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— Comme si tu ne savais pas que moi je vais t’en aimer davantage ? murmura-t-il en caressant le papier ainsi qu’il aurait caressé la joue de Pauline. Mais c’est toi qui as raison et je ferai ce que tu veux…

Il était temps à présent de couper les ailes du rêve et de retrouver la réalité. Prenant son briquet, il brûla la lettre dont il laissa tomber la cendre dans la cheminée. Ensuite, il demanda son petit déjeuner et aussi un taxi pour dans une heure. Destination Versailles !…

Une heure plus tard très exactement, il quittait le palace de la place Vendôme sans même se retourner pour chercher des yeux la fenêtre de Pauline…

En arrivant au Trianon vers la fin de la matinée, il trouva Adalbert en train de lire les journaux sur la terrasse ensoleillée en compagnie d’un verre convenablement glacé. Il prit place à côté de lui sans qu’il parût s’apercevoir de sa présence. Ce fut seulement quand Aldo leva le bras pour appeler un serveur qu’il tourna vers lui un œil nonchalant :

— On t’attendait hier soir ? Tu as pris ton temps, on dirait ?

— Moritz ne va pas bien. Ce n’est pas lui qui le dit et même il fait tout ce qu’il peut pour qu’on ne le remarque pas mais son maître d’hôtel, peu bavard cependant, ne m’a pas caché son inquiétude.

— Lisa le sait ?

— Non. Elle était déjà repartie pour Ischl et sans se rendre compte de rien. Toujours ce sacré marmot, je pense ? Décidément, elle ne voit plus que lui ! bougonna-t-il.

Sans lever les yeux de son journal, Adalbert remarqua :

— Prends garde, mon vieux, tu es en train de faire une fixation et c’est très mauvais. Tu as pris le train de nuit ? s’enquit-il.

— Oui. Pourquoi ?

— Parce que tu devrais être là depuis longtemps. Tu n’as pas trouvé de taxi ?

— Oh, mais tu m’agaces ! Est-ce que par hasard je te devrais des comptes ? Si tu veux savoir, je suis passé voir Vauxbrun mais il n’y était pas : parti hier pour Strasbourg… Satisfait ?

— Remarque, ce que j’en dis c’est parce que ici on a bigrement besoin de toi.

— Si c’est ça, commence par refermer ton journal ! Si je ne savais pas où tu as été élevé, je me poserais des questions.

— Tu veux de la lecture ? Tiens !

Et Adalbert sortit de sa poche la feuille de papier récupérée par les journalistes :

— Berthier me l’a apportée hier matin… Après quoi, j’ai pris sur moi d’aller faire une petite visite à mon confrère Aristide. Ce n’était pas très cordial mais j’ai appris des choses…

Aldo prit le temps de lire puis d’un geste vif ôta Le Figarodes mains de son ami :

— Je vois ! Les nouvelles au compte-gouttes ça commence à suffire ! Cesse de jouer les auteurs de mauvais feuilletons et raconte !

Ce fut vite et bien fait mais, à mesure qu’Adalbert parlait, la figure d’Aldo s’assombrissait :

— Il y a deux choses que je n’aime pas, souligna-t-il en conclusion : la voiture qui ressemble à la tienne et que Caroline descende de Léonard. Cela veut dire que les bijoux disparus au cantonnement du marquis de Bouillé ne l’ont pas été pour tout le monde et que le friseur s’est conduit comme un fripon même s’il s’en est repenti par la suite ce que ce papier ne dit pas.

— Remarque : s’il n’était pas intervenu, le précieux dépôt aurait été embarqué par un autre et on n’en aurait peut-être rien retrouvé. En outre, il n’a pas dû garder la totalité.

— En recoupant la liste des joyaux privés de Marie-Antoinette, certains, j’en suis sûr, ont été remis à l’archiduchesse Marie-Christine…

— Moi, il y a un troisième point qui me tracasse : l’attitude de Ponant-Saint-Germain. Je me demande si on ne devrait pas chercher l’assassin de ce côté… Heureusement on va en savoir davantage ce soir : Tante Amélie va prendre le thé chez le marquis des Aubiers qui lui a envoyé hier une invitation. D’après ce que l’on a compris, il souhaiterait la convaincre d’éloigner Marie-Angéline de ce dangereux maniaque…

— Voilà qui est intéressant ! Et… dis-moi : est-ce que Lemercier a été mis au courant ?

