Les citoyens qui ont travaillé avec des azis non socialisés déclarent presque tous avoir fini par être submergés par l’attachement qu’ils étaient disposés à leur accorder.
Ils ont bien trop confiance en moi, disent-ils presque toujours.
Mais celui-ci est un militaire et il a côtoyé des citoyens qui n’ont pas reçu de formation particulière. Il s’est endurci sur le plan émotionnel et ne redoute pas de fréquenter ses camarades non azis. Son chef a dû passer un examen avant d’être habilité à s’occuper d’azis, mais s’il le traite comme ses autres hommes il sait qu’il sera nécessaire de le recevoir immédiatement s’il sollicite une entrevue et qu’il faudra le placer sous sédatifs et l’envoyer sans délai à l’hôpital s’il a besoin de l’intervention d’un superviseur de Bêta. Les azis ont rarement des problèmes et leurs protections émotionnelles sont aussi efficaces que celles d’un citoyen, mais leur psychset n’est pas attribuable à l’expérience et ils ne peuvent en conséquence y trouver un soutien social. Tout azi qui sent ce bouclier s’affaiblir devient vulnérable à son entourage. Son état est proche de celui où plonge tout individu qui étudie sous sensibilisateur chimique et il ne peut repousser les stimuli qui l’assaillent. On pourrait comparer cela à prendre des cataphoriques dans une pièce bondée de monde : une situation angoissante et destructrice.
Cette bande est très agréable. Elle lui réaffirme l’importance des valeurs qui lui ont été inculquées et l’estime qu’il se porte. Il a en lui une confiance absolue. Il connaît ce que nul citoyen ne pourra éprouver en vivant dans un monde régi par les lois du hasard : il communie avec la vérité et s’accepte tel qu’il est.
Nous voici à Reseune, là où est né notre soldat. Cet azi de trois ans, bien plus jeune que le futur calligraphe, s’apprête à recevoir ce qui est communément appelé une bande-profonde. S’il est inquiet, ce n’est pas à cause du processus auquel il s’est déjà soumis maintes fois mais des dimensions impressionnantes de lamachine. Le psychochirurgien l’étreint, le rassure, et le déride en lui faisant une grimace. L’azi laide à placer les électrodes.
La dose de cataphoriques est importante. Le seuil de sa conscience est plat et son sang fait l’objet d’analyses constantes.
La bande traduit les ensembles de valeur en mots dont il peut assimiler le sens.
Elle lui apprend comment susciter de l’approbation. Elle lui précise quels sont ses talents et ses atouts.
Peut-être lui rappellera-t-elle qu’il doit veiller à réprimer certaines de ses tendances naturelles, comme un père dirait à son fils qu’il est mal de bouder. Mais la bande entrecoupe ces conseils d’éléments positifs et de félicitations, et s’achève toujours ainsi.
Elle prend fin, et le superviseur prononce le mot clé qui verrouillera ces acquis. L’azi s’en souviendra. Pour avoir accès à ces instructions, le superviseur n’aura à l’avenir qu’à employer cette clé, mentionnée dans le fichier du sujet avec la référence de la bande. Au fur et à mesure qu’il grandira, sa bande-profonde deviendra plus abstraite et les clés verbales s’intégreront à des blocs de plus en plus vastes pendant que ses structures psych se fondront en ensembles complets, et il acceptera les valeurs inculquées en leur accordant la confiance que les superviseurs inspirent à tout azi.
Compte tenu du désarroi de l’enfant devant la machine, l’homme profite du fait qu’il est toujours réceptif aux instructions pour le rassurer au sujet de cet appareil. Toute manifestation d’angoisse au cours de telles séances, même minime, doit faire l’objet d’une analyse approfondie qui permettra d’en découvrir les causes et de les traiter. Nul superviseur ne souhaite qu’un de ses azis aborde ces séances en éprouvant de l’appréhension.
Toutes les bandes des azis ont été conçues ici, dans ces bureaux d’apparence banale, par des chercheurs dont certains sont eux-mêmes des azis. Des ordinateurs facilitent leur travail. Ils analysent les résultats des examens physiologiquesc coordination œil/main pour tel généset, temps de réaction, équilibre, vision, ouïe, force physique, activité hormonale, tests de Rezner, vulnérabilité au stress. Le concepteur tient compte de tous ces paramètres pour créer une bande spécifique et façonner un psychset particulier.
C’est un concepteur qui consulte la bibliothèque de Reseune et choisit un généset à même de recevoir ce qui est nécessaire au développement de nouvelles applications.
C’est un concepteur qui s’occupe de cet azi renvoyé aux labos par son superviseur, qui pense avoir décelé des anomalies dans son comportement. Il devra effectuer des tests et interroger le sujet afin de découvrir si c’est ce dernier qui a un problème, ou son supérieur. Il préparera ensuite une bande de réadaptation ou rédigera un ordre concernant la totalité des azis de ce généset. Il pourra par exemple leur interdire d’effectuer certaines tâches.
C’est un concepteur qui a destiné ce garçon à des opérations de sécurité civile, très différentes de celles, militaires, qu’exécutent habituellement les azis de ce génotype. De tels changements d’affectation suscitent toujours des craintes, car un échec est autant redouté par les responsables que par les azis. Pour de telles expériences, on prend soin d’attribuer un mot de passe aux ensembles altérés, une sorte d’étiquette qui permettra au psychochirurgien de les récupérer s’il s’avère problématique de les intégrer au psychset. Les azis qui participent à des programmes d’essais de courte durée sont aptes à effectuer de telles interventions sur eux-mêmes et peuvent refuser de se soumettre à tel ou tel test. Ici, le principe fondamental est de prendre son temps et de ne pas brûler les étapes.
Il arrive parfois que, comme les citoyens, des azis aient de graves problèmes psychologiques.
La plupart sont alors renvoyés à Reseune, où concepteurs et psychochirurgiens s’efforcent de résoudre leurs difficultés. De tels travaux sont non seulement utiles aux principaux intéressés mais aussi à la science prise dans son ensemble et plus particulièrement à la psychothérapie générale.
La solution peut consister en une réadaptation, qui requiert un effacement mental puis une longue période de convalescence. Chez un azi dont le génotype et le psychset ont fait leurs preuves, de tels problèmes sont toujours dus à un traumatisme. S’il a fait l’objet de négligence ou de mauvais traitements, Reseune peut alors agir sur le plan légal afin de protéger les intérêts de l’azi concerné.
Dans d’autres cas le patient est confié à la section génétique et la production de son génotype est suspendue tant qu’une solution n’a pas été trouvée.
Quelquefois, il n’existe aucune solution, pas le moindre psychset réparateur utilisable, même après un effacement mental, et la seule issue est une liquidation. La qualité de la vie d’un azi est une considération qui prime toutes les autres et Reseune – à qui l’on doit les règles qui interdisent à un superviseur de s’adresser avec brutalité à un de ses azis – est confronté à la pénible décision que doivent prendre les proches parents d’un malade dont les fonctions vitales se poursuivent après que toute activité cérébrale, toute vie consciente, a cesséc
Chapitre IV
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La cuve utérine s’inclina et son contenu fut vidé dans le bac récepteur. Ariane Emory se débattait et se contorsionnait : nageuse miniature dans une pénombre non familière et une mer plus vaste que la précédente.