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Et tout de suite après, ils en découvrirent un troisième sur la droite.

– Fichtre, murmura l’inspecteur, la situation se complique. Si nous passons par ici, ils fileront par là, eux.

– Séparons-nous, proposa Beautrelet.

– Non, non... ce serait nous affaiblir... Il est préférable que l’un de nous parte en éclaireur.

– Moi, si vous voulez...

– Vous, Beautrelet, soit. Je resterai avec mes hommes... comme ça, rien à craindre. Il peut y avoir d’autres chemins que celui que nous avons suivi dans la falaise, et plusieurs chemins aussi à travers l’Aiguille. Mais, pour sûr, entre la falaise et l’Aiguille, il n’y a pas d’autre communication que le tunnel. Donc, il faut qu’on passe par cette grotte. Donc je m’y installe jusqu’à votre retour. Allez, Beautrelet, et de la prudence... À la moindre alerte, rappliquez...

Vivement Isidore disparut par l’escalier du milieu. À la trentième marche, une porte, une véritable porte en bois l’arrêta. Il saisit le bouton de la serrure et tourna. Elle n’était pas fermée.

Il entra dans une salle qui lui sembla très basse, tellement elle était immense. Éclairée par de fortes lampes, soutenue par des piliers trapus, entre lesquels s’ouvraient de profondes perspectives, elle devait presque avoir les mêmes dimensions que l’Aiguille. Des caisses l’encombraient, et une multitude d’objets, des meubles, des sièges, des bahuts, des crédences, des coffrets, tout un fouillis comme on en voit au sous-sol des marchands d’antiquités. À sa droite et à sa gauche, Beautrelet aperçut l’orifice de deux escaliers, les mêmes sans doute que ceux qui partaient de la grotte inférieure. Il eût donc pu redescendre et avertir Ganimard. Mais, en face de lui, un nouvel escalier montait, et il eut la curiosité de poursuivre seul ses investigations.

Trente marches encore. Une porte, puis une salle un peu moins vaste, sembla-t-il à Beautrelet. Et toujours, en face, un escalier qui montait.

Trente marches encore. Une porte. Une salle plus petite...

Beautrelet comprit le plan des travaux exécutés à l’intérieur de l’Aiguille. C’était une série de salles superposées les unes au-dessus des autres, et par conséquent, de plus en plus restreintes. Toutes servaient de magasins.

À la quatrième, il n’y avait plus de lampe. Un peu de jour filtrait par des fissures, et Beautrelet aperçût la mer à une dizaine de mètres au-dessous de lui.

À ce moment, il se sentit si éloigné de Ganimard qu’une certaine angoisse commença à l’envahir, et il lui fallut dominer ses nerfs pour ne pas se sauver à toutes jambes. Aucun danger ne le menaçait cependant, et même, autour de lui, le silence était tel qu’il se demandait si l’Aiguille entière n’avait pas été abandonnée par Lupin et ses complices.

« Au prochain étage, se dit-il, je m’arrêterai. »

Trente marches, toujours, puis une porte, celle-ci plus légère, d’aspect plus moderne. Il la poussa doucement, tout prêt à la fuite. Personne. Mais la salle différait des autres comme destination. Aux murs, des tapisseries, sur le sol, des tapis. Deux dressoirs magnifiques se faisaient vis-à-vis, chargés d’orfèvrerie. Les petites fenêtres, pratiquées dans les fentes étroites et profondes, étaient garnies de vitres.

Au milieu de la pièce, une table richement servie avec une nappe en dentelle, des compotiers de fruits et de gâteaux, du champagne en carafes, et des fleurs, des amoncellements de fleurs.

Autour de la table, trois couverts.

Beautrelet s’approcha. Sur les serviettes il y avait des cartes avec les noms des convives.

Il lut d’abord : Arsène Lupin.

En face : Mme Arsène Lupin.

Il prit la troisième carte et tressauta d’étonnement. Celle-là portait son nom : Isidore Beautrelet !

Notes :

↑ Les origines d’Étretat. – En fin de compte, l’abbé Cochet semble conclure que les deux lettres sont les initiales d’un passant. Les révélations que nous apportons démontrent l’erreur d’une telle supposition.

Un rideau s’écarta.

