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Si l'on agitait ce ruban, une clochette tintait et l'on entendait une voix, tout près de soi, ce qui faisait tressaillir.

– Qui est là? demandait la voix.

C'était une voix de femme, une voix douce, si douce qu'elle en était lugubre.

Ici encore il y avait un mot magique qu'il fallait savoir. Si on ne le savait pas, la voix se taisait, et le mur redevenait silencieux comme si l'obscurité effarée du sépulcre eût été de l'autre côté.

Si l'on savait le mot, la voix reprenait:

– Entrez à droite.

On remarquait alors à sa droite, en face de la fenêtre, une porte vitrée surmontée d'un châssis vitré et peinte en gris. On soulevait le loquet, on franchissait la porte, et l'on éprouvait absolument la même impression que lorsqu'on entre au spectacle dans une baignoire grillée avant que la grille soit baissée et que le lustre soit allumé. On était en effet dans une espèce de loge de théâtre, à peine éclairée par le jour vague de la porte vitrée, étroite, meublée de deux vieilles chaises et d'un paillasson tout démaillé, véritable loge avec sa devanture à hauteur d'appui qui portait une tablette en bois noir. Cette loge était grillée, seulement ce n'était pas une grille de bois doré comme à l'Opéra, c'était un monstrueux treillis de barres de fer affreusement enchevêtrées et scellées au mur par des scellements énormes qui ressemblaient à des poings fermés.

Les premières minutes passées, quand le regard commençait à se faire à ce demi-jour de cave, il essayait de franchir la grille, mais il n'allait pas plus loin que six pouces au delà. Là il rencontrait une barrière de volets noirs, assurés et fortifiés de traverses de bois peintes en jaune pain d'épice. Ces volets étaient à jointures, divisés en longues lames minces, et masquaient toute la longueur de la grille. Ils étaient toujours clos.

Au bout de quelques instants, on entendait une voix qui vous appelait de derrière ces volets et qui vous disait:

– Je suis là. Que me voulez-vous?

C'était une voix aimée, quelquefois une voix adorée. On ne voyait personne. On entendait à peine le bruit d'un souffle. Il semblait que ce fût une évocation qui vous parlait à travers la cloison de la tombe.

Si l'on était dans de certaines conditions voulues, bien rares, l'étroite lame d'un des volets s'ouvrait en face de vous, et l'évocation devenait une apparition. Derrière la grille, derrière le volet, on apercevait, autant que la grille permettait d'apercevoir, une tête dont on ne voyait que la bouche et le menton; le reste était couvert d'un voile noir. On entrevoyait une guimpe noire et une forme à peine distincte couverte d'un suaire noir. Cette tête vous parlait, mais ne vous regardait pas et ne vous souriait jamais.

Le jour qui venait de derrière vous était disposé de telle façon que vous la voyiez blanche et qu'elle vous voyait noir. Ce jour était un symbole.

Cependant les yeux plongeaient avidement par cette ouverture qui s'était faite dans ce lieu clos à tous les regards. Un vague profond enveloppait cette forme vêtue de deuil. Les yeux fouillaient ce vague et cherchaient à démêler ce qui était autour de l'apparition. Au bout de très peu de temps on s'apercevait qu'on ne voyait rien. Ce qu'on voyait, c'était la nuit, le vide, les ténèbres, une brume de l'hiver mêlée à une vapeur du tombeau, une sorte de paix effrayante, un silence où l'on ne recueillait rien, pas même des soupirs, une ombre où l'on ne distinguait rien, pas même des fantômes.

Ce qu'on voyait, c'était l'intérieur d'un cloître.

C'était l'intérieur de cette maison morne et sévère qu'on appelait le couvent des bernardines de l'Adoration Perpétuelle [93]. Cette loge où l'on était, c'était le parloir. Cette voix, la première qui vous avait parlé, c'était la voix de la tourière qui était toujours assise, immobile et silencieuse, de l'autre côté du mur, près de l'ouverture carrée, défendue par la grille de fer et par la plaque à mille trous comme par une double visière.

L'obscurité où plongeait la loge grillée venait de ce que le parloir qui avait une fenêtre du côté du monde n'en avait aucune du côté du couvent. Les yeux profanes ne devaient rien voir de ce lieu sacré.

Pourtant il y avait quelque chose au delà de cette ombre, il y avait une lumière; il y avait une vie dans cette mort. Quoique ce couvent fût le plus muré de tous, nous allons essayer d'y pénétrer et d'y faire pénétrer le lecteur, et de dire, sans oublier la mesure, des choses que les raconteurs n'ont jamais vues et par conséquent jamais dites.

Chapitre II L'obédience de Martin Verga

Ce couvent, qui en 1824 existait depuis longues années déjà petite rue Picpus, était une communauté de bernardines de l’obédience de Martin Verga [94].

Ces bernardines, par conséquent, se rattachaient non à Clairvaux, comme les bernardins, mais à Cîteaux, comme les bénédictins. En d’autres termes, elles étaient sujettes, non de saint Bernard, mais de saint Benoît.

Quiconque a un peu remué des in-folio sait que Martin Verga fonda en 1425 une congrégation de bernardines-bénédictines, ayant pour chef d’ordre Salamanque et pour succursale Alcala.

