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Je restai confondue: c’était le chevalier de G***, – un animal fangeux et indécrottable, avec un moral de maître d’école et un physique de tambour-major, l’homme le plus crapuleusement débauché qu’il fût possible de voir, – un vrai satyre, moins les pieds de bouc et les oreilles pointues. Cela m’inspira des craintes sérieuses pour la chère Ninon, et je me promis d’y mettre bon ordre. Des personnes entrèrent, et la conversation en resta là.

Je me retirai dans un coin, et je cherchai dans ma tête les moyens d’empêcher que les choses n’allassent plus loin, car c’eût été un véritable meurtre qu’une aussi délicieuse créature échut à un drôle aussi fieffé.

La mère de la petite était une espèce de femme galante qui donnait à jouer et tenait un bureau d’esprit. On lisait chez elle de mauvais vers et l’on y perdait de bons écus; ce qui était une compensation. – Elle aimait peu sa fille, qui était pour elle une manière d’extrait de baptême vivant qui la gênait dans la falsification de sa chronologie. – D’ailleurs, elle se faisait grandelette, et ses charmes naissants donnaient lieu à des comparaisons qui n’étaient pas à l’avantage du prototype déjà rendu un peu fruste par le frottement des années et des hommes. L’enfant était donc assez négligée et laissée sans défense aux entreprises des gredins familiers de la maison. – Si sa mère se fût occupée d’elle, ce n’eût été probablement que pour tirer bon parti de sa jeunesse et se faire une ferme de sa beauté et de son innocence. – D’une façon ou de l’autre, le sort qui l’attendait n’était pas douteux. – Cela me faisait de la peine, car c’était une charmante petite créature qui méritait assurément mieux, une perle de la plus belle eau perdue dans ce bourbier infect; cette idée me toucha au point que je résolus de la tirer à tout prix de cette affreuse maison.

La première chose à faire, c’était d’empêcher le chevalier de poursuivre sa pointe. – Ce que je trouvai de mieux et de plus simple, ce fut de lui chercher querelle et de le faire battre avec moi, et j’eus toutes les peines du monde, car il est poltron au possible et craint les coups plus que qui que ce soit au monde.

Enfin je lui en dis tant et de si piquantes qu’il fallut bien qu’il se décidât à venir sur le pré, quoique fort à contre-cœur. – Je le menaçai même de le faire rosser de coups de bâton par mon laquais, s’il ne faisait meilleure contenance. – Il savait pourtant assez bien tirer l’épée, mais la peur le troublait tellement qu’à peine les fers croisés je trouvai le moyen de lui administrer un joli petit coup de pointe qui le mit pour quinze jours au lit. – Cela me suffisait; je n’avais pas envie de le tuer, et j’aimais autant le laisser vivre pour qu’il fût pendu plus tard; soin touchant dont il aurait dû me savoir plus de gré! – Mon drôle étendu entre deux draps et dûment ficelé de bandelettes, il n’y avait plus qu’à décider la petite à quitter la maison, ce qui n’était pas excessivement difficile.

Je lui fis un conte sur la disparition de son amoureux, dont elle s’inquiétait extraordinairement. Je lui dis qu’il s’en était allé avec une comédienne de la troupe qui était alors à C***: ce qui l’indigna, comme tu peux croire. – Mais je la consolai en lui disant toute sorte de mal du chevalier, qui était laid, ivrogne et déjà vieux, et je finis par lui demander si elle n’aimerait pas mieux que je fusse son galant. – Elle répondit qu’elle le voulait bien, parce que j’étais plus beau, et que mes habits étaient neufs. – Cette naïveté, dite avec un sérieux énorme, me fit rire jusqu’aux larmes. – Je montai la tête de la petite, et fis si bien que je la décidai à quitter la maison. – Quelques bouquets, à peu près autant de baisers, et un collier de perles que je lui donnai la charmèrent à un point difficile à décrire, et elle prenait devant ses petites amies un air important on ne peut plus risible.

Je fis faire un costume de page très élégant et très riche à peu près à sa taille, car je ne pouvais l’emmener dans ses habits de fille, à moins de me remettre moi-même en femme, ce que je ne voulais pas faire.

