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La lumière et les ténèbres ne cessaient d'alterner. Le temps n'existait plus, il n'y avait plus que des mains qui la forçaient à avaler ces pilules blanches empoisonnées.

Mais, un jour, elle avait soudain compris ce qu'ils lui disaient. Ils lui parlaient doucement et semblaient vraiment vouloir son bien. La protéger. L'un d'entre eux avait poussé le lit sur lequel elle se trouvait, afin qu'elle voie qu'il n'y avait pas de trou en dessous. Elle avait accepté d'en sortir et de se rendre aux toilettes. Ils avaient alors retiré le tuyau de son ventre et enlevé le sac au liquide jaune.

Le lendemain, tous ceux qui venaient la voir avaient retrouvé leur visage. Ils lui souriaient. Ils bavardaient avec elle tout en lissant ses draps et redressant son oreiller. Mais ils continuaient à la forcer à avaler des pilules. Ils disaient qu'elle était malade et qu'elle était à l'hôpital. Qu'elle allait y rester encore un certain temps, jusqu'à ce qu'elle soit complètement guérie.

Et après cela? Elle s'efforça de ne pas penser à ce qui se passerait ensuite.

D'autres jours et d'autres nuits. Les voix du radiateur se turent et la laissèrent en paix.

Maintenant, elle sortait parfois dans le couloir. À l'une des extrémités, se trouvait un poste de télévision. Aucun des autres malades ne lui parlait. Chacun était dans son petit monde. Souvent, elle se tenait debout près de la fenêtre de sa chambre, le front contre la grille très froide, et observait le monde extérieur. La vie continuait, là-bas. Sans elle.

Béatrice Forsenström vint lui rendre visite. Vêtue impeccablement mais avec des cernes sous les yeux. Elle était accompagnée de l'homme qui voulait toujours la faire parler. Ils s'assirent tous deux au bord de son grand lit. Béatrice avait posé son sac sur ses genoux.

L'homme qui voulait la faire parler souriait et avait l'air gentil.

- Alors, comment te sens-tu?

Sibylla regarda sa mère.

- Mieux.

L'homme eut l'air satisfait.

- Est-ce que tu sais pourquoi tu es ici?

Sibylla avala sa salive.

- Peut-être que j'ai fait des bêtises.

L'homme regarda sa mère qui mettait sa main devant sa bouche.

Elle n'aurait pas dû dire ça. Cela allait faire de la peine à sa mère et la décevoir.

- Non, Sibylla, dit-il. Tu as été malade. C'est pour ça que tu es ici.

Elle fixa du regard ses propres mains, posées sur ses genoux. Personne ne dit rien pendant un moment. L'homme finit par se lever et se tourner vers sa mère.

- Je vous laisse un moment. Je reviendrai un peu plus tard.

Elles étaient maintenant seules dans la pièce. Sibylla regardait toujours ses mains.

- Pardon.

Sa mère se leva.

- Arrête de dire cela.

Elle avait réussi à la mettre en colère, également.

- Tu as été malade et tu n'as pas besoin de demander pardon pour cela, Sibylla.

Elle se rassit. Pendant un bref instant, leurs regards se croisèrent et, cette fois, ce furent les yeux de sa mère qui se dérobèrent les premiers.

Mais Sibylla avait eu le temps de saisir clairement ce qui se passait derrière eux, à ce moment. Elle était purement et simplement en colère que sa fille ait réussi à la placer dans cette délicate situation. Et de ne rien pouvoir y faire.

Sibylla baissa à nouveau les yeux vers ses propres mains.

Puis on frappa à la porte et l'homme qui voulait qu'elle parle entra. Il tenait un dossier de couleur brune dans l'une de ses mains et alla se placer au pied de son lit.

- Sibylla. Il y a une chose dont nous voulons te parler, ta maman et moi.

Elle chercha le regard de sa mère, mais celui-ci était fixé sur le sol. Elle serrait si fort son sac à main qu'elle avait les phalanges blanches.

- Est-ce que tu as un petit ami?

Sibylla le fixa des yeux. Il répéta sa question.

- Hein? Est-ce que tu en as un?

Elle secoua la tête. Il fit quelques pas et vint s'asseoir sur le bord de son lit.

- Tu comprends que la maladie dont tu es atteinte peut aussi avoir des causes d'ordre physique, n'est-ce pas?

Ah bon.

