Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Jean Valjean se courba et baisa la main de cette enfant.

Neuf mois auparavant il baisait la main de la mère qui, elle aussi, venait de s'endormir.

Le même sentiment douloureux, religieux, poignant, lui remplissait le coeur.

Il s'agenouilla près du lit de Cosette.

Il faisait grand jour que l'enfant dormait encore. Un rayon pâle du soleil de décembre traversait la croisée du galetas et traînait sur le plafond de longs filandres d'ombre et de lumière. Tout à coup une charrette de cartier, lourdement chargée, qui passait sur la chaussée du boulevard, ébranla la baraque comme un roulement d'orage et la fit trembler du haut en bas.

– Oui, madame! cria Cosette réveillée en sursaut, voilà! voilà!

Et elle se jeta à bas du lit, les paupières encore à demi fermées par la pesanteur du sommeil, étendant le bras vers l'angle du mur.

– Ah! mon Dieu! mon balai! dit-elle.

Elle ouvrit tout à fait les yeux, et vit le visage souriant de Jean Valjean.

– Ah! tiens, c'est vrai! dit l'enfant. Bonjour, monsieur.

Les enfants acceptent tout de suite et familièrement la joie et le bonheur, étant eux-mêmes naturellement bonheur et joie.

Cosette aperçut Catherine au pied de son lit, et s'en empara, et, tout en jouant, elle faisait cent questions à Jean Valjean. – Où elle était? Si c'était grand, Paris? Si madame Thénardier était bien loin? Si elle ne reviendrait pas? etc., etc. Tout à coup elle s'écria: – Comme c'est joli ici!

C'était un affreux taudis; mais elle se sentait libre.

– Faut-il que je balaye? reprit-elle enfin.

– Joue, dit Jean Valjean.

La journée se passa ainsi. Cosette, sans s'inquiéter de rien comprendre, était inexprimablement heureuse entre cette poupée et ce bonhomme.

Chapitre III Deux malheurs mêlés font du bonheur

Le lendemain au point du jour, Jean Valjean était encore près du lit de Cosette. Il attendit là, immobile, et il la regarda se réveiller.

Quelque chose de nouveau lui entrait dans l’âme.

Jean Valjean n’avait jamais rien aimé. Depuis vingt-cinq ans il était seul au monde. Il n’avait jamais été père, amant, mari, ami. Au bagne il était mauvais, sombre, chaste, ignorant et farouche. Le cœur de ce vieux forçat était plein de virginités. Sa sœur et les enfants de sa sœur ne lui avaient laissé qu’un souvenir vague et lointain qui avait fini par s’évanouir presque entièrement. Il avait fait tous ses efforts pour les retrouver, et, n’ayant pu les retrouver, il les avait oubliés. La nature humaine est ainsi faite. Les autres émotions tendres de sa jeunesse, s’il en avait, étaient tombées dans un abîme.

Quand il vit Cosette, quand il l’eut prise, emportée et délivrée, il sentit se remuer ses entrailles. Tout ce qu’il y avait de passionné et d’affectueux en lui s’éveilla et se précipita vers cet enfant. Il allait près du lit où elle dormait, et il y tremblait de joie; il éprouvait des épreintes [77] comme une mère et il ne savait ce que c’était; car c’est une chose bien obscure et bien douce que ce grand et étrange mouvement d’un cœur qui se met à aimer.

Pauvre vieux cœur tout neuf!

Seulement, comme il avait cinquante-cinq ans et que Cosette en avait huit, tout ce qu’il aurait pu avoir d’amour dans toute sa vie se fondit en une sorte de lueur ineffable.

C’était la deuxième apparition blanche qu’il rencontrait. L’évêque avait fait lever à son horizon l’aube de la vertu; Cosette y faisait lever l’aube de l’amour.

Les premiers jours s’écoulèrent dans cet éblouissement.

De son côté, Cosette, elle aussi, devenait autre, à son insu, pauvre petit être! Elle était si petite quand sa mère l’avait quittée qu’elle ne s’en souvenait plus. Comme tous les enfants, pareils aux jeunes pousses de la vigne qui s’accrochent à tout, elle avait essayé d’aimer. Elle n’y avait pu réussir. Tous l’avaient repoussée, les Thénardier, leurs enfants, d’autres enfants. Elle avait aimé le chien, qui était mort. Après quoi, rien n’avait voulu d’elle, ni personne. Chose lugubre à dire, et que nous avons déjà indiquée, à huit ans elle avait le cœur froid. Ce n’était pas sa faute, ce n’était point la faculté d’aimer qui lui manquait; hélas! c’était la possibilité. Aussi, dès le premier jour, tout ce qui sentait et songeait en elle se mit à aimer ce bonhomme. Elle éprouvait ce qu’elle n’avait jamais ressenti, une sensation d’épanouissement.

Le bonhomme ne lui faisait même plus l’effet d’être vieux, ni d’être pauvre. Elle trouvait Jean Valjean beau, de même qu’elle trouvait le taudis joli.

Ce sont là des effets d’aurore, d’enfance, de jeunesse, de joie. La nouveauté de la terre et de la vie y est pour quelque chose. Rien n’est charmant comme le reflet colorant du bonheur sur le grenier. Nous avons tous ainsi dans notre passé un galetas bleu.

La nature, cinquante ans d’intervalle, avaient mis une séparation profonde entre Jean Valjean et Cosette; cette séparation, la destinée la combla. La destinée unit brusquement et fiança avec son irrésistible puissance ces deux existences déracinées, différentes par l’âge, semblables par le deuil. L’une en effet complétait l’autre. L’instinct de Cosette cherchait un père comme l’instinct de Jean Valjean cherchait un enfant. Se rencontrer, ce fut se trouver. Au moment mystérieux où leurs deux mains se touchèrent, elles se soudèrent. Quand ces deux âmes s’aperçurent, elles se reconnurent comme étant le besoin l’une de l’autre et s’embrassèrent étroitement.

En prenant les mots dans leur sens le plus compréhensif et le plus absolu, on pourrait dire que, séparés de tout par des murs de tombe, Jean Valjean était le Veuf comme Cosette était l’Orpheline. Cette situation fit que Jean Valjean devint d’une façon céleste le père de Cosette.

Et, en vérité, l’impression mystérieuse produite à Cosette, au fond du bois de Chelles, par la main de Jean Valjean saisissant la sienne dans l’obscurité, n’était pas une illusion, mais une réalité. L’entrée de cet homme dans la destinée de cet enfant avait été l’arrivée de Dieu.

Du reste, Jean Valjean avait bien choisi son asile. Il était là dans une sécurité qui pouvait sembler entière.

La chambre à cabinet qu’il occupait avec Cosette était celle dont la fenêtre donnait sur le boulevard. Cette fenêtre étant unique dans la maison, aucun regard de voisin n’était à craindre, pas plus de côté qu’en face.

Le rez-de-chaussée du numéro 50-52, espèce d’appentis délabré, servait de remise à des maraîchers, et n’avait aucune communication avec le premier. Il en était séparé par le plancher qui n’avait ni trappe ni escalier et qui était comme le diaphragme de la masure. Le premier étage contenait, comme nous l’avons dit, plusieurs chambres et quelques greniers, dont un seulement était occupé par une vieille femme qui faisait le ménage de Jean Valjean. Tout le reste était inhabité.

вернуться

[77] Contractions abdominales douloureuses consécutives à l'accouchement.

42
{"b":"100329","o":1}