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– Le couvent du Petit-Picpus!

– Ah çà mais, au fait, reprit Fauchelevent, comment diable avez-vous fait pour y entrer, vous, père Madeleine? Vous avez beau être un saint, vous êtes un homme, et il n'entre pas d'hommes ici.

– Vous y êtes bien.

– Il n'y a que moi.

– Cependant, reprit Jean Valjean, il faut que j'y reste.

– Ah mon Dieu! s'écria Fauchelevent.

Jean Valjean s'approcha du vieillard et lui dit d'une voix grave:

– Père Fauchelevent, je vous ai sauvé la vie.

– C'est moi qui m'en suis souvenu le premier, répondit Fauchelevent.

– Eh bien, vous pouvez faire aujourd'hui pour moi ce que j'ai fait autrefois pour vous.

Fauchelevent prit dans ses vieilles mains ridées et tremblantes les deux robustes mains de Jean Valjean, et fut quelques secondes comme s'il ne pouvait parler. Enfin il s'écria:

– Oh! ce serait une bénédiction du bon Dieu si je pouvais vous rendre un peu cela! Moi! vous sauver la vie! Monsieur le maire, disposez du vieux bonhomme!

Une joie admirable avait comme transfiguré ce vieillard. Un rayon semblait lui sortir du visage.

– Que voulez-vous que je fasse? reprit-il.

– Je vous expliquerai cela. Vous avez une chambre?

– J'ai une baraque isolée, là, derrière la ruine du vieux couvent, dans un recoin que personne ne voit. Il y a trois chambres.

La baraque était en effet si bien cachée derrière la ruine et si bien disposée pour que personne ne la vît, que Jean Valjean ne l'avait pas vue.

– Bien, dit Jean Valjean. Maintenant je vous demande deux choses.

– Lesquelles, monsieur le maire?

– Premièrement, vous ne direz à personne ce que vous savez de moi. Deuxièmement, vous ne chercherez pas à en savoir davantage.

– Comme vous voudrez. Je sais que vous ne pouvez rien faire que d'honnête et que vous avez toujours été un homme du bon Dieu. Et puis d'ailleurs, c'est vous qui m'avez mis ici. Ça vous regarde. Je suis à vous.

– C'est dit. À présent, venez avec moi. Nous allons chercher l'enfant.

– Ah! dit Fauchelevent. Il y a un enfant!

Il n'ajouta pas une parole et suivit Jean Valjean comme un chien suit son maître.

Moins d'une demi-heure après, Cosette, redevenue rose à la flamme d'un bon feu, dormait dans le lit du vieux jardinier. Jean Valjean avait remis sa cravate et sa redingote; le chapeau lancé par-dessus le mur avait été retrouvé et ramassé; pendant que Jean Valjean endossait sa redingote, Fauchelevent avait ôté sa genouillère à clochette, qui maintenant, accrochée à un clou près d'une hotte, ornait le mur. Les deux hommes se chauffaient accoudés sur une table où Fauchelevent avait posé un morceau de fromage, du pain bis, une bouteille de vin et deux verres, et le vieux disait à Jean Valjean en lui posant la main sur le genou:

– Ah! père Madeleine! vous ne m'avez pas reconnu tout de suite! Vous sauvez la vie aux gens, et après vous les oubliez! Oh! c'est mal! eux ils se souviennent de vous! vous êtes un ingrat!

Chapitre X Où il est expliqué comment Javert a fait buisson creux

Les événements dont nous venons de voir, pour ainsi dire, l’envers, s’étaient accomplis dans les conditions les plus simples.

Lorsque Jean Valjean, dans la nuit même du jour où Javert l’arrêta près du lit de mort de Fantine, s’échappa de la prison municipale de Montreuil-sur-Mer, la police supposa que le forçat évadé avait dû se diriger vers Paris. Paris est un maelström où tout se perd, et tout disparaît dans ce nombril du monde comme dans le nombril de la mer. Aucune forêt ne cache un homme comme cette foule. Les fugitifs de toute espèce le savent. Ils vont à Paris comme à un engloutissement; il y a des engloutissements qui sauvent. La police aussi le sait, et c’est à Paris qu’elle cherche ce qu’elle a perdu ailleurs. Elle y chercha l’ex-maire de Montreuil-sur-Mer. Javert fut appelé à Paris afin d’éclairer les perquisitions. Javert en effet aida puissamment à reprendre Jean Valjean. Le zèle et l’intelligence de Javert en cette occasion furent remarqués de Mr Chabouillet, secrétaire de la préfecture sous le comte Anglès. Mr Chabouillet, qui du reste avait déjà protégé Javert, fit attacher l’inspecteur de Montreuil-sur-Mer à la police de Paris. Là Javert se rendit diversement et, disons-le, quoique le mot semble inattendu pour de pareils services, honorablement utile.

