Литмир - Электронная Библиотека
A
A

– T’ai-je fait peur, mon ange? dit Mergy à genoux devant elle et se penchant sur ce coussin où la belle comtesse venait de laisser retomber sa tête.

– Te voilà donc enfin! Dieu soit loué!

– Me suis-je fait attendre? Il est encore loin de minuit.

– Ah! laissez-moi… Bernard… On ne vous a pas vu entrer?

– Personne… Mais qu’as-tu, mon amour? Pourquoi donc ces jolies petites lèvres fuient-elles les miennes?

– Ah! Bernard, si tu savais… Oh! ne me tourmente pas, je t’en prie… Je souffre horriblement, j’ai une migraine effroyable… Ma pauvre tête est en feu.

– Pauvre amie!

– Assieds-toi près de moi… et, de grâce, ne me demande rien aujourd’hui… Je suis bien malade.

Elle enfonça sa jolie figure dans un des coussins du lit de repos, et laissa échapper un gémissement douloureux. Puis tout d’un coup elle se releva sur le coude, secoua ses cheveux épais qui lui couvraient toute la figure, et, saisissant la main de Mergy, elle la posa sur sa tempe. Il sentit battre l’artère avec force

– Ta main est froide: elle me fait du bien, dit-elle.

– Ma bonne Diane! que je voudrais avoir la migraine à ta place! dit-il en baisant ce front brûlant.

– Ah! oui… et moi je voudrais… Pose le bout de tes doigts sur mes paupières, cela me soulagera… Il me semble que si je pleurais je souffrirais moins; mais je ne puis pleurer.

Il y eut un long silence, interrompu seulement par la respiration irrégulière et oppressée de la comtesse. Mergy, à genoux auprès du lit, frottait doucement et baisait quelquefois les paupières baissées de sa belle Diane. Sa main gauche était appuyée sur le coussin, et les doigts de sa maîtresse, enlacés dans les siens, les serraient de temps en temps et comme par un mouvement convulsif. L’haleine de Diane, douce et brûlante à la fois, venait chatouiller voluptueusement les lèvres de Mergy.

– Chère amie, dit-il enfin, tu me parais tourmentée par quelque chose de plus qu’une migraine. As-tu quelque sujet de chagrin?… Et pourquoi ne me le dis-tu pas, à moi? Ne sais-tu pas que, si nous nous aimons, c’est pour partager nos peines aussi bien que nos plaisirs?

La comtesse secoua la tête sans ouvrir les yeux. Ses lèvres remuèrent, mais sans former un son articulé; puis, comme épuisée par cet effort, elle laissa retomber sa tête sur l’épaule de Mergy. En ce moment l’horloge sonna onze heures et demie. Diane tressaillit et se leva sur son séant toute tremblante.

– En vérité, vous m’effrayez, belle amie!

– Rien… rien encore, dit-elle d’une voix sourde… Le son de cette horloge est affreux! À chaque coup, il me semble sentir un fer rouge qui me traverse la tête.

Mergy ne trouva pas de meilleur remède et de meilleure réponse que de baiser le front qu’elle penchait vers lui. Tout d’un coup elle étendit les mains, et, les posant sur les épaules de son amant, tandis que, toujours à demi couchée, elle attachait sur lui des regards étincelants qui semblaient pouvoir le traverser:

– Bernard, dit-elle, quand te convertiras-tu?

– Mon cher ange, ne parlons pas de cela aujourd’hui, cela te rendrait encore plus malade.

– C’est ton opiniâtreté qui me rend malade… mais il t’importe peu. D’ailleurs le temps presse; et, fussé-je mourante, je voudrais employer pour t’exhorter jusqu’à mon dernier soupir…

Mergy voulut lui fermer la bouche par un baiser. C’est un argument assez bon, et qui sert de réponse à toutes les questions qu’un amant peut entendre de sa maîtresse. Mais Diane, qui d’ordinaire lui épargnait la moitié du chemin, le repoussa cette fois avec force et presque avec indignation.

– Écoutez-moi, monsieur de Mergy, tous les jours je verse des larmes de sang en pensant à vous et à votre erreur. Vous savez si je vous aime! Jugez quelles doivent être les souffrances que j’endure quand je songe que celui qui est pour moi bien plus cher que la vie peut, dans un moment peut-être, périr corps et âme.

– Diane, vous savez que nous étions convenus de ne plus parler ensemble de pareils sujets.

– Il le faut, malheureux! Qui te dit que tu as encore une heure pour te repentir?

Le ton extraordinaire de sa voix et son langage bizarre rappelèrent involontairement à Mergy l’avis singulier qu’il venait de recevoir de Béville. Il ne put s’empêcher d’en être ému, cependant il se contint; mais il n’attribua qu’à la dévotion ce redoublement de ferveur convertissante.

– Que voulez-vous dire, belle amie? Croyez-vous que le plafond, pour tuer un huguenot, va tomber tout exprès sur sa tête, comme la nuit dernière le ciel de votre lit? Heureusement nous en fûmes quittes pour un peu de poussière.

– Votre opiniâtreté me met au désespoir!… Tenez, j’ai rêvé que vos ennemis se disposaient à vous tuer… et je vous voyais, sanglant et déchiré par leurs mains, rendre l’âme avant que je pusse amener mon confesseur auprès de vous.

– Mes ennemis? je ne croyais pas en avoir.

– Insensé! n’avez-vous pas pour ennemis tous ceux qui détestent votre hérésie? N’est-ce pas toute la France? Oui, tous les Français doivent être vos ennemis tant que vous serez l’ennemi de Dieu et de l’Église.

– Laissons cela, ma reine. Quant à vos rêves, adressez-vous à la vieille Camille pour vous les faire expliquer; moi, je n’y entends rien. Mais parlons d’autre chose. Vous avez été à la cour aujourd’hui, ce me semble: c’est de là, je pense, que vous avez rapporté cette migraine qui vous fait souffrir et qui me fait enrager?

– Oui, je viens de la cour, Bernard. J’ai vu la reine, et je suis sortie de chez elle… déterminée à tenter un dernier effort pour vous faire changer… Il le faut, il le faut absolument!…

– Il me semble, interrompit Bernard, il me semble, ma belle amie, que, puisque vous avez la force de prêcher avec tant de véhémence malgré votre maladie, nous pourrions, si vous vouliez bien le permettre, nous pourrions encore mieux employer notre temps.

Elle reçut cette raillerie avec un regard de dédain mêlé de colère.

– Réprouvé! dit-elle à voix basse et comme se parlant à elle-même, pourquoi faut-il que je sois si faible avec lui?

Puis, continuant plus haut:

– Je le vois assez clairement, vous ne m’aimez pas, et je suis auprès de vous en même estime qu’un cheval. Pourvu que je serve à vos plaisirs, qu’importe que je souffre mille maux!… C’est pour vous, pour vous seul, que j’ai consenti à souffrir les tourments de ma conscience, auprès desquels toutes les tortures que peut inventer la rage des hommes ne sont rien. Un seul mot de votre bouche me rendrait la paix de l’âme; mais ce mot, jamais vous ne le prononcerez! Vous ne voudriez pas me faire le sacrifice d’un de vos préjugés.

– Chère Diane, quelle persécution faut-il que j’endure! Soyez juste, et que votre zèle pour votre religion ne vous aveugle pas. Répondez-moi: pour tout ce que mon bras ou mon esprit peuvent faire, trouverez-vous ailleurs un esclave plus soumis que moi? Mais, s’il faut vous le répéter encore, je pourrais mourir pour vous, mais non croire à de certaines choses.

46
{"b":"100882","o":1}