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En sortant de la voiture elle fut aveuglée par un flash et, quand elle put y voir à nouveau, elle eut le temps d'apercevoir un homme assez jeune tenant une énorme caméra devant lui.

- Pourquoi t'as fait ça? lui lança quelqu'un, avant que quelqu'un d'autre ne la pousse dans l'entrée du poste de police. La pièce grouillait de gens, en uniforme et en civil, qui suivaient ses moindres mouvements avec une expression de dégoût sur le visage.

- Par ici!

L'homme qui était resté assis à côté d'elle, sur le siège arrière de la voiture, la précéda et la foule s'écarta légèrement sur son passage. Quelqu'un la poussa dans le dos et sa côte cassée lui arracha une grimace de douleur. Une porte s'ouvrit devant elle et elle entra.

- Assieds-toi.

Elle tira la chaise vers elle, avec ses mains menottées, et s'assit. Deux autres hommes entrèrent et vinrent s'asseoir de chaque côté d'elle.

- Roger Larsson, se présenta l'un d'eux.

Son collègue pressa sur la touche d'enregistrement d'un magnétophone et hocha la tête, après s'être assuré que l'appareil fonctionnait bien.

- 3 avril 1999, 8 h 45, interrogatoire de Sibylla Forsenström. Sont présents, outre la prévenue, l'officier de police Mats Lundell et le commissaire Roger Larsson.

Il se redressa.

- Tu es bien Sibylla Forsenström?

Elle acquiesça de la tête.

- Je te prie de répondre à haute et intelligible voix à nos questions.

- Oui!

- Peux-tu nous dire ce que tu fais à Vimmerby!

Elle regarda la bobine du magnétophone qui tournait. Ils l'observaient, pleins d'expectative. On frappa discrètement à la porte et une femme entra avec un papier à la main. Elle le remit à l'homme qui s'appelait Roger, qui le lut rapidement et le posa ensuite, à l'envers, sur la table. Puis il leva à nouveau les yeux vers elle.

- Ce n'est pas moi qui ai fait ça, dit-elle.

- Quoi donc?

La question la prit de court. Elle était fatiguée, elle avait faim et du mal à se concentrer. Et elle venait de les mettre elle-même sur la piste.

- C'est Ingmar qui les a tués.

Les deux hommes se regardèrent, de l'autre côté de la table. Elle eut l'impression qu'ils masquaient un sourire.

- Tu veux dire Ingmar Eriksson, le gardien de l'hôpital de Vimmerby? Il s'est présenté au service des urgences, hier soir, avec la main droite écrasée et un œil crevé par une lime à ongles. C'est bien lui que tu veux dire?

Il y avait de la colère dans sa voix. Elle baissa le regard vers ses mains. Si elle parvenait à dissimuler la chaîne qui les reliait, on pourrait croire qu'elle portait deux bracelets en argent.

L'homme qui s'appelait Roger posa quelque chose sur la table.

- Pourquoi transportais-tu ça dans la poche de ta veste?

Elle leva les yeux et vit que c'était le crucifix. Il était posé devant elle dans une pochette en plastique.

- C'est lui qui me l'a donné, dit-elle à voix basse. Il avait l'intention de me tuer.

- Pourquoi donc?

- Pour faire retomber la culpabilité sur moi.

- La culpabilité de quoi?

Elle poussa un soupir.

- Il avait une liaison avec Rune Hedlund.

Roger Larsson eut un sursaut presque imperceptible.

- Avec qui?

- Rune Hedlund. Il est mort dans un accident de voiture le quinze mars de l'année dernière.

Les deux hommes se regardèrent. Ils ne dirent rien mais elle n'eut aucune difficulté à interpréter ce regard. Ils avaient devant eux une folle. Peut-être n'avaient-ils pas tort, après tout.

Lune ou pas, Dieu n'avait jamais été de son côté.

- Demandez à Patrik. Il sait que ce n'est pas moi.

- Qui ça, Patrik?

- Pat...

Comment s'appelait-il déjà? Elle avait lu son nom sur sa porte, au passage, mais ce souvenir s'était effacé de sa mémoire, pour l'instant.

- Sa mère est dans la police. Elle habite Sagargatan, dans le quartier de Söder.

- Tu veux dire: à Stockholm?

