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Le cerf courait comme un vrai cerf qu’il était, et une cinquantaine de chiens qu’il avait aux trousses n’étaient pas un médiocre éperon à sa vélocité naturelle. – La course était si rapide qu’on n’entendait que quelques rares abois.

Théodore, comme le mieux monté et le meilleur écuyer, talonnait la meute avec une ardeur incroyable. D’Albert le suivait de près. Rosette et le petit page Isnabel suivaient, séparés par un intervalle qui s’augmentait de minute en minute.

L’intervalle fut bientôt assez grand pour ne pouvoir plus espérer de rétablir l’équilibre.

– Si nous nous arrêtions un peu, dit Rosette, pour laisser souffler les chevaux? – La chasse va du côté de l’étang, et je sais un chemin de traverse par lequel nous pourrons arriver en même temps qu’eux.

Isnabel tira la bride de son petit cheval des montagnes, qui baissa la tête en secouant sur ses yeux les mèches pendantes de sa crinière, et se mit à creuser le sable avec ses ongles.

Ce petit cheval formait avec celui de Rosette le contraste le plus parfait; il était noir comme la nuit, l’autre d’un blanc de satin: il était tout hérissé et tout échevelé; l’autre avait la crinière nattée de bleu, la queue peignée et frisée. Le second avait l’air d’une licorne et le premier d’un barbet.

La même différence antithétique se faisait remarquer dans les maîtres et dans les montures. – Rosette avait les cheveux aussi noirs qu’Isnabel les avait blonds; ses sourcils étaient dessinés très nettement et d’une manière très apparente; ceux du page n’avaient guère plus de vigueur que sa peau et ressemblaient au duvet de la pêche. – La couleur de l’une était éclatante et solide comme la lumière du midi; le teint de l’autre avait les transparences et les rougeurs de l’aube naissante.

– Si nous tâchions maintenant de rattraper la chasse? dit Isnabel à Rosette; les chevaux ont eu le temps de reprendre haleine.

– Allons! répondit la jolie amazone, et ils se lancèrent au galop dans une allée transversale assez étroite qui conduisait à la mare; les deux bêtes couraient de front et en occupaient presque toute la largeur.

Du côté d’Isnabel, un arbre entortillé et noueux avançait une grosse branche comme un bras et semblait montrer le poing aux chevaucheurs. – L’enfant ne la vit pas.

– Prenez garde, cria Rosette, couchez-vous sur la selle! vous allez être désarçonné.

L’avis était donné trop tard; la branche frappa Isnabel au milieu du corps. La violence du coup lui fit perdre les étriers, et, son cheval continuant son galop et la branche étant trop forte pour ployer, il se trouva enlevé de la selle et tomba rudement en arrière.

L’enfant resta évanoui sur le coup. – Rosette, fort effrayée, se jeta à bas de sa bête et fut au page, qui ne donnait pas signe de vie.

Sa toque s’était détachée, et ses beaux cheveux blonds ruisselaient de toutes parts éparpillés sur le sable. – Ses petites mains ouvertes avaient l’air de mains de cire, tant elles étaient pâles: Rosette s’agenouilla auprès de lui et tâcha de le faire revenir. – Elle n’avait sur elle ni sels, ni flacon, et son embarras était grand. – Enfin elle avisa une ornière assez profonde où l’eau de pluie s’était amassée et clarifiée; elle y trempa ses doigts, au grand effroi d’une petite grenouille qui était la naïade de cette onde, et elle en secoua quelques gouttes sur les tempes bleuâtres du jeune page. – Il ne parut pas les sentir, et les perles d’eau roulaient au long de ses joues blanches comme les larmes d’une sylphide au long d’une feuille de lis. Rosette, pensant que ses habits le pouvaient gêner, déboucla sa ceinture, défit les boutons de son justaucorps et ouvrit sa chemise pour que sa poitrine pût jouer plus librement. – Rosette vit alors quelque chose qui aurait été pour un homme la plus agréable des surprises du monde, mais qui ne parut pas à beaucoup près lui faire plaisir, – car ses sourcils se rapprochèrent, et sa lèvre supérieure trembla légèrement, – c’est-à-dire une gorge très blanche, encore peu formée, mais qui fusait les plus admirables promesses, et tenait déjà beaucoup; une gorge ronde, polie, ivoirine, pour parler comme les ronsardisants, délicieuse à voir, plus délicieuse à baisser.