Il ne songeait plus à Jean Valjean, – à ces chiens toujours en chasse, le loup d’aujourd’hui fait oublier le loup d’hier, – lorsqu’en décembre 1823 il lut un journal, lui qui ne lisait jamais de journaux; mais Javert, homme monarchique, avait tenu à savoir les détails de l’entrée triomphale du «prince généralissime» à Bayonne. Comme il achevait l’article qui l’intéressait, un nom, le nom de Jean Valjean, au bas d’une page, appela son attention. Le journal annonçait que le forçat Jean Valjean était mort, et publiait le fait en termes si formels que Javert n’en douta pas. Il se borna à dire: c’est là le bon écrou. Puis il jeta le journal, et n’y pensa plus.

Quelque temps après il arriva qu’une note de police fut transmise par la préfecture de Seine-et-Oise à la préfecture de police de Paris sur l’enlèvement d’un enfant, qui avait eu lieu, disait-on, avec des circonstances particulières, dans la commune de Montfermeil. Une petite fille de sept à huit ans, disait la note, qui avait été confiée par sa mère à un aubergiste du pays, avait été volée par un inconnu; cette petite répondait au nom de Cosette et était l’enfant d’une fille nommée Fantine, morte à l’hôpital, on ne savait quand ni où. Cette note passa sous les yeux de Javert, et le rendit rêveur.

Le nom de Fantine lui était bien connu. Il se souvenait que Jean Valjean l’avait fait éclater de rire, lui Javert, en lui demandant un répit de trois jours pour aller chercher l’enfant de cette créature. Il se rappela que Jean Valjean avait été arrêté à Paris au moment où il montait dans la voiture de Montfermeil. Quelques indications avaient même fait songer à cette époque que c’était la seconde fois qu’il montait dans cette voiture, et qu’il avait déjà, la veille, fait une première excursion aux environs de ce village, car on ne l’avait point vu dans le village même. Qu’allait-il faire dans ce pays de Montfermeil? on ne l’avait pu deviner. Javert le comprenait maintenant. La fille de Fantine s’y trouvait. Jean Valjean l’allait chercher. Or, cette enfant venait d’être volée par un inconnu. Quel pouvait être cet inconnu? Serait-ce Jean Valjean? mais Jean Valjean était mort. Javert, sans rien dire à personne, prit le coucou du Plat d’étain, cul-de-sac de la Planchette, et fit le voyage de Montfermeil.

Il s’attendait à trouver là un grand éclaircissement; il y trouva une grande obscurité.

Dans les premiers jours, les Thénardier, dépités, avaient jasé. La disparition de l’Alouette avait fait bruit dans le village. Il y avait eu tout de suite plusieurs versions de l’histoire qui avait fini par être un vol d’enfant. De là, la note de police. Cependant, la première humeur passée, le Thénardier, avec son admirable instinct, avait très vite compris qu’il n’est jamais utile d’émouvoir monsieur le procureur du roi, et que ses plaintes à propos de l’enlèvement de Cosette auraient pour premier résultat de fixer sur lui, Thénardier, et sur beaucoup d’affaires troubles qu’il avait, l’étincelante prunelle de la justice. La première chose que les hiboux ne veulent pas, c’est qu’on leur apporte une chandelle. Et d’abord, comment se tirerait-il des quinze cents francs qu’il avait reçus? Il tourna court, mit un bâillon à sa femme, et fit l’étonné quand on lui parlait de l’enfant volé. Il n’y comprenait rien; sans doute il s’était plaint dans le moment de ce qu’on lui «enlevait» si vite cette chère petite; il eût voulu par tendresse la garder encore deux ou trois jours; mais c’était son «grand-père» qui était venu la chercher le plus naturellement du monde. Il avait ajouté le grand-père, qui faisait bien. Ce fut sur cette histoire que Javert tomba en arrivant à Montfermeil. Le grand-père faisait évanouir Jean Valjean.

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