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La première chose qu'il fit en se réveillant fut de chercher ses lunettes. Il les mit sur son nez et regarda dans la direction de Sibylla. Puis il remonta le sac de couchage.

- Merde alors, qu'est-ce qu'il fait froid. C'était sympa, la veste. Tu veux que je te la rende?

- Tu peux la garder pour l'instant. Mon sac de couchage est plus chaud que le tien.

Derrière lui, l'horloge indiquait neuf heures dix.

- À quelle heure commences-tu?

Il la regarda.

- Eh là, t'es pas bien? C'est samedi, aujourd'hui.

Elle sourit. C'était vrai, elle n'était pas bien, elle avait oublié.

Il sortit l'une de ses mains du sac de couchage et attrapa l'emballage contenant les côtes de porc. Il le posa sur ses genoux et l'entrouvrit.

- Beurk, des côtes de porc au petit déjeuner.

- J'ai un peu de pain dur et du yaourt, si tu veux.

C'était plus appétissant, apparemment, car il lâcha les côtes de porc et se leva sans sortir de son sac de couchage. Il vint la rejoindre par petits bonds.

- Arrête! Le plancher risque de s'effondrer.

- Bah.

Une fois près d'elle, il se laissa tomber avec un bruit sourd. Elle le regarda en secouant la tête. Il eut un petit rire et se mit à dévorer le pain dur.

Il avait vraiment faim, cela ne faisait absolument aucun doute. Lorsqu'il en fut à la huitième plaquette, elle lui ôta le paquet.

- Il faut en garder pour demain.

- Bah, on peut en acheter d'autre.

Elle le regarda et il eut une mimique qui signifiait qu'il avait compris qu'il venait de dire une bêtise.

- Je peux en acheter, moi. Je te donnerai de l'argent.

- Non, merci.

Le moment était arrivé. Mais comment faire?

Elle prit sa respiration, pour se donner du courage.

- Tu lis le journal, d'habitude?

Il haussa les épaules.

- Ça m'arrive. Ma mère veut que je lise le "Dagens Nyheter", mais il est vachement épais. Y en a pour des heures. Alors, je jette un coup d'œil sur Expressen, le soir, quand mon père rentre à la maison.

Il la regarda à son tour.

- Et toi?

- Oui. Si j'en trouve un. Parfois je vais à la Maison de la culture. Ils les ont tous, là-bas.

Elle vit qu'il l'ignorait, mais il hocha la tête.

Elle poursuivit:

- Tu en as lu un, hier?

- Oui, en fait. Le supplément du vendredi.

Elle ne savait pas comment continuer. Avait-elle vraiment raison de vouloir tout lui dire? Elle avait été plus convaincue, tant qu'il n'était pas réveillé.

- Ça t'est jamais arrivé d'être accusé de quelque chose que tu n'avais pas fait?

- Oh si. T'as dit que t'avais du yaourt, hein?

Elle soupira et lui passa la bouteille en plastique.

- Je peux boire au goulot?

- Oui, puisque tu n'as pas pensé à prendre une assiette.

Il ricana légèrement et se mit à boire.

Elle prit une nouvelle fois sa respiration. C'était toujours le début qui était le plus difficile.

- Moi, ça vient de m'arriver.

Il se concentrait sur le yaourt. Celui-ci coulait mal, comme s'il voulait rester dans la bouteille. Il tapa légèrement sur le fond pour le décoller.

- Le nom de Sibylla te dit peut-être quelque chose?

Il hocha la tête mais continua à boire.

- N'aie pas peur, Patrik.

Elle hésita une dernière fois avant d'ajouter:

- Sibylla, c'est moi.

Tout d'abord, il ne se passa rien. Mais ensuite, elle vit qu'il avait fini par comprendre. Son corps se raidit et il ôta lentement la bouteille de ses lèvres. Puis il tourna la tête et la regarda. Elle vit que, maintenant, il avait peur.

- J'ai pas fait ce dont on m'accuse, Patrik. Il se trouve seulement que j'étais au Grand Hôtel quand ça s'est passé. Je jure par Dieu que je suis innocente.

Il était loin d'être convaincu. Il cessa quelques instants de la regarder, comme s'il cherchait par où il pourrait se sauver. Il fallait qu'elle gagne du temps. Les choses ne s'étaient pas du tout passées comme elle s'y attendait. Les mots étaient sortis d'eux-mêmes et tout ce qu'elle avait répété soigneusement avait disparu.

