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Cette transparence de ton, cette fraîcheur charmante et pleine d’éclat, ces chairs où courent tant de sang et tant de vie, ces belles chevelures blondes se déroulant comme des manteaux d’or, ces rires étincelants, ces fossettes amoureuses, ces formes ondoyantes comme des flammes, cette force, cette souplesse, ces luisants de satin, ces lignes si bien nourries, ces bras potelés, ces dos charnus et polis, toute cette belle santé appartient à Rubens. – Raphaël lui seul a pu remplir de cette couleur d’ambre pâle un aussi chaste linéament. Quel autre que lui a courbé ces longs sourcils si fins et si noirs, et effilé les franges de ces paupières si modestement baissées? – Croyez-vous qu’Allegri ne soit pour rien dans votre idéal? C’est à lui que la dame de vos pensées a volé cette blancheur mate et chaude qui vous ravit. Elle s’est arrêtée bien longtemps devant ses toiles pour surprendre le secret de cet angélique sourire toujours épanoui; elle a modelé l’ovale de son visage sur l’ovale d’une nymphe ou d’une sainte. Cette ligne de la hanche qui serpente si voluptueusement est de l’Antiope endormie. – Ces mains grasses et fines peuvent être réclamées par Danaé ou Madeleine. La poudreuse antiquité elle-même a fourni bien des matériaux pour la composition de votre jeune chimère; ces reins souples et forts que vous enlacez de vos bras avec tant de passion ont été sculptés par Praxitèle. Cette divinité a laissé tout exprès passer le petit bout de son pied charmant hors des cendres d’Herculanum pour que votre idole ne fût pas boiteuse. La nature a aussi contribué pour sa part. Vous avez vu au prisme du désir, çà et là, un bel œil sous une jalousie, un front d’ivoire appuyé contre une vitre, une bouche souriant derrière un éventail. – Vous avez deviné un bras d’après la main, un genou d’après une cheville. Ce que vous voyiez était parfait: – vous supposiez le reste comme ce que vous voyiez, et vous l’acheviez avec les morceaux d’autres beautés enlevés ailleurs. – La beauté idéale, réalisée par les peintres, ne vous a pas même suffi, et vous êtes allé demander aux poètes des contours encore plus arrondis, des formes plus éthérées, des grâces plus divines, des recherches plus exquises; vous les aviez priés de donner le souffle et la parole à votre fantôme, tout leur amour, toute leur rêverie, toute leur joie et leur tristesse, leur mélancolie et leur morbidesse, tous leurs souvenirs et toutes leurs espérances, leur science et leur passion, leur esprit et leur cœur; vous leur avez pris tout cela, et vous avez ajouté, pour mettre le comble à l’impossible, votre passion à vous, votre esprit à vous, votre rêve et votre pensée. L’étoile a prêté son rayon, la fleur son parfum, la palette sa couleur, le poète son harmonie, le marbre sa forme, vous votre désir. – Le moyen qu’une femme réelle, mangeant et buvant, se levant le matin et se couchant le soir, si adorable et si pétrie de grâces qu’elle soit d’ailleurs, puisse soutenir la comparaison avec une pareille créature! on ne peut raisonnablement l’espérer, et cependant on l’espère, on cherche. – Quel singulier aveuglement! cela est sublime ou absurde. Que je plains et que j’admire ceux qui poursuivent à travers toute la réalité de leur rêve, et qui meurent contents, pourvu qu’ils aient baisé une fois leur chimère à la bouche! Mais quel sort affreux que celui des Colombs qui n’ont pas trouvé leur monde, et des amants qui n’ont pas trouvé leur maîtresse!

Ah! si j’étais poète, c’est à ceux dont l’existence est manquée; dont les flèches n’ont pas été au but, qui sont morts avec le mot qu’ils avaient à dire et sans presser la main qui leur était destinée; c’est à tout ce qui a avorté et à tout ce qui a passé sans être aperçu, au feu étouffé, au génie sans issue, à la perle inconnue au fond des mers, à tout ce qui a aimé sans être aimé, à tout ce qui a souffert et que l’on n’a pas plaint que je consacrerais mes chants; – ce serait une noble tâche.

