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– Parbleu ! Comment aurait-on soupçonné Valméras d’être Lupin, puisque Valméras était l’ami de Beautrelet, et que Valméras venait d’arracher à Lupin celle que Lupin aimait ? Et ce fut charmant. Oh ! les jolis souvenirs ! L’expédition à Crozant ! les bouquets de fleurs trouvés : ma soi-disant lettre d’amour à Raymonde ! et, plus tard, les précautions que moi, Valméras, j’eus à prendre contre moi, Lupin, avant mon mariage ! Et, le soir de votre fameux banquet, quand vous défaillîtes entre mes bras ! Les jolis souvenirs !...

Il y eut un silence. Beautrelet observa Raymonde. Elle écoutait Lupin sans mot dire, et elle le regardait avec des yeux où il y avait de l’amour, de la passion, et autre chose aussi, que le jeune homme n’aurait pu définir, une sorte de gêne inquiète et comme une tristesse confuse. Mais Lupin tourna les yeux vers elle et elle lui sourit tendrement. À travers la table, leurs mains se joignirent.

– Que dis-tu de ma petite installation, Beautrelet ? s’écria Lupin... De l’allure, n’est-ce pas ? Je ne prétends point que ce soit du dernier confortable... Cependant, quelques-uns s’en sont contentés, et non des moindres... Regarde la liste de quelques personnages qui furent les propriétaires de l’Aiguille, et qui tinrent à honneur d’y laisser la marque de leur passage.

Sur les murs, les uns au-dessous des autres, ces mots étaient gravés :

César. Charlemagne. Roll. Guillaume le Conquérant. Richard, roi d’Angleterre. Louis le Onzième. François. Henri IV. Louis XIV. Arsène Lupin.

— Qui s’inscrira désormais ? reprit-il. Hélas ! la liste est close. De César à Lupin, et puis c’est tout. bientôt, ce sera la foule anonyme qui viendra visiter l’étrange citadelle. Et dire que, sans Lupin, tout cela restait à jamais inconnu des hommes Ah ! Beautrelet, le jour où j’ai mis le pied sur ce sol abandonné, quelle sensation d’orgueil ! Retrouver le secret perdu, en devenir le maître, le seul maître ! Héritier d’un pareil héritage ! Après tant de rois, habiter l’Aiguille !...

Un geste de sa femme l’interrompit. Elle paraissait très agitée.

– Du bruit, dit-elle... du bruit en dessous de nous... vous entendez...

– C’est le clapotement de l’eau, fit Lupin.

– Mais non... mais non... Le bruit des vagues, je le connais... c’est autre chose...

– Que voulez-vous que ce soit, ma chère amie, dit Lupin en riant. Je n’ai invité que Beautrelet à déjeuner.

Et, s’adressant au domestique :

– Charolais, tu as fermé les portes des escaliers derrière monsieur ?

– Oui, et j’ai mis les verrous.

Lupin se leva :

– Allons, Raymonde, ne tremblez pas ainsi... Ah ! mais vous êtes toute pâle !

Il lui dit quelques mots à voix basse, ainsi qu’au domestique, souleva le rideau et les fit sortir tous deux.

En bas, le bruit se précisait. C’étaient des coups sourds qui se répétaient à intervalles égaux. Beautrelet pensa :

« Ganimard a perdu patience, et il brise les portes. »

Très calme, et comme si, véritablement, il n’eût pas entendu, Lupin reprit :

– Par exemple, rudement endommagée, l’Aiguille, quand j’ai réussi à la découvrir ! On voyait bien que nul n’avait possédé le secret depuis un siècle, depuis Louis XVI et la Révolution. Le tunnel menaçait ruine. Les escaliers s’effritaient. L’eau coulait à l’intérieur. Il m’a fallu étayer, consolider, reconstruire.

Beautrelet ne put s’empêcher de dire :

– À votre arrivée, était-ce vide ?

– À peu près. Les rois n’ont pas dû utiliser l’Aiguille, ainsi que je l’ai fait, comme entrepôt...

– Comme refuge, alors ?

– Oui, sans doute, au temps des invasions, au temps des guerres civiles, également. Mais sa véritable destination, ce fut d’être... comment dirais-je ? le coffre-fort des rois de France.

Les coups redoublaient, moins sourds maintenant. Ganimard avait dû briser la première porte, et il s’attaquait à la seconde.

Un silence, puis d’autres coups plus rapprochés encore. C’était la troisième porte. Il en restait deux.

Par une des fenêtres, Beautrelet aperçut les barques qui cinglaient autour de l’Aiguille, et, non loin, flottant comme un gros poisson noir, le torpilleur.

