Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

– Vous avez le temps, en pendant vos guiboles à votre cou, de sortir tout de suite.

– C’est exact.

– Une fois hors de la grille, vous galopez chez vous, vous prenez votre carte, vous revenez, le portier du cimetière vous ouvre. Ayant votre carte, rien à payer. Et vous enterrez votre mort. Moi, je vas vous le garder en attendant pour qu’il ne se sauve pas.

– Je vous dois la vie, paysan.

– Fichez-moi le camp, dit Fauchelevent.

Le fossoyeur, éperdu de reconnaissance, lui secoua la main, et partit en courant.

Quand le fossoyeur eut disparu dans le fourré, Fauchelevent écouta jusqu’à ce qu’il eût entendu le pas se perdre, puis il se pencha vers la fosse et dit à demi-voix:

– Père Madeleine!

Rien ne répondit. Fauchelevent eut un frémissement. Il se laissa rouler dans la fosse plutôt qu’il n’y descendit, se jeta sur la tête du cercueil et cria:

– Êtes-vous là?

Silence dans la bière.

Fauchelevent, ne respirant plus à force de tremblement, prit son ciseau à froid et son marteau, et fit sauter la planche de dessus. La face de Jean Valjean apparut dans le crépuscule, les yeux fermés, pâle.

Les cheveux de Fauchelevent se hérissèrent, il se leva debout, puis tomba adossé à la paroi de la fosse, prêt à s’affaisser sur la bière. Il regarda Jean Valjean.

Jean Valjean gisait, blême et immobile.

Fauchelevent murmura d’une voix basse comme un souffle:

– Il est mort!

Et se redressant, croisant les bras si violemment que ses deux poings fermés vinrent frapper ses deux épaules, il cria:

– Voilà comme je le sauve, moi!

Alors le pauvre bonhomme se mit à sangloter. Monologuant, car c’est une erreur de croire que le monologue n’est pas dans la nature. Les fortes agitations parlent souvent à haute voix.

– C’est la faute au père Mestienne. Pourquoi est-il mort, cet imbécile-là? qu’est-ce qu’il avait besoin de crever au moment où on ne s’y attend pas? c’est lui qui fait mourir monsieur Madeleine. Père Madeleine! Il est dans la bière. Il est tout porté. C’est fini.

– Aussi, ces choses-là, est-ce que ça a du bon sens? Ah! mon Dieu! il est mort! Eh bien, et sa petite, qu’est-ce que je vas en faire? qu’est-ce que la fruitière va dire? Qu’un homme comme çà meure comme ça, si c’est Dieu possible! Quand je pense qu’il s’était mis sous ma charrette! Père Madeleine! père Madeleine! Pardine, il a étouffé, je disais bien. Il n’a pas voulu me croire. Eh bien, voilà une jolie polissonnerie de faite! Il est mort, ce brave homme, le plus bon homme qu’il y eût dans les bonnes gens du bon Dieu! Et sa petite Ah! d’abord je ne rentre pas là-bas, moi. Je reste ici. Avoir fait un coup comme çà! C’est bien la peine d’être deux vieux pour être deux vieux fous. Mais d’abord comment avait-il fait pour entrer dans le couvent? c’était déjà le commencement. On ne doit pas faire de ces choses-là. Père Madeleine! père Madeleine! Madeleine! monsieur Madeleine! monsieur le maire! Il ne m’entend pas. Tirez-vous donc de là à présent!

Et il s’arracha les cheveux.

On entendit au loin dans les arbres un grincement aigu. C’était la grille du cimetière qui se fermait.

Fauchelevent se pencha sur Jean Valjean, et tout à coup eut une sorte de rebondissement et tout le recul qu’on peut avoir dans une fosse. Jean Valjean avait les yeux ouverts, et le regardait.

Voir une mort est effrayant, voir une résurrection l’est presque autant. Fauchelevent devint comme de pierre, pâle, hagard, bouleversé par tous ces excès d’émotions, ne sachant s’il avait affaire à un vivant ou à un mort, regardant Jean Valjean qui le regardait.

– Je m’endormais, dit Jean Valjean.

Et il se mit sur son séant.

Fauchelevent tomba à genoux.

– Juste bonne Vierge! m’avez-vous fait peur!

Puis il se releva et cria:

– Merci, père Madeleine!

Jean Valjean n’était qu’évanoui. Le grand air l’avait réveillé.

La joie est le reflux de la terreur. Fauchelevent avait presque autant à faire que Jean Valjean pour revenir à lui.

– Vous n’êtes donc pas mort! Oh! comme vous avez de l’esprit, vous! Je vous ai tant appelé que vous êtes revenu. Quand j’ai vu vos yeux fermés, j’ai dit: bon! le voilà étouffé. Je serais devenu fou furieux, vrai fou à camisole. On m’aurait mis à Bicêtre. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse si vous étiez mort? Et votre petite! c’est la fruitière qui n’y aurait rien compris! On lui campe l’enfant sur les bras, et le grand-père est mort! Quelle histoire! mes bons saints du paradis, quelle histoire! Ah! vous êtes vivant, voilà le bouquet.

– J’ai froid, dit Jean Valjean.

Ce mot rappela complètement Fauchelevent à la réalité, qui était urgente. Ces deux hommes, même revenus à eux, avaient, sans s’en rendre compte, l’âme trouble, et en eux quelque chose d’étrange qui était l’égarement sinistre du lieu.

– Sortons vite d’ici, s’écria Fauchelevent.

Il fouilla dans sa poche, et en tira une gourde dont il s’était pourvu.

– Mais d’abord la goutte! dit-il.

La gourde acheva ce que le grand air avait commencé. Jean Valjean but une gorgée d’eau-de-vie et reprit pleine possession de lui-même.

Il sortit de la bière, et aida Fauchelevent à en reclouer le couvercle.

Trois minutes après, ils étaient hors de la fosse.

Du reste Fauchelevent était tranquille. Il prit son temps. Le cimetière était fermé. La survenue du fossoyeur Gribier n’était pas à craindre. Ce «conscrit» était chez lui, occupé à chercher sa carte, et bien empêché de la trouver dans son logis puisqu’elle était dans la poche de Fauchelevent. Sans carte, il ne pouvait rentrer au cimetière.

Fauchelevent prit la pelle et Jean Valjean la pioche, et tous deux firent l’enterrement de la bière vide.

Quand la fosse fut comblée, Fauchelevent dit à Jean Valjean:

– Venons-nous-en. Je garde la pelle; emportez la pioche.

La nuit tombait.

Jean Valjean eut quelque peine à se remuer et à marcher. Dans cette bière, il s’était roidi et était devenu un peu cadavre. L’ankylose de la mort l’avait saisi entre ces quatre planches. Il fallut, en quelque sorte, qu’il se dégelât du sépulcre.

– Vous êtes gourd, dit Fauchelevent. C’est dommage que je sois bancal, nous battrions la semelle.

– Bah! répondit Jean Valjean, quatre pas me mettront la marche dans les jambes.

79
{"b":"100329","o":1}