On frappa de nouveau à la porte et la femme apporta un nouveau document. Deux têtes curieuses passèrent par l'ouverture de la porte. L'homme qui s'appelait Roger lut et hocha la tête. Puis il regarda la pendule.

- Fin de l'interrogatoire à neuf heures trois. Sibylla ferma les yeux.

- Nous sommes obligés de nous interrompre. Veux-tu attendre ici ou en cellule?

Elle le regarda: quelle différence?

- Est-ce qu'il y a un lit, dans la cellule? finit-elle par demander, infiniment lasse.

Il hocha la tête.

- Alors je prends la cellule.

Il s'écoula plusieurs heures sans que rien ne se passe. Elle dormit par à-coups, sur la couchette de la cellule. Un sommeil agité de cauchemars portant sur une fuite éperdue, bien qu'au ralenti, devant un poursuivant invisible.

On lui donna également à manger, mais personne ne lui dit ce qu'on attendait. Si elle en avait eu la force, elle l'aurait peut-être demandé.

La porte fermée à clé lui inspirait moins d'inquiétude qu'elle ne l'avait redouté. En fait, il n'était pas désagréable de pouvoir se cacher et d'être dégagée de toute responsabilité. Elle avait fait ce qu'elle avait pu, et même plus que cela, et elle ne pouvait qu'accepter son échec, maintenant.

Ils avaient gagné et elle avait perdu.

Ce n'était pas plus grave que cela.

Au début de l'après-midi, Roger Larsson vint lui dire qu'ils attendaient la brigade criminelle de Stockholm. Elle ne répondit pas et se borna à constater intérieurement qu'on lui envoyait l'équipe première. On ne laissait pas à de minables petits flics de province le soin de s'occuper de redoutables assassins de son genre.

- Tu as droit à l'assistance d'un avocat, ajouta-t-il.

- Je n'ai rien fait.

- Je crois que tu ferais mieux d'en prendre un, dit-il en se dirigeant vers la porte.

Peu après, un homme d'une cinquantaine d'années vint la trouver à son tour. Ou bien il était très nerveux, ou bien il était vraiment stressé.

- Kjell Bergström, se présenta-t-il en posant sa serviette sur la table.

Elle se mit sur son séant avec une grimace. Sa côte aurait préféré qu'elle reste couchée.

- Je suis provisoirement votre avocat. Par la suite, vous serez sans doute transférée à Stockholm et alors vous en aurez un de là-bas. Vous ne savez peut-être pas que votre père est mort.

Elle le dévisagea.

- Quoi?

Kjell Bergström ouvrit sa serviette et en sortit une feuille de papier.

- J'ai reçu un fax d'un collègue de Vetlanda. On venait d'apprendre que vous aviez été arrêtée.

- Je suis innocente, dit-elle très vite.

Il parut un peu perturbé et la regarda pour la première fois.

- D'un arrêt du cœur, ajouta-t-il. Il y a deux ans de cela. Un arrêt du cœur.

Sibylla se demanda ce qu'elle ressentait. Elle dut reconnaître que cela ne lui faisait absolument rien que Henry Forsenström soit mort depuis deux ans. Pour elle, il l'était depuis bien plus longtemps que cela.

- D'après Krister Ek, l'avocat chargé de la succession, Béatrice Forsenström pensait que vous étiez décédée. Quand votre père est décédé, elle a cherché à vous faire déclarer morte et il allait bientôt être accédé à sa requête lorsque les journaux ont annoncé que vous étiez recherchée.

Sibylla ne put s'empêcher de sourire. La commissure de ses lèvres s'incurva vers le haut sans la moindre raison.

- Je suppose que c'est pour cette raison qu'elle m'a envoyé quinze cents couronnes tous les mois depuis quinze ans. Parce que je suis morte.

Ce fut au tour de Kjell Bergström d'être étonné.

- Ah bon?

- Jusqu'à la semaine dernière.

- Étrange. Très étrange, en vérité.

Je sais.

Kjell Bergström continua la lecture du document.

- Naturellement, la succession est assez importante. D'après la loi, l'actif revient, à parts égales, au conjoint survivant et aux descendants éventuels. Il semblerait donc que votre mère a cherché à vous priver de votre part d'héritage.

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