corps magnifique toutes ces larmes améres et de nous tuer après tous les deux. Enfin, je l'abhorrais et je l'idolâtrais…

À la gare, j'entrai dans le hall d'attente d'un pas résolu, avec la désinvolture d'un conquérant. Après le port du Pacifique, tout dans ce bâtiment me paraissait petit, campagnard. Les horaires des trains sur le tableau d'affichage poussiéreux, la ligne terne des lampes sous leur boule de verre mat, quelques voyageurs avec leurs bagages rustiques. J'allai dans la petite salle d'attente. Je croyais déjà voir le reflet de ses cheveux roux au-dessus des rangées de chaises… Mais la femme n'y était pas. Interdit, je fis le tour de la salle: la vitrine du kiosque avec les sourires déteints des cosmonautes, le buffet avec la vendeuse ensommeillée, les fenêtres givrées… Je ne pouvais même pas supposer que la femme rousse puisse être absente. Surtout le jour de la tempête de neige…Le jour d'un choix si important et définitif!

Je sortis sur le quai. Les wagons dormaient sous d'épais édredons de neige. Une balayeuse armée d'une large pelle frayait lentement un étroit passage vers les entrepôts. «Mais où peut-elle traîner à cette heure-ci?», me demandai-je avec agacement, en observant toute cette immobilité provinciale.

Soudain, la réponse toute simple me vint à l'esprit: «Que je suis bête! Mais elle doit être avec quelqu'un… Quelqu'un est en train de "la faire" en ce moment!»

Je sentis une joie mauvaise étirer mes lèvres dans un sourire méchant. D'un pas rapide, je traversai la gare et, empruntant les passages percés au milieu des congères, j'allais à l'autre bout de Kajdaï vers son isba…

«Oui, je vais attendre à deux pas de sa porte, me disais-je, je vais attendre que ça finisse…» Et la perversité de mon désir gagnait en intensité. Je sentais son goût sur mes lèvres irritées par l'alcool. Le corps de la Rousse serait encore tout chaud. Une masse réchauffée prête à pétrir…

De son isba on ne voyait que le haut du toit, la cheminée sous son couvercle noirci. Et le bouleau à moitié noyé dans la neige, avec sa petite maisonnette d'oiseaux. Le soleil s'était déjà caché derrière la frange crénelée de la taïga. Dans le crépuscule d'avril, bleu et limpide, les branches de ce bouleau, le faîte du toit, les contours des dunes immaculées se profilaient avec une netteté surnaturelle. Et au milieu de cette sérénité, je sentais avec un étrange détachement ma propre présence, semblable à un ressort pressé à l'extrême.

Je vis la longue trace sombre dans la neige: la percée qui conduisait à la porte de son isba. Je m'en approchai avec précaution pour ne pas faire entendre le crissement de mes pas. La percée était déjà remplie de l'ombre violette du soir.

Je vis les marches de neige tassée qui descendaient vers le fond, vers l'entrée. En m'inclinant au-dessus de cette trouée étroite, je perçai du regard sa profondeur…

À mon plus grand étonnement, la porte de l'isba n'était pas fermée. Une lumière tamisée éclairait le perron et le seuil de la maison. J'entendis d'abord un léger martèlement, une série de petits coups que produit d'habitude une hache quand on fend de fines bûchettes pour allumer le poêle. Oui, quelqu'un préparait du bois et avait ouvert la porte pour aérer l'isba ensevelie. Ce bruit familier me déconcerta. Allais-je descendre tout de suite? Ou attendre un peu?

C'est à ce moment que j'entendis sa voix…

C'était un chant qui semblait venir de très loin, comme s'il avait eu à parcourir des espaces infinis avant de commencer à ruisseler dans cette isba enneigée. La voix était presque faible, mais il y avait en elle cette étonnante liberté pure et vraie des chansons qu'on chante dans la solitude, pour soi-même, pour le vent, pour le silence du soir. Les paroles venaient au rythme de la respiration, interrompues de temps à autre par le craquement du bois fendillé. Elles ne s'adressaient à personne, mais se fondaient imperceptiblement dans l'ombre bleue de l'air fraîchissant, dans l'odeur de la neige, dans le ciel.

Je ne bougeais plus, tendant l'oreille à cette voix venant du fond des neiges.

