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- Oui, en fait, j'aurais préféré cela.

Sibylla la regarda. C'était un genre de femme qu'elle n'avait jamais rencontré.

- Pourquoi cela?

Sa curiosité avait été piquée.

- C'était pourtant vous qui vouliez divorcer, poursuivit-elle.

Madame Grundberg était redevenue elle-même et elle se pencha en arrière sur son affreux fauteuil.

- Je comprends que cela peut paraître égoïste, mais c'est humiliant de savoir qu'on est remplacée par n'importe qui. Voire par la première putain venue, qui drague dans les hôtels. Quel mauvais goût!

Mais enfin, regarde autour de toi. Mon sac à dos est bien plus beau à voir que cette espèce de tanière dans laquelle tu vis. Ne viens pas me parler de bon goût.

Sibylla avala sa salive à deux reprises.

- Comment savez-vous que c'était une putain?

Madame Grundberg pouffa de mépris.

- Il n'y a qu'à la regarder! Ça se voit sur elle, non?

Elle se pencha et ramassa un journal du soir qui traînait sur le sol. Elle le tendit à Sibylla, qui jeta un regard rapide à son propre visage. La seule ressemblance notable était le nez.

- Comment la police est-elle sûre que c'est cette femme qui l'a tué?

Lena Grundberg laissa retomber le journal.

- Ils sont montés ensemble et, le lendemain matin, elle avait disparu. Si ce n'est pas une preuve... Sans parler de ses empreintes digitales qu'on a retrouvées un peu partout. Même sur la clé de la chambre de Jörgen.

- Mais... et si ce n'était pas elle? Êtes-vous sûre qu'il n'a pas d'ennemis... en Lettonie ou en Lituanie?

Prenant soudain conscience de ce qu'elle disait, elle masqua la fin de sa phrase derrière une quinte de toux simulée et continua à tousser pendant un bon moment pour couvrir sa bévue. Lena Grundberg se leva et alla chercher un verre d'eau.

- Merci, dit-elle. Excusez-moi, mais j'ai de l'asthme.

Madame Grundberg hocha la tête et retourna s'asseoir dans son fauteuil.

- Pas de quoi... disiez-vous?

- Pardon?

- Comment je peux être sûre qu'il n'a pas de... disiez-vous.

- D'ennemis... Ou quelque chose comme ça.

Lena Grundberg la regarda. Le moment était sans doute venu de prendre congé. Elle était déjà en train de se lever lorsque la femme qui se trouvait devant elle pouffa une nouvelle fois de mépris.

- Sibylla!

Sibylla sursauta comme sous l'effet d'une gifle. Leurs regards se croisèrent. Sibylla resta assise et avala une fois de plus sa salive.

- Rien que ce prénom... s'exclama madame Grundberg. Comment un être normal pourrait-il s'appeler ainsi?

Sibylla s'efforça de masquer son trouble. L'espace d'un instant, elle avait eu peur.

- En effet, on peut se le demander, dit-elle avec un sourire mielleux. Sa seule excuse, c'est qu'elle ne l'a pas choisi elle-même.

Lena Grundberg pouffa une fois de plus.

Sibylla ne tenait plus en place. Madame Grundberg n'était pas une compagnie particulièrement agréable, mais, après s'être donné le mal de venir jusque-là, il serait stupide de ne pas tenter d'obtenir d'elle le maximum d'informations.

- Comment est-il mort?

L'autre femme se racla la gorge.

- Il a eu la gorge tranchée. Ensuite, elle lui a ouvert le corps et a répandu ses entrailles sur le plancher.

On aurait dit qu'elle était en train de donner une recette de gâteau.

Sibylla sentit qu'elle commençait à se trouver mal et qu'elle avait besoin d'air. Elle se leva.

- Il faut que je m'en aille.

Madame veuve Grundberg ne bougea pas de son fauteuil.

- J'ai l'impression de n'avoir pas répondu à votre attente.

Pour une fois, elle n'eut pas à mentir.

- Non, pas vraiment.

Madame Grundberg hocha la tête et baissa le regard.

- Chacun prend les choses à sa façon. Ce fut au tour de Sibylla de hocher la tête.

- Oui, naturellement... Eh bien, merci de m'avoir reçue.

