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…Et une langue humaine a trouvé, au beau milieu du XIXe siècle, ce siècle de lumière et de civilisation – assez de force pour prononcer publiquement ces paroles! Comment a pu s’élever à cette hauteur de lâcheté le cynisme politique… Je ne le sais, c’est un mystère de l’éducation de ces gens…

Demandez-leur – ils vous répondront qu’ils sacrifient tout ce qui est humain pour défendre la société, la religion, la famille. Comment la défendre, contre qui?.. Une société qui tombe en pièces a son ennemi dans son cœur, dans son sang…

Elle doit être belle pourtant, la société défendue par Thiers.

La religion – défendue par Thiers!

La famille – défendue par Thiers!

Thierus, salvator societatis, redemptor – usurae et proprietatis defensor… ora pro nobis!

Pauvre Jésus Christ! A quels temps de misère es-tu parvenu…

Je dis Thiers… car il est le plus parfait représentant de la majorité, de cette majorité audacieuse en apparence et humble en fait, majorité joviale qui en riant et faisant des phrases déporte des milliers, qui n’a qu’un Dieu – le capital – et son prophète – la rente… n’a d’autre Dieu à côté de lui.

Thiers – causeur inépuisable, léger, superficiel, mutin et aimant l’autorité; libéral et couvert du sang de Lyon; esprit fort qui a dicté les lois de septembre – oui, c’est le type dela majorité rentière! Même son extérieur de vieillard mignon avec de petites jambes dodues, avec un ventre agréable, avec son air de majordome, de Figaro à cheveux blancs – est un idéal – représente très bien la couche grasse qui se répand comme l’huile sur toute la société moderne!

Qu’on ordonne donc au plus vite de couler une statue de Thiers, en airain, une statue avec des lunettes, avec son costume d’été et son sourire de toutes les saisons. Sa place est toute trouvée; il remplacera la danseuse d’opéra sur la colonne de Juillet. A la Place de la Bastille – Thiers; à la Place Vendôme – son empereur. L’époque héroïque de la bourgeoisie allant conquérir le monde et l’époque de floraison de la bourgeoisie jouant le monde à la bourse!

– Tout cela est bien triste, bien déplorable, – me disaient mes braves amis atteints d’une espérance chronique et d’un optimisme incurable, – mais c’est passager; il ne faut pas se méprendre… Attendez un peu; nos ennemis veulent toucher de leurs mains «sacrilèges et liberticides» au suffrage universel. Le peuple se lèvera comme un seul homme pour défendre le plus sacré de ses droits…

Je secouais la tête sans rien dire. Deux mois se sont écoulés. Le suffrage universel est aboli, et pas un homme ne s’est levé. Le peuple est resté dans le calme «majestueux et imposant» qu’on lui prêchait tant, calme, dans lequel reste un homme dévalisé au milieu d’un chemin désert, content de n’être pas assassiné ni estropié.

Mais les hommes frappés d’espérances à perpétuité me rient au nez… «Vous n’y comprenez rien, le gouvernement est tout proche de sa chute… regardez, regardez comme il se penche!..»

Je regarde… Le gouvernement devient de plus en plus stable…

– Mes amis, – leur disais-je, – il tombera, pas le moindre doute; tout passe dans ce monde, et la passion du changement est le bon génie de la France… Mais ce n’est pas par vous ni pour vous que le régime actuel tombera. Le peuple n’est ni pour le gouvernement ni pour vous. La lutte entre les formes gouvernementales ne l’intéresse pas. Il vous suffit, à vous, d’avoir les mots; le peuple ne désire que les choses,votre liberté formaliste ne le tente pas. Le peuple n’est pas avec vous parce que vous devez être avec lui. Vous devez enfin sérieusement l’étudier – non dans les livres mais dans les chaumières, – et non lui – donner son sang pour des essais de révolution expérimentale. Il faut abandonner la vieille routine… ou être prêt à passer à l’état d’anachronisme vivant, de revenants, de rareté historique, paléontologique – comme les légitimistes, les jésuites et autres fossiles.

– Il est beau d’espérer… mais il est diablement utile d’analyser!

Mais je quitte mes amis… pour ajouter encore quelques mots sur Paris.

Il est difficile de s’imaginer de loin ce qui se fait ici. Aucune de ces petites, pauvres garanties, données par le code à l’individu n’existe plus; une terreur policière domine la ville, une terreur féroce et hypocrite qui se tient dans les ténèbres, qui se cache derrière le mur, qui écoute derrière la porte. Les secrets de famille, les confidences amicales, tout tombe dans les mains sales des laquais de l’inquisition laïque. On fait des perquisitions on emporte les papiers – on ne restitue que les notes des tailleurs et des bottiers.

On craint tout le monde… On craint les portiers, les соmmissionnaires, ses domestiques et les trois quarts de ses amis. Les uns dorment ailleurs que chez eux; d’autres portent toujours un passeport visé pour quelque pays libre. Au coin des rues rôdent des figures patibulaires en redingote qui n’est pas faite à leur taille, en chapeau râpé, avec une moustache militaire. Ces êtres reconduisent les passants par leur regard, les suivent, les montrent à d’autres… Ce sont les anges gardiens de la société!

Le soir, des bandes d’espions vont à la chasse des journaux qui n’ont pas l’autorisation de la vente dans les rues. Par de petites ruses, en se parjurant, en mentant, ils parviennent à acheter un numéro de L’Evénement… Ils sifflent alors et d’autres en <…>[354] sieurs embarqués s’élancent sur la petite boutique ou sur la table d’étalage – tout est déchiré, brisé… Une vieille femme, qui perd là son dernier avoir, se lamente, pleure; on la traîne, on la bouscule, on la maltraite et on l’amène à la préfecture avec un enfant demi-nu, qui n’a rien mangé et sur lequel on a trouvé pour trois sous d’ Estafette. Les passants regardent ces scènes dégoûtantes en se taisant… et vont leur chemin, heureux de ne pas être compromis… Tout à fait comme à Varsovie après le triomphe de l’ordre ou à Pétersbourg où l’ordre triomphait toujours.

Et qui est-ce donc celui qui fait to<…>[355]

Une société anonyme d’intrigants po<litiques>[356], joueurs de bourse, s’appuyant sur la com<…>[357] <pub>lique[358], sur la sympathie de la bourgeoisie <…>[359] par les pirates de la police et les condottieri, écrase, opprime, abaisse la France et reste <…>[360] anonyme! – West-french company!

Dans une tyrannie – sans tyran – il y a quelque <chose>[361] de plus dégoûtant que dans l’oppression par<un>[362] monarque. Là, on sait au moins qui haïr – on a une mire…

Cette «Gallican-exploration company» a un chef central de la police – un commissaire des commissaires, un homme qui a obtenu 6.000.000 de votes en mémoire de ce que son oncle opprimait pendant 15 ans le même peuple et parsema les champs de

l’Europe entière de cadavres français pour faire possible la rentrée des Bourbons.

Mais le président n’est pas la cause du mal, il en est le résultat. Le principe morbifique est ailleurs, et d’abord, qui est-il, cet homme?

J’ai eu beau le regarder, je n’ai vu dans ses traits vulgaires,dans ses petits yeux torves, dans son nez d’une ignoble capacité – que des qualités négatives… et c’est ce qui m’a fait peur; c’est pour cela, pensai-je, qu’il sera grand, car il est de son temps.

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