L'histoire de la chanson était toute simple. Celle qu'aurait évoquée n'importe quelle femme, le soir, le regard perdu dans la danse fluide des flammes. L'attente désespérée du bien-aimé, l'oiseau qui s'envole – heureux, lui! – au-dessus de la steppe, les froids qui brûlent les fleurs d'été…

Oui, cette histoire, je la connaissais par cœur. Je n'écoutais que la voix. Et je ne comprenais plus rien!

Il y avait cette voix simple et douce, le ciel dont la profondeur foncée s'emplissait des premières étoiles, le souffle pénétrant de la taïga toute proche. Et le bouleau solitaire avec sa maisonnette encore vide, cet arbre gardant un silence attentif dans l'air mauve du crépuscule.

Je me redressai au-dessus de la percée, je regardai autour de moi. La voix qui s'écoulait sous le ciel, surgissant de cette ombre violette à mes pieds, semblait mystérieusement relier le silence limpide du soir et nos deux présences, si proches et si différentes. Et plus je m'imprégnais de cette secrète harmonie, plus mes rêves fébriles me paraissaient insignifiants. Dans ma jeune tête grisée s'éteignaient lentement les répliques des disputes qui m'excitaient depuis tant de jours. Des paroles monotones, d'abord, semblables à celles du vieux Chinois dans notre wagon: oui, disait-il, ainsi va la vie, une prostituée rousse dont le corps étanchera les désirs des hommes jeunes et âgés qui tous mourront en leur temps, et une autre femme viendra, brune ou blonde peut-être, et d'autres hommes rechercheront dans son corps l'introuvable étincelle d'amour; il y aura de nouveaux hivers et de nouveaux redoux, et de nouvelles tempêtes, et des étés courts comme l'instant de plaisir, et il y aura toujours un soir dans la vie de cette femme où elle sera assise devant le feu en chantant à mi-voix une chanson que personne n'entendra…

Ainsi parlait dans ma tête la voix impassible de l'Asie.

Une autre l'interrompait pour souffler: la première fois tu avais été naïf et inconscient, essaye à présent de jouir de ton désir pensé, de la compréhension du désir, de ta pensée victorieuse. Compose avec ce corps, avec tes sensations répertoriées une belle histoire d'amour. Dis-la, raconte-la, pense-la!

L'écho de ces paroles se tut… M'éloignant de l'isba de la femme rousse, j'allai m'asseoir dans la neige, le dos contre le tronc d'un cèdre. J'enlevai ma chapka, je déboutonnai ma touloupe. Le vent ondoyant glaça mon front humide. Une étoile basse brillait dans le ciel comme une larme hésitante. L'instant que je vivais avait lui aussi la pureté fragile d'une larme. Tout cet univers nocturne ressemblait à ce cristal vivant suspendu aux battements des cils de quelqu'un d'invisible. Je me sentais regardé par ses yeux immenses. J'étais à l'intérieur de cette larme fragile, dans sa densité limpide.

De l'étroite percée montait la voix lointaine de la femme rousse. Oui, de cette femme au grand corps flétri, au visage usé par les regards de tous les hommes qui s'étaient débattus sur son ventre, cette femme avec son éternelle attente d'un train pour nulle part, avec ses photos aux bords ouvragés, avec ses larmes avinées…

Elle était tout cela. Elle était tout autre. La voix qui s'élevait vers les frémissements de la première étoile. La plaine blanche qui se tapissait de la transparence bleutée de la nuit. La senteur de la fumée du feu ravivé. Et ces immenses yeux emplissant toute la profondeur du ciel.

Mes cils tremblèrent, tout se fondit, se troubla. Un tracé chaud me chatouilla la joue…

Je n'étais jamais encore rentré au village en pleine nuit. Jamais je n'avais marché aussi longtemps sur la longue crête des dunes surplombant l'Oleï, à l'ombre de la taïga endormie. Je m'avançais à peine, sans penser à quelque danger que ce soit, ni à la présence invisible des loups. À des moments comme cela, l'homme est ménagé par le destin, guidé par le clair de lune comme un somnambule… Je m'efforçais de me rappeler le visage de la femme rousse. En vain. L'ovale terne peint à l'aquarelle pâle apparaissait là où je cherchais ses traits. Soudain, le souvenir des photos revint. Une jeune femme tenant un enfant dans ses bras, sa silhouette sur l'herbe ensoleillée, le scintillement d'une rivière… Je marchais en regardant ces yeux souriants.

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