Pour cette expérience, neuf matrices resteraient occupées trois semaines et six deux fois plus longtemps, avant qu’ils n’effectuent la sélection finale et ne se débarrassent des sujets en réserve.
Les responsables des laboratoires de Reseune ne voulaient courir aucun risque.
Audiotexte extrait de :
Formes de croissance
Bandétude de génétique n‹1
Publications éducatives de Reseune :
8970-8768-1 approuvé pour 80 +
Tous ceux qui ont reçu une bande sous cataphoriques connaissent les biosondes de contrôle. Le plus rudimentaire des lecteurs domestiques est doté d’un cardiographe : une simple électrode qui enregistre le pouls. Tout programme ludique ou éducatif suivi sous sensibilisateur chimique peut en effet être à l’origine de violentes réactions émotionnelles si son contenu déclenche la résurgence de certains souvenirs ou fait naître une empathie profonde. En suivant une pièce classique telle qu’Othello, par exemple, certains individus peuvent établir un parallèle entre des épisodes de la vie des personnages et ceux de leur propre vécu, et s’identifier à eux à un degré plus ou moins grand.
Le spectateur est alors soumis à la même tension nerveuse que les héros du drame. Mais dès que le rythme cardiaque s’accélère, la biosonde enregistre cette information et la communique aux modules de surveillance du lecteur. Si un seuil établi au préalable est franchi, l’appareil interrompt le programme et une bande de musique apaisante prend le relais.
Cet enfant s’est rendu dans une clinique éducative dans un but bien précisc il souhaite améliorer sa calligraphie. Il tend son bras au technicien qui palpe les muscles et les localise sans hésitation, avant d’appliquer des biosondes numérotées sur sa peau. Il en placera d’autres sur le pourtour des yeux, sous le bras, sur le cœur et l’artère carotide.
Ces petites plaques adhésives grises sont munies de deux électrodes : ce lecteur est bien plus perfectionné que les lecteurs domestiques et dispose d’un système de biorétroaction. Les numéros des biosondes correspondent à ceux que le tech lit dans la brochure qui accompagne la bande éducative. Pour la simple acquisition de capacités instinctives, il n’est pas nécessaire que le praticien soit diplômé en psychothérapie. Les électrodes appliquées sur l’épiderme à l’emplacement des muscles indiqués dans le manuel d’instructions permettront à la machine de connaître leur activité individuelle, ou celle d’un groupe musculaire, et d’interrompre ou de reprendre l’envoi des impulsions.
Lorsque cette calligraphe expérimentée a écrit le texte à reproduire, elle portait des détecteurs similaires. Les mouvements de tous ses muscles ont été enregistrés. Nous assistons à la phase d’enregistrement de la bande.
Notre jeune élève ne peut s’empêcher d’éprouver une légère inquiétude, alors qu’il s’apprête à ressentir les effets du sensibilisateur chimique. C’est la première fois qu’il suit un programme éducatif sous cataphoriques. Le technicien le rassure et lui explique que les différences sont minimes entre les bandes éducatives et ludiques. Si les biosondes gênent quelque peu ses mouvements, ce n’est que momentané. La drogue agit et le tech s’assure par quelques tests que l’enfant est prêt. La bande débute et le petit garçon est intimidé par la difficulté de l’exercice. L’homme dissipe ses craintes. Dans un instant, grâce à la double fonction des électrodes, l’élève percevra dans sa chair ce que fait son professeur. La femme prend le stylo et commence à écrire. Il découvre comment elle procède. Il voit les lettres prendre forme et sent dans sa chair les mouvements précis de la main et des doigts. L’aisance du calligraphe expérimenté lui est révélée.
Plusieurs séances lui seront sans doute nécessaires, mais les résultats sont perceptibles dès qu’il effectue seul l’exercice, sitôt après son réveil. Il tient correctement le stylo et ses muscles ne se contractent pas. Finies, les crampes dues à des doigts crispés ; et son attitude corporelle s’est en outre notablement améliorée depuis qu’il a trouvé le point de pivot sur lequel sa main doit reposer. Il est à la fois surpris et ravi du résultat. Il refera souvent cet exercice, afin de renforcer les automatismes. Il se remettra au travail après le déjeuner et recommencera demain. Cet entraînement assidu créera une habitude. Il pourra en outre reprendre la bande tant que ses parents ou lui-même ne s’estimeront pas satisfaits des résultats.
Cet azi de type Bêta est affecté aux forces spéciales. Il est debout et dilate les muscles de son dos à la demande du technicien. Il ferme les yeux, sans manifester d’intérêt pour les préparatifs qui ont tant inquiété notre calligraphe en herbe. C’est avec impatience qu’il attend de recevoir sa bande, mais pour acquérir les capacités qu’il doit maîtriser la participation de la totalité de son corps est en l’occurrence nécessaire. Il fait cela deux fois par mois depuis l’enfance et les électrodes de biorétroaction sont à ses yeux plus importantes encore que les cataphoriques. Entre autres choses, il sait s’instruire avec plus d’efficacité et sa concentration d’esprit est bien supérieure à celle du jeune élève. Il connaît les noms de tous les muscles et sait placer seul les biosondes. Il suit de nombreux programmes d’études facultatifs dans ses quartiers en prenant une dose de cataphoriques à peine plus forte que celle utilisée par d’autres pour regarder une bande ludique. Il sait désormais se rendre réceptif sans sensibilisateur chimique.
À la fin de chaque mois, cet azi se voit attribuer une bande très différente de celles que peuvent obtenir les citoyens : il fait alors une expérience qu’il ne pourrait décrire, car elle est plus sensorielle que verbale. S’il l’appelle une super-bande, le terme employé à Reseune est celui de bande-récompense.
La femme qui la lui passe n’est pas une technicienne, mais un superviseur de Bêta, et elle emploie un appareil très complexe qui comporte une boucle chimiosanguine chargée d’analyser le sang et d’y injecter des euphorisants naturelsc un procédé qui n’est utilisé sur des CIT que lorsque des ajustements psych s’avèrent indispensables.
Cet azi, qui a reçu de telles bandes depuis sa plus tendre enfance, trouve l’expérience très agréable et préfère cela à toute autre forme de récompense. Celle-ci est interne, et profonde.
Contrairement à une intervention effectuée sur un citoyen, et dont les résultats dépendent en grande partie de l’intuition du psychologue, celle-ci est ciblée avec précision et préparée par les concepteurs auxquels on doit le psychset de cet azi. Une telle précision serait impossible à atteindre dans le cas d’un patient non azi dont la vie a été façonnée par le hasard, des événements dont nulle trace n’est conservée. Le psychset de cet azi a été préparé sur bandes et est bien connu des spécialistes, même après qu’il a servi dans les forces armées et ainsi côtoyé un grand nombre de citoyens-nés.
Tous ses supérieurs ont reçu une formation spéciale et savent comment se comporter avec ses semblables. Ils veillent à ne pas s’adresser à eux avec brutalité. Le respect et le manquement à la discipline sont sanctionnés par une récompense ou son absence, et la confiance qu’un azi porte à un superviseur-psychologue est plus grande que celle d’un enfant envers ses parents. Que l’identité de ce superviseur puisse changer ne le trouble pas. Cette femme lui inspire un sentiment de sécurité absolu, dès l’instant où il la sait qualifiée.