– Bonjour, mon cher Beautrelet, vous êtes un peu en retard. Le déjeuner était fixé à midi. Mais, enfin, à quelques minutes près... Qu’y a-t-il donc ? Vous ne me reconnaissez pas ? Je suis donc si changé !

Au cours de sa lutte contre Lupin, Beautrelet avait connu bien des surprises, et il s’attendait encore, à l’heure du dénouement, à passer par bien d’autres émotions, mais le choc cette fois fut imprévu. Ce n’était pas de l’étonnement, mais de la stupeur, de l’épouvante.

L’homme qu’il avait en face de lui, l’homme que toute la force brutale des événements l’obligeait à considérer comme Arsène Lupin, cet homme c’était Valméras. Valméras ! le propriétaire du château de l’Aiguille. Valméras ! celui-là même auquel il avait demandé secours contre Arsène Lupin. Valméras ! son compagnon d’expédition à Crozant. Valméras le courageux ami qui avait rendu possible l’évasion de Raymonde en frappant ou en affectant de frapper, dans l’ombre du vestibule, un complice de Lupin !

– Vous... vous... C’est donc vous ! balbutia-t-il.

– Et pourquoi pas ? s’écria Lupin. Pensiez-vous donc me connaître définitivement parce que vous m’aviez vu sous les traits d’un clergyman ou sous l’apparence de M. Massiban ? Hélas ! quand on a choisi la situation sociale que j’occupe, il faut bien se servir de ses petits talents de société. Si Lupin ne pouvait être, à sa guise, pasteur de l’Église réformée et membre de l’Académie des Inscriptions et des Belles-Lettres, ce serait à désespérer d’être Lupin. Or, Lupin, le vrai Lupin, Beautrelet, le voici ! Regarde de tous tes yeux, Beautrelet...

– Mais alors... si c’est vous... alors... Mademoiselle...

– Eh oui, Beautrelet, tu l’as dit...

Il écarta de nouveau la tenture, fit un signe et annonça :

– Mme Arsène Lupin.

– Ah ! murmura le jeune homme malgré tout confondu... Mlle de Saint-Véran.

– Non, non, protesta Lupin, Mme Arsène Lupin ou plutôt, si vous préférez, Mme Louis Valméras, mon épouse en justes noces, selon les formes légales les plus rigoureuses. Et grâce à vous, mon cher Beautrelet.

Il lui tendit la main.

– Tous mes remerciements... et, de votre part, je l’espère, sans rancune.

Chose bizarre, Beautrelet n’en éprouvait point de la rancune. Aucun sentiment d’humiliation. Nulle amertume. Il subissait si fortement l’énorme supériorité de son adversaire qu’il ne rougissait pas d’avoir été vaincu par lui. Il serra la main qu’on lui offrait.

– Madame est servie.

Un domestique avait déposé sur la table un plateau chargé de mets.

– Vous nous excuserez, Beautrelet, mon chef est en congé, et nous serons contraints de manger froid.

Beautrelet n’avait guère envie de manger. Il s’assit cependant, prodigieusement intéressé par l’attitude de Lupin. Que savait-il au juste ? Se rendait-il compte du danger qu’il courait ? Ignorait-il la présence de Ganimard et de ses hommes ?... Et Lupin continuait :

– Oui, grâce à vous, mon cher ami. Certainement, Raymonde et moi, nous nous sommes aimés le premier jour. Parfaitement, mon petit... L’enlèvement de Raymonde, sa captivité, des blagues, tout cela : nous nous aimions... Mais elle, pas plus que moi, d’ailleurs, quand nous fûmes libres de nous aimer, nous n’avons pu admettre qu’il s’établît entre nous un de ces liens passagers qui sont à la merci du hasard. La situation était donc insoluble pour Lupin. Mais elle ne l’était pas si je redevenais le Louis Valméras que je n’ai pas cessé d’être depuis le jour de mon enfance. C’est alors que j’eus l’idée, puisque vous ne lâchiez pas prise et que vous aviez trouvé ce château de l’Aiguille, de profiter de votre obstination.

– Et de ma niaiserie.

– Bah ! qui ne s’y fût laissé prendre ?

– De sorte que c’est sous mon couvert, avec mon appui, que vous avez pu réussir ?

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