– Quel vacarme ! s’exclama Lupin, on ne s’entend pas ! Montons, veux-tu ? Peut-être cela t’intéressera-t-il de visiter l’Aiguille.

Ils passèrent à l’étage au-dessus, lequel était défendu, comme les autres, par une porte que Lupin referma derrière lui.

– Ma galerie de tableaux, dit-il.

Les murs étaient couverts de toiles, où Beautrelet lut aussitôt les signatures les plus illustres. Il y avait la Vierge à l’Agnus Dei, de Raphaël, le Portrait de Lucrezia Fede, d’André del Sarto ; la Salomé, de Titien ; la Vierge et les Anges, de Botticelli ; des Tintoret, des Carpaccio, des Rembrandt, des Vélasquez.

– De belles copies ! approuva Beautrelet...

Lupin le regarda d’un air stupéfait :

– Quoi ! Des copies ! Es-tu fou ! Les copies sont à Madrid, mon cher, à Florence, à Venise, à Munich, à Amsterdam.

– Alors, ça ?

– Les toiles originales, collectionnées avec patience dans tous les musées d’Europe, où je les ai remplacées honnêtement par d’excellentes copies.

– Mais, un jour ou l’autre...

– Un jour ou l’autre, la fraude sera découverte ? Eh bien ! l’on trouvera ma signature sur chacune des toiles – par-derrière –, et l’on saura que c’est moi qui ai doté mon pays de chefs-d’œuvre originaux. Après tout, je n’ai fait que ce qu’a fait Napoléon en Italie... Ah ! tiens, Beautrelet, voici les quatre Rubens de M. de Gesvres...

Les coups ne discontinuaient pas au creux de l’Aiguille.

– Ce n’est plus tenable ! dit Lupin. Montons encore.

Un nouvel escalier. Une nouvelle porte.

– La salle des tapisseries, annonça Lupin.

Elles n’étaient pas suspendues, mais roulées, ficelées, étiquetées, et mêlées, d’ailleurs, à des paquets d’étoffes anciennes, que Lupin déplia : brocarts merveilleux, velours admirables, soies souples aux tons fanés, chasubles, tissus d’or et d’argent...

Ils montèrent encore et Beautrelet vit la salle des horloges et des pendules, la salle des livres (oh ! les magnifiques reliures, et les volumes précieux introuvables, uniques exemplaires dérobés aux grandes bibliothèques !) la salle des dentelles, la salle des bibelots.

Et, chaque fois, le cercle de la salle diminuait. Et, chaque fois, maintenant, le bruit des coups s’éloignait. Ganimard perdait du terrain.

– La dernière, dit Lupin, la salle du Trésor.

Celle-ci était toute différente. Ronde, aussi, mais très haute, de forme conique, elle occupait le sommet de l’édifice, et sa base devait se trouver à quinze ou vingt mètres de la pointe extrême de l’Aiguille.

Du côté de la falaise, point de lucarne. Mais, du côté de la mer, comme nul regard indiscret n’était à craindre, deux baies vitrées s’ouvraient, par où la lumière entrait abondamment. Le sol était couvert d’un plancher de bois rare, à dessins concentriques. Contre les murs, des vitrines, quelques tableaux.

– Les perles de mes collections, dit Lupin. Tout ce que tu as vu jusque-là est à vendre. Des objets s’en vont, d’autres arrivent. C’est le métier. Ici, dans ce sanctuaire, tout est sacré. Rien que du choix, de l’essentiel, le meilleur du meilleur, de l’inappréciable. Regarde ces bijoux, Beautrelet, amulettes chaldéennes, colliers égyptiens, bracelets celtiques, chaînes arabes... Regarde ces statuettes, Beautrelet, cette Vénus grecque, cet Apollon de Corinthe... Regarde ces Tanagras, Beautrelet ! Tous les vrais Tanagras sont ici. Hors de cette vitrine, il n’y en a pas un seul au monde qui soit authentique. Quelle jouissance de se dire cela ! Beautrelet, tu te rappelles les pilleurs d’églises dans le Midi, la bande Thomas et compagnie – des agents à moi, soit dit en passant –, eh bien ! voici la châsse d’Ambazac, la véritable, Beautrelet ! Tu te rappelles le scandale du Louvre, la tiare reconnue fausse, imaginée, fabriquée par un artiste moderne... Voici la tiare de Saïtapharnès, la véritable, Beautrelet ! Regarde, regarde bien, Beautrelet ! Voici la merveille des merveilles, l’œuvre suprême, la pensée d’un dieu, voici la Joconde de Vinci, la véritable. À genoux, Beautrelet, toute la femme est devant toi !

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