– Une femme! dit-elle, une femme! ah! Théodore! Isnabel, car nous lui conservons ce nom, quoique ce ne soit pas le sien, commença à respirer un peu, et souleva languissamment ses longues paupières; il n’était blessé en aucune sorte, mais seulement étourdi. – Il se mit bientôt sur son séant, et, avec l’aide de Rosette, il put se dresser sur ses pieds et remonter sur son cheval qui s’était arrêté dès qu’il n’avait plus senti son cavalier.

Ils s’en furent à petits pas jusqu’à la mare, où en effet ils, ou plutôt elles, retrouvèrent le reste de la chasse. Rosette raconta en peu de mots à Théodore ce qui venait de se passer. – Celui-ci changea plusieurs fois de couleur pendant le récit de Rosette, et tout le reste de la route tint son cheval à côté de celui d’Isnabel.

On rentra au château de très bonne heure! cette journée, commencée si joyeusement, se termina d’une manière assez triste.

Rosette était rêveuse, et d’Albert semblait aussi plongé dans de profondes réflexions. – Le lecteur saura bientôt ce qui y avait donné lieu.

Chapitre 8

Non, mon cher Silvio, non, je ne t’ai pas oublié; je ne suis pas de ceux qui marchent dans la vie sans jamais jeter un regard en arrière; mon passé me suit et empiète sur mon présent, et presque sur mon avenir; ton amitié est une des places frappées du soleil qui se détachent le plus nettement à l’horizon déjà tout bleu de mes dernières années; – souvent, du faîte où je suis, je me retourne pour la contempler avec un sentiment d’ineffable mélancolie.

Oh! quel beau temps c’était – que nous étions angéliquement purs! – Nos pieds touchaient à peine la terre; nous avions comme des ailes aux épaules, nos désirs nous enlevaient, et la brise du printemps faisait trembler autour de nos fronts la blonde auréole de l’adolescence.

Te souviens-tu de cette petite île plantée de peupliers à cet endroit où la rivière forme un bras? – Il fallut pour y aller passer sur une planche assez longue, très étroite et qui ployait étrangement par le milieu; un vrai pont pour des chèvres, et qui en effet ne servait guère qu’à elles: c’était délicieux. – Un gazon court et fourni, où le souviens-toi de moi ouvrait en clignotant ses jolies petites prunelles bleues, un sentier jaune comme du nankin qui faisait une ceinture à la robe verte de l’île et lui serrait la taille, une ombre toujours émue de trembles et de peupliers n’étaient pas les moindres agréments de ce paradis: – il y avait de grandes pièces de toile que les femmes vendent étendre pour les blanchir à la rosée; on eût dit des carrés de neige; – et cette petite fille, toute brune et toute hâlée, dont les grands yeux sauvages brillaient d’un éclat si vif sous les longues mèches de ses cheveux, et qui courait après les chèvres en les menaçant et en agitant sa baguette d’osier, quand elles faisaient mine de vouloir marcher sur les toiles dont elle avait la garde, – te la rappelles-tu? – Et les papillons couleur de soufre, au vol inégal et tremblotant, et le martin-pêcheur que nous avons tant de fois essayé d’attraper et qui avait son nid dans ce fourré d’aunes? et ces descentes à la rivière avec leurs marches grossièrement taillées, leurs poteaux et leurs pieux tout verdis par le bas et presque toujours fermées par une claire-voie de plantes et de branchages? Que cette eau était limpide et miroitante! comme elle laissait voir un fond de gravier doré! et quel plaisir c’était, assis sur la rive, d’y laisser pendre le bout de ses pieds! Les nénuphars à fleurs d’or, qui s’y déroulaient gracieusement, avaient l’air de verts cheveux flottant sur le dos d’agate de quelque nymphe au bain. – Le ciel se regardait à ce miroir avec des sourires azurés et des transparences d’un gris de perle on ne peut plus ravissant, et, à toutes les heures de la journée, c’étaient des turquoises, des paillettes, des ouates et des moires d’une variété inépuisable. – Que j’aimais ces escadres de petits canards à cous d’émeraude, qui naviguaient incessamment d’un bord à l’autre et formaient quelques rides sur cette pure glace!

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