— Pas fou ! Pour qu’il vienne patauger ici avec ses gros sabots ! Le salopard que nous cherchons sait ce qu’il fait en s’adressant à lui pour ses demandes de rançons. Ce n’est pas avec cet idiot qu’il risque quoi que ce soit. Tiens… lady Mendl !… et en compagnie d’un beau garçon, ma foi !

Elsie Mendl leur faisant signe d’un bout de son ombrelle fleurie, ils se levèrent pour aller la saluer.

— Nous nous sommes rencontrés en chemin, Baldwin et moi ! Vous le connaissez, je suppose ?

— Pas du tout ! firent les deux hommes d’une même voix en répondant au sourire – timide – du jeune homme.

— Je suis le secrétaire de lord Crawford. Il m’a chargé de vous porter ces invitations, expliqua-t-il en montrant deux enveloppes qu’il répartit entre les deux hommes après un coup d’œil rapide à la suscription. Lord Crawford vous prie d’excuser le côté peu protocolaire de ceci mais, étant donné les épreuves que vous traversez ensemble, il espère que vous n’en serez pas choqués. En fait, il vous convie, l’un et l’autre, à dîner ce soir chez lui avec les autres membres du Comité. Dont lady Mendl bien sûr. Il est soucieux et souhaite resserrer encore les liens entre vous tous.

Il semblait presque aussi inquiet que son patron. Aldo lui répondit avec un sourire :

— Point n’est besoin d’expliquer. Une invitation de lord Quentin ne peut être qu’un plaisir… Au fait, M. Vauxbrun a-t-il été invité ?

— Je viens de le faire par télégramme.

— Et moi je suis passé chez lui ce matin : il a pris hier le train pour Strasbourg.

— Merci de me le dire. Je vais informer lord Crawford. Je crains, ajouta-t-il avec à son tour l’ombre d’un sourire, que lady Léonora n’en soit contrariée.

— Nous ferons de notre mieux pour le lui faire oublier ! assura rondement Adalbert. Lady Elsie, j’espère que vous veniez ici ?

— Oui, mais pas pour vous, fit-elle en riant. Ne m’en veuillez pas, je voudrais dire un mot au chef cuisinier. J’ai à déjeuner des amis qui adorent les escargots et ma cuisinière s’évanouit dès qu’elle en voit un…

Avec un petit signe de la main, elle entra dans l’hôtel de sa démarche dansante qui lorsqu’on la voyait de dos lui ôtait son âge.

Le marquis des Aubiers habitait, non loin de la cathédrale Saint-Louis, une de ces belles maisons dont les garde-corps en fer forgé ressortaient si joliment sur les façades d’ocre rose. C’était à la fois de grand ton et de grand goût, et Mme de Sommières augurait bien de ses habitants quand, au moment où Lucien obliquait pour s’arrêter près de l’entrée, une ambulance sonnant éperdument le dépassa dans un carillon frénétique et l’obligea à piler pour stopper juste devant lui. Sans s’occuper de ses protestations indignées, des hommes en blouse blanche en jaillirent, se précipitèrent sur l’arrière pour en extraire une civière et se ruèrent à l’intérieur de la maison.

La marquise prit le cornet acoustique qui permettait de communiquer avec le chauffeur :

— Voyez donc, Lucien ! Il doit y avoir un accident et j’espère…

Elle n’acheva pas sa phrase. Lucien avait compris. Il suivit les ambulanciers, pénétra sous le porche et, voyant le concierge devant sa loge, l’aborda :

— C’est ici qu’habite M. le marquis des Aubiers ?

Par-dessus ses bésicles, l’homme au tablier bleu le considéra d’un air mélancolique :

— Jusqu’à présent, oui, mais je ne sais pas hélas si ça va durer ! Cette ambulance vient le chercher…

— Que s’est-il passé ? Il est tombé malade subitement ?

— Malade non, on ne peut pas dire… il n’a jamais attrapé seulement un rhume à ma connaissance mais tombé, oui ! Il a fait une chute dans son escalier. De marbre que c’est et il le trouvait si beau qu’il n’a jamais voulu y mettre du tapis. Il a dégringolé tout l’étage. Au fait, vous lui vouliez quoi ?

— Madame la marquise de Sommières, ma maîtresse, a été conviée par lui pour le thé.

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