- Tu comprends bien que je ne suis pas une meurtrière. Sinon, on ne serait pas là, tous les deux, en ce moment. J'avais toute la nuit pour le faire.

C'était maladroit. Très maladroit. Il se leva soudain pour s'enfuir, mais il était entravé par son sac de couchage.

Il ne fallait pas qu'il parte. Pas encore.

Elle se jeta sur lui et le força à se recoucher, en coinçant ses bras sous ses genoux. Il avait la respiration lourde et elle comprit qu'il allait se mettre à pleurer.

Bon sang de bordel de merde.

- Me fais pas mal. Sois gentille.

Elle ferma les yeux. Qu'était-elle en train de faire, bon sang?

- Tu comprends bien que je ne veux pas te faire du mal, mais il faut que tu m'écoutes. Si je suis dans ce grenier, c'est parce que chaque bon Dieu de flic de ce pays me court après. Ils ont décidé que c'était moi. Ils ne me laissent pas la moindre chance. C'est comme je t'ai dit hier. Les gens comme moi n'ont aucun droit. Merde, Patrik. Je te raconte ça parce que je crois que je peux avoir confiance en toi. Que toi, au moins, tu vas me croire.

Il avait cessé de pleurer.

- Je te raconte ça parce que j'ai besoin de ton aide. Je n'ose même plus entrer dans un magasin.

Il la regarda avec des yeux écarquillés de peur.

Elle poussa un soupir.

- Et puis merde. Je te demande pardon.

Et si quelqu'un la voyait, en ce moment... À califourchon sur un gamin de quinze ans sans défense. Elle le lâcha et se leva.

- Va-t'en.

Il resta sans bouger. Il donnait l'impression d'oser à peine respirer.

- Allez, fiche le camp!

Il sursauta à cet éclat de voix. Il parvint à s'extraire de son sac de couchage, se leva et commença à se diriger vers la porte. Comme s'il avait peur qu'elle ne lui saute dessus à nouveau.

- Laisse-moi ma veste.

Il s'arrêta aussitôt, enleva la veste et la laissa tomber sur le plancher. Puis il s'éloigna à nouveau et, une fois parvenu aux marches, se précipita vers la porte. Elle l'entendit s'éloigner dans le couloir en courant.

Elle ferma les yeux et s'effondra sur son tapis de sol.

Elle ne pouvait pas rester là.

Elle remballa d'abord ses affaires à lui. Elle les rangea soigneusement dans son sac à dos et roula son tapis de sol. Puis elle passa à ses propres affaires. Au bout de quelques minutes, tout était prêt.

Arrivée près de la porte elle se retourna et regarda la grande horloge.

Salut!

Elle sortit dans le couloir et descendit l'escalier.

La main sur la poignée de la porte, elle hésita. Le simple fait d'ouvrir cette porte donnant sur le monde extérieur lui causait une sorte de nausée. Son éternel sentiment de crainte était en train de faire son malheur.

N'osant pas sortir directement dans la rue, elle avait choisi une issue qui donnait dans la cour de l'école. La porte se referma derrière elle. Il était trop tard pour revenir en arrière.

Elle traversa la cour en biais afin de prendre la direction du parc de Vitaberg, mais sans savoir où elle irait ensuite.

À mi-chemin, elle entendit un cri. Elle se figea de peur et se retourna pour chercher un endroit où se cacher.

- Sylla! Attends-moi!

C'est alors qu'elle le vit. Il venait de tourner le coin de Bondegatan et arrivait vers elle en courant. Elle baissa les yeux vers l'asphalte et attendit qu'il arrive. Pour commencer, il ne dit rien. Elle se remit en marche.

- Excuse-moi de pas t'avoir crue, mais j'ai eu vachement peur, tu sais.

Elle se retourna. Il y avait dans ses yeux une expression qu'elle n'avait pas encore vue. Une gravité qui n'existait pas auparavant. Il était essoufflé d'avoir couru et baissait les yeux comme s'il avait honte d'avoir eu peur.

- C'est pas grave.

Elle continua à marcher.

- Je sais que tu dis la vérité, poursuivit-il.

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