- Nous avons pratiqué des tests sur toi.

Ça, elle le savait.

- Il apparaît que tu es enceinte.

Ce dernier mot se répercuta en écho dans sa tête. Mais tout ce qu'elle voyait, c'était la couverture à carreaux.

Toute à lui, tout à elle. Eux deux.

N'importe quoi pour une seconde de ce sentiment d'intimité.

N'importe quoi.

Elle regarda sa mère. Elle savait déjà.

L'homme qui voulait qu'elle parle posa la main sur celle de Sibylla. Ce contact fit passer un frisson dans son corps.

- Sais-tu qui est le père de l'enfant?

Unis pour la vie, tous les deux. Pour toujours.

Sibylla secoua la tête. Sa mère regarda en direction de la porte. Elle n'avait qu'un seul désir: partir.

- Tu en es déjà à plus de six mois, alors il n'y a pas d'autre solution que de mener cette grossesse à son terme.

Sibylla posa la main sur son ventre. L'homme qui voulait qu'elle parle lui sourit, mais il n'avait pas l'air d'être très content.

- Comment te sens-tu?

Elle le regarda. Comment se sentait-elle?

- Ta maman et moi avons beaucoup parlé de cela. Elle regarda sa mère, dont les lèvres étaient exsangues.

- Nous pensons que le mieux, pour toi, serait de décider maintenant ce que nous allons faire.

Quelqu'un se mit à crier, dans la chambre d'à côté.

- Comme tu n'es pas encore majeure et que ce sont tes parents qui te connaissent le mieux, je crois que c'est eux qui sont le mieux placés. Et, comme je suis ton médecin, je pense qu'ils ont pris la bonne décision.

Elle le regarda sans comprendre. Quelle décision? Ils ne pouvaient quand même pas imposer leur volonté à son corps.

- Nous pensons que le mieux est que l'enfant soit donné en adoption.

Elle ne s'offrait que rarement le luxe de faire quelques achats dans ce supermarché ouvert de sept heures du matin à onze heures du soir. Les prix y étaient bien au-dessus de la moyenne. Mais elle ne pouvait plus observer les règles qu'elle s'était jadis imposées. Il lui fallait acheter de quoi rester cachée pendant quelques jours et cela dès que possible, afin de pouvoir être prête sitôt qu'ouvriraient les portes de l'école Sainte-Sophie. Avant que les couloirs ne grouillent d'élèves et de professeurs toujours prêts à poser des questions.

Dès sept heures, elle avait acheté une boîte de haricots, des bananes, du yaourt et du pain suédois, et elle attendait maintenant que le concierge de l'école ou quelqu'un d'autre lui ouvre les portes du paradis.

Car là, elle serait en paix.

À sept heures vingt, elle vit, de là où elle s'était postée, que le préposé à l'ouverture des portes accomplissait son devoir et, sitôt qu'il eut disparu, elle traversa la rue et entra. Elle escalada les escaliers et enfila le couloir. Elle ne croisa personne mais, comme dans tous les vieux bâtiments de pierre, les différents bruits de l'école se répercutaient contre les murs.

La porte du grenier était bien là où elle se souvenait. Avec l'inscription: Accès interdit à toute personne étrangère au service. En dessous, une personne scrupuleuse avait mis en garde, à la main, contre le plancher défectueux, qui risquait de s'effondrer.

L'endroit idéal, non?

La porte était fermée au moyen d'un banal cadenas et elle aurait eu bien besoin de son couteau suisse. Mais, en ce moment, il devait se trouver dans un commissariat quelconque à titre de pièce à conviction. Elle poussa un soupir. L'anneau était fixé au mur au moyen de quatre vis et elle se pencha sur son sac à dos pour tenter d'y trouver un outil approprié. Elle arrêta son choix sur sa lime à ongles et il se révéla bon. Elle avait à peine commencé à tourner la vis supérieure que celle-ci céda. Elle tâta les autres: elles ne tenaient pas plus. Un soupçon de méfiance l'effleura. Ce grenier, qui d'autre qu'elle connaissait son existence et l'abri qu'il offrait? Mais elle n'avait pas le temps de se livrer à de telles supputations. Le bruit des voix commençait à enfler, en dessous d'elle. Elle mit la lime à ongles dans sa poche et ouvrit la porte. Derrière, il y avait quelques marches et, sur le côté, une rampe. Elle entra et referma derrière elle.

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