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Cyteen -1

C. J. Cherryh

Audiotexte extrait de :

La Révolution humaine

« Les Guerres de Compagnie »

Tome I

Publications éducatives de Reseune :

4668-1368-1 approuvé pour 80 +

Tentons d’imaginer les divers composants de notre espèce confinés sur un seul monde, une planète fertilisée par les ossements pétrifiés de nos ancêtres, pointillée par les ruines de dix millénaires de civilisations oubliéesc ce microcosme que les humains ont un jour quitté pour s’aventurer dans l’espace, ce milieu où ils ont vécu de la chasse et de la cueillette, avant de cultiver le sol en utilisant des méthodes archaïques, filer de quoi se vêtir et préparer leurs maigres repas sur des feux de bois.

La Terre, dont les habitants devaient se soumettre à la volonté d’une multitude d’administrateurs, conseillers, rois, ministres et présidents ; parlements, sénats et comités ; républiques, démocraties, oligarchies, théocraties, monarchies, hégémonies et partis politiques qui avaient proliféré au fil des siècles.

Station Sol existait, primitive mais autonome, et pour bénéficier des importants dégrèvements fiscaux accordés aux entreprises qui favorisaient le développement scientifique elle fut à l’origine d’un grand nombre de projets ambitieux. On lui doit les sondes stellaires géantes autopropulsées et les amas de vaisseaux-pousseurs habités lancés vers les autres systèmes.

Le premier de ces modules, la vénérable Gaia, devait transporter les composants de Station Alpha vers ce que l’on appelait à l’époque l’étoile de Barnard et abandonner trente chercheurs et techniciens au cœur de ce qui était alors un isolement absolu. Ces pionniers se créeraient un habitat en extrayant les matières premières de la roche et de la glace présentes dans ce système, procéderaient à des expériences scientifiques et resteraient en liaison avec la Terre par radio.

S’il avait été prévu à l’origine d’employer des pousseurs non réutilisables – de simples sondes stellaires robotisées –, la présence d’êtres humains à leur bord imposa aux concepteurs de prévoir la possibilité d’interrompre la mission et de revenir vers le point de départ. Compte tenu des risques inhérents à un tel voyage, ils optèrent pour une autonomie totale et décidèrent qu’un module-pousseur habité resterait à Barnard si l’étoile s’avérait trop pauvre en matières premières pour assurer l’autonomie d’Alpha. Gaia demeurerait sur place quelques années puis prélèverait sur la station de quoi ramener les membres de l’expédition vers la Terre. Si Alpha trouvait dans ce système de quoi garantir son fonctionnement, Gaia ne s’y attarderait qu’un an : le temps de permettre à la station de devenir autonome et de se stabiliser sur son orbite. Gaia regagnerait alors Sol avec tout son équipage, serait ravitaillée, puis repartirait pour Alpha avec à son bord ce qu’il aurait été impossible de se procurer sur place. Ces pionniers considéraient en outre le maintien d’un contact avec le reste de l’humanité comme aussi important que ce réapprovisionnement. C’était pour eux la garantie de ne pas se retrouver coupés de leurs semblables, séparés d’eux par ce qui était à l’époque un néant inhabité.

Grâce au flot constant de données transmises par Gaia et Station Alpha, les Terriens furent informés de la réussite de la mission et du retour prochain de la sonde. Ils entreprirent aussitôt de former un nouvel équipage et d’organiser l’expédition de retour.

Mais les explorateurs de l’espace captèrent des informations à même de les inquiéter : la Terre avait connu des changements importants accentués par les effets de la relativité et ils ne se sentaient plus d’affinités avec ce monde en pleine mutation culturelle. Déçus par leur séjour à Station Sol, ils décidèrent de reprendre possession de Gaia par la force. Leur attaque prit les responsables de la station au dépourvu et leur permit de se rendre maîtres du vaisseau. L’équipe qui devait les relever dut attendre la construction de l’amas-pousseur suivant.

Lors des missions ultérieures, d’autres équipages prirent une décision identique et s’attribuèrent ainsi un statut d’éternels voyageurs. Ils assimilaient désormais leur appareil à un véritable foyer et avaient des enfants à son bord. Le nombre des stations stellaires et des pousseurs de ravitaillement se multiplia, et ceux que l’on appellerait bientôt les spatiaux se contentaient désormais de demander à la Terre et aux stations du carburant, des provisions, et la modernisation de leurs appareils par l’adjonction de modules plus spacieux et de propulseurs plus performantsc les améliorations dues aux progrès effectués par la science depuis leur dernier appontage.

Ces amas-pousseurs assuraient désormais une liaison régulière entre les stations d’une demi-douzaine d’étoiles. Mais compte tenu de l’isolement propre à cette époque – les messages ne pouvaient voyager plus vite que la lumière et les hommes se déplaçaient encore plus lentement – tous ces noyaux d’humanité étaient séparés par un décalage temporel de l’ordre de quatre à cinq ans, et notre espèce dut réapprendre à vivre en fonction de ces nouvelles contraintes.

La Terre ne fut ainsi informée que dix ans plus tard de la découverte d’une forme de vie intelligente sur la planète de l’étoile de Pellc autrefois Tau Ceti. Humains et Downers entretenaient de nombreux contacts depuis plus de deux décennies, quand les instructions des responsables terriens parvinrent à Pell. L’attente fut bien plus longue encore avant l’arrivée des scientifiques contraints de suivre une route interminable jalonnée de nombreuses stations : des noyaux d’humanité dont la culture était presque aussi étrangère pour les Terriens que celle des Downers.

Tout comme il nous est difficile d’imaginer la Terre à cette époque, les ressortissants de la planète-mère ne parvenaient qu’avec peine à assimiler le mode de pensée des spatiaux, ces individus qui refusaient de sortir de leurs appareils et cédaient à la panique dès qu’ils devaient s’aventurer dans les coursives bondées de monde de Station Sol, qu’ils jugeaient chaotique et terrifiante. Même les stationneurs étaient décontenancés par le mode de vie de leurs contemporains de l’Espace-profond : des humains dont la culture était fondée sur des histoires et des légendes ayant pour cadre des vaisseaux et des avant-postes lointains, et non un monde verdoyant et grouillant de vie dont ils n’avaient vu que des images.

Bien que confrontée à des problèmes de surpopulation et à des crises politiques – la conséquence d’anciennes rivalités – la Terre prospérait en tant que centre de rayonnement de l’expansion humaine. La ruée imprévisible des stationneurs vers Pell, motivée par la présence sur ce monde de biodenrées abondantes, d’une population autochtone primitive amicale et de ressources orbitales aisément exploitables, se changea en exode. Les stations situées entre Terre et Pell furent abandonnées et fermées, ce qui bouleversa le système d’échanges commerciaux du Grand Cercle et fut à l’origine d’une grave crise économique sur la Terre et Station Sol.

La planète-mère réagit en tentant d’imposer des réglementationsc avec dix ans de retard : les politiciens terriens ne pouvaient imaginer que l’augmentation de la population des stations restantes – un phénomène dû à la ruée vers Pell – apporterait à ces noyaux d’humanité une telle puissance. La concentration des humains et la découverte d’immenses richesses, éléments auxquels venait s’ajouter l’élan psychologique de l’exploration, firent évoluer la situation si rapidement que les instructions de la Terre, parvenues à destination avec un retard de vingt ans, s’avérèrent inapplicables. Un simple décalage d’un mois eût d’ailleurs suffi à les rendre inadéquates.

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