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Une nuit, oppressé par la chaleur étouffante (c’était au mois de juillet), il voulut sortir de sa chambre pour se promener et respirer l’air dans un jardin planté d’arbres, au milieu duquel était située la maison. Il mit un manteau sur ses épaules et voulut sortir; mais il trouva que la porte de sa chambre était fermée à clef en dehors. Il pensa que ce ne pouvait être qu’une méprise de la vieille qui le servait; et comme elle couchait loin de lui, et qu’à cette heure elle devait être profondément endormie, il jugea tout à fait inutile de l’appeler. D’ailleurs sa fenêtre était peu élevée; au bas la terre était molle, pour avoir été fraîchement remuée. En un instant il se trouva dans le jardin. Le temps était couvert; pas une étoile ne montrait le bout de son nez, et de rares bouffées de vent traversaient de temps en temps, et comme avec peine, l’air chaud et lourd. Il était environ deux heures du matin, et le plus profond silence régnait aux environs.

Mergy se promena quelque temps absorbé dans ses rêveries. Elles furent interrompues par un coup frappé à la porte de la rue. C’était un coup de marteau faible et comme mystérieux, celui qui frappait paraissant compter que quelqu’un serait aux écoutes pour lui ouvrir. Une visite dans une maison isolée, à pareille heure, avait de quoi surprendre. Mergy se tint immobile dans un endroit sombre du jardin, d’où il pouvait tout observer sans être vu. Une femme, qui ne pouvait être autre que la vieille, sortit sur-le-champ de la maison, une lanterne sourde à la main; elle ouvrit, et quelqu’un entra couvert d’un grand manteau noir garni d’un capuchon.

La curiosité de Bernard fut vivement excitée. La taille et, autant qu’il en pouvait juger, les vêtements de la personne qui venait d’arriver indiquaient une femme. La vieille la salua avec toutes les marques d’un grand respect, tandis que la femme au manteau noir lui fit à peine une inclination de tête. En revanche, elle lui mit dans la main quelque chose que la vieille parut recevoir avec grand plaisir. Un bruit clair et métallique qui se fit entendre, et l’empressement de la vieille à se baisser et à chercher à terre, firent conclure à Mergy qu’elle venait de recevoir de l’argent. Les deux femmes se dirigèrent vers le jardin, la vieille marchant la première et cachant sa lanterne. Au fond du jardin, il y avait une espèce de cabinet de verdure formé par des tilleuls plantés en cercle et réunis par une charmille fort épaisse, et qui pouvait assez bien remplacer un mur. Deux entrées, ou deux portes, conduisaient à ce bosquet, au milieu duquel était une petite table de pierre. C’est là qu’entrèrent la vieille et la femme voilée. Mergy, retenant son haleine, les suivit à pas de loup, et se plaça derrière la charmille, de manière à bien entendre et à voir autant que le peu de lumière qui éclairait cette scène pouvait le lui permettre.

La vieille commença par allumer quelque chose qui brûla aussitôt dans un réchaud placé au milieu de la table en répandant une lumière pâle et bleuâtre, comme celle de l’esprit-de-vin mêlé avec du sel. Elle éteignit ensuite ou cacha sa lanterne, de sorte qu’à la lueur tremblotante qui sortait du réchaud, Mergy aurait pu difficilement reconnaître les traits de l’étrangère, quand même ils n’auraient pas été cachés par un voile et un capuchon. Pour la taille et la tournure de la vieille, il n’eut pas de peine à les reconnaître; seulement il observa que son visage était barbouillé d’une couleur foncée qui la faisait paraître, sous sa coiffe blanche, comme une statue de bronze. La table était couverte de choses étranges qu’il entrevoyait à peine. Elles paraissaient rangées dans un certain ordre bizarre, et il crut distinguer des fruits, des ossements et des lambeaux de linge ensanglantés. Une petite figure d’homme, haute d’un pied tout au plus, et faite en cire, à ce qu’il paraissait, était placée au-dessus de ces linges dégoûtants.

– Eh bien, Camille, dit à voix basse la dame voilée, il va mieux, me dis-tu?

Cette voix fit tressaillir Mergy.

– Un peu mieux, Madame, répondit la vieille, grâce à notre art. Pourtant, avec ces lambeaux et aussi peu de sang qu’il y en a sur ces compresses, il m’a été difficile de faire grand’chose.

– Et que dit maître Ambroise Paré?

– Lui, cet ignorant! qu’importe ce qu’il dit? Moi, je vous assure que la blessure est profonde, dangereuse, terrible, et que ce n’est que par les règles de la sympathie magique qu’elle peut guérir; mais il faut souvent sacrifier aux esprits de la terre et de l’air… et pour sacrifier…

La dame la comprit aussitôt.

– S’il guérit, dit-elle, tu auras le double de ce que je viens de te donner.

– Ayez bonne espérance, et comptez sur moi.

– Ah! Camille, s’il allait mourir!

– Tranquillisez-vous; les esprits sont cléments, les astres nous protègent, et le dernier sacrifice du bélier noir a favorablement disposé l’Autre.

– Je t’apporte ce que j’ai eu tant de peine à me procurer. Je l’ai fait acheter à un des archers qui ont dépouillé le cadavre.

Elle tira quelque chose de dessous son manteau, et Mergy vit briller la lame d’une épée. La vieille la prit, et l’approcha de la flamme pour l’examiner.

– Grâce au ciel, la lame est sanglante et rouillée! Oui, son sang est comme celui du basilic du Cathay, il laisse sur l’acier une trace que rien ne peut effacer.

Elle regardait la lame, et il était évident que la dame voilée éprouvait une émotion extraordinaire.

– Vois, Camille, comme le sang est près de la poignée. Ce coup est peut-être mortel.

– Ce sang n’est pas celui du cœur; il guérira.

– Il guérira?

– Oui, mais pour être atteint d’une maladie incurable.

– Quelle maladie?

– L’amour.

– Ah! Camille, dis-tu vrai?

– Eh! quand ai-je manqué à dire la vérité? quand mes prédictions se sont-elles trouvées en défaut? Ne vous avais-je pas prédit qu’il sortirait vainqueur du combat? Ne vous avais-je pas annoncé que les esprits combattraient pour lui? N’ai-je pas enterré au lieu même où il devait se battre une poule noire et une épée bénite par un prêtre?

– Il est vrai.

– Vous-même, n’avez-vous point percé au cœur l’image de son adversaire, dirigeant ainsi les coups de l’homme pour qui j’ai employé ma science?

– Oui, Camille, j’ai percé au cœur l’image de Comminges; mais on dit que c’est d’un coup à la tête qu’il est mort.

– Sans doute, le fer a frappé sa tête; mais, s’il est mort, n’est-ce pas que le sang de son cœur s’est coagulé?

La dame voilée parut écrasée par la force de ses argument. Elle se tut. La vieille arrosait d’huile et de baume la lame de l’épée, et l’enveloppait de bandes avec le plus grand soin.

– Voyez-vous, Madame, cette huile de scorpion, dont je frotte cette épée, est portée par une vertu sympathique dans la plaie de ce jeune homme. Il ressent les effets de ce baume africain, comme si je le versais sur sa blessure; et, s’il me prenait envie de mettre la pointe de l’épée rougir dans le feu, le pauvre malade sentirait autant de douleur que s’il était brûlé vif.

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