Cette congrégation avait poussé des rameaux dans tous les pays catholiques de l’Europe.

Ces greffes d’un ordre sur l’autre n’ont rien d’inusité dans l’église latine. Pour ne parler que du seul ordre de saint Benoît dont il est ici question, à cet ordre se rattachent, sans compter l’obédience de Martin Verga, quatre congrégations: deux en Italie, le Mont-Cassin et Sainte-Justine de Padoue, deux en France, Cluny et Saint-Maur; et neuf ordres, Valombrosa, Grammont, les célestins, les camaldules, les chartreux, les humiliés, les olivateurs, et les silvestrins, enfin Cîteaux; car Cîteaux lui-même, tronc pour d’autres ordres, n’est qu’un rejeton pour saint Benoît. Cîteaux date de saint Robert, abbé de Molesme dans le diocèse de Langres en 1098. Or c’est en 529 que le diable, retiré au désert de Subiaco (il était vieux; s’était-il fait ermite?), fut chassé de l’ancien temple d’Apollon où il demeurait, par saint Benoît, âgé de dix-sept ans.

Après la règle des carmélites, lesquelles vont pieds nus, portent une pièce d’osier sur la gorge et ne s’asseyent jamais, la règle la plus dure est celle des bernardines-bénédictines de Martin Verga. Elles sont vêtues de noir avec une guimpe qui, selon la prescription expresse de saint Benoît, monte jusqu’au menton. Une robe de serge à manches larges, un grand voile de laine, la guimpe qui monte jusqu’au menton coupée carrément sur la poitrine, le bandeau qui descend jusqu’aux yeux, voilà leur habit. Tout est noir, excepté le bandeau qui est blanc. Les novices portent le même habit, tout blanc. Les professes ont en outre un rosaire au côté.

Les bernardines-bénédictines de Martin Verga pratiquent l’Adoration Perpétuelle, comme les bénédictines dites dames du Saint-Sacrement, lesquelles, au commencement de ce siècle, avaient à Paris deux maisons, l’une au Temple, l’autre rue Neuve-Sainte-Geneviève. Du reste les bernardines-bénédictines du Petit-Picpus, dont nous parlons, étaient un ordre absolument autre que les dames du Saint-Sacrement cloîtrées rue Neuve-Sainte-Geneviève et au Temple. Il y avait de nombreuses différences dans la règle; il y en avait dans le costume. Les bernardines-bénédictines du Petit-Picpus portaient la guimpe noire, et les bénédictines du Saint-Sacrement et de la rue Neuve-Sainte-Geneviève la portaient blanche, et avaient de plus sur la poitrine un Saint-Sacrement d’environ trois pouces de haut en vermeil ou en cuivre doré. Les religieuses du Petit-Picpus ne portaient point ce Saint-Sacrement. L’Adoration Perpétuelle, commune à la maison du Petit-Picpus et à la maison du Temple, laisse les deux ordres parfaitement distincts. Il y a seulement ressemblance pour cette pratique entre les dames du Saint-Sacrement et les bernardines de Martin Verga, de même qu’il y avait similitude, pour l’étude et la glorification de tous les mystères relatifs à l’enfance, à la vie et à la mort de Jésus-Christ, et à la Vierge, entre deux ordres pourtant fort séparés et dans l’occasion ennemis, l’oratoire d’Italie, établi à Florence par Philippe de Néri, et l’oratoire de France, établi à Paris par Pierre de Bérulle. L’oratoire de Paris prétendait le pas, Philippe de Néri n’étant que saint, et Bérulle étant cardinal.

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[93] Une série de transformations successives a abouti à ce couvent, irréel mais démonstratif. La dernière, contemporaine de l'ajout du livre 7, achève d'éloigner le Petit-Picpus de son modèle: le couvent des bénédictines de l'Adoration Perpétuelle du 12, rue Neuve-Sainte-Geneviève, aujourd'hui installées à Rouen. À la source originelle, encore non identifiée, se sont ajoutées des informations venues de Léonie Biard – dont la tante était demeurée plusieurs années rue Neuve-Sainte-Geneviève – et de Juliette, prisonnière plus que pensionnaire, dans son enfance, du couvent des Dames Saint-Michel, ainsi que des sources documentaires ordinaires: Moréri, Sauval, etc.

Sur le manuscrit, Hugo note qu'il «dépayse» le couvent – et modifie l'ordre dont il relève, mais non les rites – pour éviter les «criailleries» des ordres existants et les «tracasseries» possibles. Prétexte plus que vraie raison: en cela Hugo agit de la même manière que pour la barricade ou Mgr Myriel: la précision de l'information combinée aux décalages permet aux «effets de réel» de fonctionner sans cantonner le texte dans l'exactitude ponctuelle: d'harmoniser dans une vérité nouvelle le sens voulu par le roman et le respect de la réalité. Ajoutons que Le Père Goriot avait rendu célèbre la rue Neuve-Sainte-Geneviève: adresse de la pension Vauquer – sorte de couvent, d'un autre style.

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[94] Ordre inventé par Hugo qui utilise, en le déformant un peu, le nom d'un réformateur espagnol de l'ordre cistercien, Martin de Vargas, mort en 1446.

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