Que Platon avait raison de vouloir vous bannir de sa république, et quel mal vous nous avez fait, ô poètes! Que votre ambroisie nous a rendu notre absinthe encore plus amère; et comme nous avons trouvé notre vie encore plus aride et plus dévastée après avoir plongé nos yeux dans les perspectives que vous nous ouvrez sur l’infini! que vos rêves ont amené une lutte terrible contre nos réalités! et comme, durant le combat, notre cœur a été piétiné et foulé par ces rudes athlètes!

Nous nous sommes assis comme Adam au pied des murs du paradis terrestre, sur les marches de l’escalier qui mène au monde que vous avez créé, voyant étinceler à travers les fentes de la porte une lumière plus vive que le soleil, entendant confusément quelques notes éparses d’une harmonie séraphique. Toutes les fois qu’un élu entre ou sort au milieu d’un flot de splendeur, nous tendons le cou pour tâcher de voir quelque chose par le battant ouvert. C’est une architecture féerique qui n’a son égale que dans les contes arabes. Des entassements de colonnes, des arcades superposées, des piliers tordus en spirale, des feuillages merveilleusement découpés, des trèfles évidés, du porphyre, du jaspe, du lapis-lazuli, que sais-je, moi! des transparences et des reflets éblouissants, des profusions de pierreries étranges, des sardoines, du chrysobéryl, des aigues-marines, des opales irisées, de l’azerodrach, des jets de cristal, des flambeaux à faire pâlir les étoiles, une vapeur splendide pleine de bruit et de vertige, – luxe tout assyrien!

Le battant retombe; vous ne voyez plus rien, – et vos yeux se baissent, pleins de larmes corrosives, sur cette pauvre terre décharnée et pâle, sur ces masures en ruine, sur ce peuple en haillons, sur votre âme, rocher aride où rien ne germe, sur toutes les misères et toutes les infortunes de la réalité Ah! du moins, si nous pouvions voler jusque-là, si les degrés de cet escalier de feu ne nous brûlaient pas les pieds; mais, hélas! l’échelle de Jacob ne peut être montée que par les anges!

Quel sort que celui du pauvre à la porte du riche! quelle ironie sanglante qu’un palais en face d’une cabane, que l’idéal en face du réel, que la poésie en face de la prose! quelle haine enracinée doit tordre les nœuds au fond du cœur des misérables! quels grincements de dents doivent retentir la nuit sur leur grabat, tandis que le vent apporte jusqu’à leur oreille les soupirs des téorbes et des violes d’amour! Poètes, peintres, sculpteurs, musiciens, pourquoi nous avez-vous menti? Poètes, pourquoi nous avez-vous raconté vos rêves? Peintres, pourquoi avez-vous fixé sur la toile ce fantôme insaisissable qui montait et descendait de votre cœur à votre tête avec les bouillons de votre sang, et nous avez-vous dit: Ceci est une femme? Sculpteurs, pourquoi avez-vous tiré le marbre des profondeurs de Carrare pour lui faire exprimer éternellement, et aux yeux de tous, votre plus secret et plus fugitif désir? Musiciens, pourquoi avez-vous écouté, pendant la nuit, le chant des étoiles et des fleurs, et l’avez-vous noté? Pourquoi avez-vous fait de si belles chansons que la voix la plus douce qui nous dit: – Je t’aime! – nous parait rauque comme le grincement d’une scie ou le croassement d’un corbeau? – Soyez maudits, imposteurs!… et puisse le feu du ciel brûler et détruire tous les tableaux, tous les poèmes, toutes les statues et toutes les partitions… Ouf! voilà une tirade d’une longueur interminable, et qui sort un peu du style épistolaire. – Quelle tartine!

Je me suis joliment laissé aller au lyrisme, mon très cher ami, et voilà déjà bien du temps que je pindarise assez ridiculement. Tout ceci est fort loin de notre sujet, qui est, si je m’en souviens bien, l’histoire glorieuse et triomphante du chevalier d’Albert au pourchas de Daraïde, la plus belle princesse du monde, comme disent les vieux romans.

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