Elle passa dans le hall et remit ses chaussures. Lena Grundberg ne bougea pas de son fauteuil et, sans qu'aucune autre parole ne soit échangée, Sibylla ouvrit la porte d'entrée et quitta la maison.

Ce furent ses promenades qui la sauvèrent. Elles lui fournirent l'occasion de sortir de la maison et l'aidèrent à faire le ménage dans ses pensées confuses d'adolescente. Elle fréquentait surtout la périphérie de la localité, évitant le kiosque du centre, lieu de rendez-vous universel. Sibylla, elle, ne voulait rencontrer personne. Cela faisait longtemps qu'elle ne fréquentait plus ses camarades de classe, sauf lorsqu'elle ne pouvait faire autrement. C'était le cas à l'école et cela suffisait amplement.

À la sortie de la ville se trouvait le local de l'Association des jeunes amateurs d'automobiles, immeuble de deux étages assez décrépit comprenant un garage au rez-de-chaussée. Ce n'était pas un hasard s'il était situé un peu à l'écart du reste; c'était aussi, pour ces jeunes, une façon de prendre leurs distances avec les autres habitants.

Peut-être n'aurait-elle jamais remarqué le garçon si, juste au moment où elle passait par là, il ne s'était trouvé penché sur le capot d'une de ces vieilles voitures américaines qui étaient le signe distinctif des jeunes marginaux de l'époque. Elle s'était arrêtée à une dizaine de mètres de lui pour admirer cette merveille de chromes et de décorations. Elle était peinte en vert vif, avec des flammes qui léchaient ses flancs. Jamais elle n'avait rien vu de semblable.

Elle était là à l'observer à la dérobée, lorsqu'il s'était redressé et l'avait aperçue.

- Pas mal, hein? dit-il en frottant ses mains couvertes de graisse.

Elle hocha la tête.

- C'est une De Soto Firedome. Modèle 59. Elle vient d'être repeinte.

Elle ne répondit pas. Qu'aurait-elle pu dire? Elle était surtout étonnée de constater qu'il y avait quelqu'un, à Hultaryd, qui était capable de peindre d'aussi belles flammes.

- Tu veux l'essayer?

Voyant qu'elle ne répondait pas, il referma le capot et lui fit signe de monter.

- T'as vu? dit-il. Les sièges sont revêtus de cuir.

Elle approcha. Il tenait vraiment à lui montrer sa voiture. Il n'avait pas l'air méchant et jamais encore elle n'était montée dans un véhicule de ce genre. Il était nettement plus vieux qu'elle - au moins de quatre ans - et elle ne se souvenait pas l'avoir vu dans le pays.

Il jeta loin de lui son chiffon graisseux, mais, pour plus de sûreté, il s'essuya les mains sur les jambes de son bleu de travail avant d'ouvrir la porte du passager et de lui faire signe de monter. Après un instant d'hésitation, elle accepta l'invitation et se laissa tomber sur le siège, souple comme un fauteuil.

- Super, hein? Un V-8 de 305 chevaux.

Elle eut un petit sourire.

- C'est chouette.

Il fit le tour de la voiture et ouvrit la porte du conducteur.

- Tu peux attraper la couverture sur le siège arrière?

Sibylla se retourna, prit la couverture brune à carreaux et la lui tendit. Il la posa sur son siège avant de s'asseoir.

- On fait un tour?

Elle le regarda, un peu effrayée. Mais il avait déjà mis le moteur en marche.

- Je ne sais pas... Je crois qu'il faut que je rentre...

Le moteur se mit à ronfler. Il appuya sur un bouton et la vitre, de son côté à elle, se mit à descendre.

- Commande électrique. Essaye, voir.

Elle appuya sur le bouton et la vitre se referma. Lorsqu'elle regarda à nouveau son visage, son sourire avait fait apparaître deux fossettes sur ses joues, comme par magie. Il enclencha une vitesse et posa l'un de ses bras sur le dossier de son siège à elle. Elle avait le cœur qui battait. Même si ce geste avait plutôt des raisons d'ordre pratique, il lui donna le sentiment d'une certaine intimité entre eux. Il fit marche arrière en regardant par la lunette.

Comment s'était-elle retrouvée là? Seule avec quelqu'un qu'elle ne connaissait pas, dans une de ces voitures d'assez mauvaise réputation?

Et si on la voyait?

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