J’achetai un petit cheval doux et facile à monter, et pourtant assez bon coureur pour suivre mon barbe quand il me plaisait d’aller vite. Puis je dis à la belle de tâcher de descendre à la brume sur la porte, et que je l’y prendrais: ce qu’elle exécuta très ponctuellement. – Je la trouvai qui se tenait en faction derrière le battant entrebâillé. – Je passai fort près de la maison; elle sortit, je lui tendis la main, elle appuya son pied sur la pointe du mien, et sauta fort lestement en croupe, car elle était d’une agilité merveilleuse. Je piquai mon cheval, et, par sept ou huit ruelles détournées et désertes, je trouvai moyen de revenir chez moi sans que personne nous vît.

Je lui fis quitter ses habits pour mettre son travestissement, et je lui servis moi-même de femme de chambre; elle fit d’abord quelques façons, et voulait s’habiller toute seule; mais je lui fis comprendre que cela perdrait beaucoup de temps, et que, d’ailleurs, étant ma maîtresse, il n’y avait pas le moindre inconvénient, et que cela se pratiquait ainsi entre amants. – Il n’en fallait pas tant pour la convaincre, et elle se prêta à la circonstance de la meilleure grâce du monde.

Son corps était une petite merveille de délicatesse – Ses bras, un peu maigres comme ceux de toute jeune fille, étaient d’une suavité de linéaments inexprimable, et sa gorge naissante faisait de si charmantes promesses qu’aucune gorge plus formée n’eût pu soutenir la comparaison. – Elle avait encore toutes les grâces de l’enfant et déjà tout le charme de la femme; elle était dans cette nuance adorable de transition de la petite fille à la jeune fille: nuance fugitive, insaisissable, époque délicieuse où la beauté est pleine d’espérance, et où chaque jour, au lieu d’enlever quelque chose à vos amours, y ajoute de nouvelles perfections.

Son costume lui allait on ne peut mieux. Il lui donnait un petit air mutin très curieux et très récréatif, et qui la fit rire aux éclats quand je lui présentai le miroir pour qu’elle jugeât de l’effet de sa toilette. Je lui fis ensuite manger quelques biscuits trempés dans du vin d’Espagne, afin de lui donner du courage et de lui faire mieux supporter la fatigue de la route.

Les chevaux nous attendaient tout sellés dans la cour; – elle monta assez délibérément sur le sien, j’enfourchai l’autre, et nous partîmes. – La nuit était complètement tombée, et de rares lumières, qui s’éteignaient d’instant en instant, faisaient voir que l’honnête ville de C*** était occupée vertueusement comme doit le faire toute ville de province au coup de neuf heures.

Nous ne pouvions pas aller très vite, car Ninon n’était pas meilleure écuyère qu’il ne le fallait, et, quand son cheval prenait le trot, elle se cramponnait de toutes ses forces après la crinière. – Cependant, le lendemain matin, nous étions assez loin pour que l’on ne pût nous rattraper, à moins de faire une diligence extrême; mais l’on ne nous poursuivit pas, ou du moins, si on le fit, ce fut dans une direction opposée à celle que nous avions suivie.

Je m’attachai singulièrement à la petite belle. – Je ne t’avais plus avec moi, ma chère Graciosa, et j’éprouvais un besoin immense d’aimer quelqu’un ou quelque chose, d’avoir avec moi soit un chien, soit un enfant à caresser familièrement. – Ninon était cela pour moi; – elle couchait dans mon lit, et passait pour dormir ses petits bras autour de mon corps; – elle se croyait très sérieusement ma maîtresse, et ne doutait pas que je ne fusse un homme; sa grande jeunesse et son extrême innocence l’entretenaient dans cette erreur que j’avais gardé de dissiper. – Les baisers que je lui donnais complétaient parfaitement son illusion, car son idée n’allait pas encore au-delà, et ses désirs ne parlaient pas assez haut pour lui faire soupçonner autre chose. Au reste, elle ne se trompait qu’à demi.

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