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— Ça me paraît jouable…

Ils en étaient à ce stade de leurs cogitations quand un bruit interrompit leurs chuchotements : celui d’une fenêtre récalcitrante que l’on ouvre. D’un seul mouvement ils se glissèrent le long de la maison, et ce fut en tournant le coin qu’ils distinguèrent une silhouette noire courant en direction de l’atelier. N’hésitant plus ils se mirent à sa poursuite mais arrivèrent juste à temps pour la voir sauter le mur après avoir escaladé le toit avec une incroyable agilité. Berthier, sportif et bien entraîné, s’élança à la suite mais quand il atteignit le faîte du mur il ne vit plus que le feu arrière rouge d’une voiture qui fonçait dans la nuit…

Lâchant une furieuse invocation au souvenir du général Cambronne, le journaliste rejoignit son camarade au moment où celui-ci enjambait la fenêtre laissée ouverte par le fugitif :

— J’ai entendu démarrer une bagnole, dit Ledru.

— C’était la sienne, grogna Berthier. Quand elle est passée sous le réverbère qui est au bout de la rue j’ai aperçu une caisse basse peinte en rouge avec une capote noire… Tiens comme l’Amilcar de l’égyptologue à cette différence près qu’elle faisait moins de bruit…

— … et que ce n’était pas Vidal… machin qui était au volant puisqu’on on a eu le temps de voir sa tête à ce type…

— Juste ! Mais rien ne dit que l’égyptologue n’était pas à l’intérieur, attendant l’autre ? Elle a démarré étrangement vite cette charrette !

— J’y crois pas ! Tu sais bien avec qui Vidal fait équipe depuis des années.

— Oui, mais Morosini est parti pour Zurich hier soir et il ne doit pas être le seul copain de l’archéologue. Quoi qu’il en soit, assez discuté ! Essayons de voir s’il n’y a pas encore une babiole à grappiller ! Et d’abord, si on peut rouvrir le machin du salon…

On n’eut guère de peine à repérer le morceau de plinthe mobile et, à leur surprise, moins encore à l’ouvrir : il suffisait de tirer vers soi. La plaque de bois fonctionnait avec un simple ressort et se refermait d’elle-même si on lâchait. Pour la maintenir ouverte il fallait poser un objet dessus. Un livre, par exemple comme précédemment…

À première vue elle était vide mais on ne voyait rien de ses profondeurs et Berthier se mit à plat ventre pour y glisser non seulement sa main mais aussi un bras qu’elle avala presque en entier.

— Je sens quelque chose ! dit-il.

La seconde suivante, il ramenait à la lumière une feuille de papier jauni semblable à celles que lisait l’inconnu et qui, peut-être, avait glissé au fond, échappant à ses pareilles. Elle portait plusieurs lignes d’une écriture un peu maladroite dont l’encre pâle annonçait l’ancienneté : « … alors je suis sorti de derrière mon mur après m’être assuré que j’étais trop loin du corps de garde pour que l’on me remarque et il n’y avait personne dans la cour où je me suis précipité en évitant de faire du bruit jusqu’à la fenêtre éclairée de l’aide de camp. Je l’ai vu, alors, qui se battait avec l’homme que j’avais vu entrer et qui pensait sans doute le trouver au lit dans un état de moindre défense. Pour ce que j’en ai pu distinguer, l’issue du combat était incertaine car tous deux me semblaient de force sensiblement égale. Mais comme je voyais aussi très bien la cassette posée sur la table je ne me suis pas attardé à savoir qui allait gagner ou perdre parce que c’était ma chance à moi Léonard Autié. Je n’ai eu qu’à tendre le bras pour la saisir, tandis qu’ils continuaient à s’assommer, j’ai pris ma course… »

Le texte s’arrêtait là.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda Ledru

— Qu’une page s’est échappée de la liasse que tenait notre ami… et qu’il risque de venir la rechercher…

— Oui, mais quand ? On va pas l’attendre ? Outre qu’une planque est aussi fatigante que peu rémunératrice, nous avons autre chose à faire, toi et moi.

— Oui, mais l’histoire devient passionnante ! On s’assure qu’il n’y a plus rien dans la cache et on va la rendre inutilisable…

Tout en parlant, Berthier se dirigeait vers la cuisine au fond de laquelle il avait remarqué une resserre où l’on conservait aussi bien des bocaux de conserves aux contenus variés et des confitures que des outils de première urgence dans une maison comme un marteau, un tournevis, des tenailles et des clous de diverses tailles. Il choisit les plus longs, un marteau et revint au salon où Ledru à quatre pattes achevait d’explorer le mur. Il n’y avait vraiment plus rien. Le morceau de plinthe fut remis en place et cette fois, le journaliste le fixa par une dizaine de longues pointes qui rendaient l’ouverture impossible mais révélerait que quelqu’un d’autre l’avait découverte. Cela fait, les deux hommes s’installèrent le plus confortablement possible pour finir la nuit. Elle s’acheva sans ramener le visiteur inconnu et sans que l’esprit frappeur du lieu se fût manifesté.

— On fait quoi maintenant ? émit Ledru avec un plaisir visible.

— Du café ! Puis je vais faire un saut au Trianon Palace voir si Morosini est revenu. S’il n’y est pas, je verrai Vidal-Pellicorne. Quelque chose me dit que l’affaire de la voiture semblable à la sienne devrait l’intéresser.

Le terme était faible : elle le fit bondir et se précipiter dans l’escalier en pantoufles et robe de chambre sans se donner seulement le temps d’attendre l’ascenseur. De là au garage de l’hôtel où il fondit de tendresse en constatant que la chère petite était présente, sagement rangée entre une Rolls et une Daimler qui semblaient l’entourer de leur puissance protectrice.

Naturellement, il l’examina sur toutes les coutures pour arriver à la conclusion que rien, absolument rien n’indiquait une quelconque escapade nocturne : le kilométrage non plus n’avait pas bougé… Rassuré sur ce point, Adalbert remonta dans sa chambre, commandant au passage un copieux petit déjeuner pour lui-même et le journaliste et il prit enfin connaissance du texte rapporté par Berthier.

Il possédait une trop grande habitude des vieux papiers pour ne pas situer celui-là dans le temps :

— Une bonne centaine d’années à tous les coups ! Je dirais même l’Empire, ajouta-t-il en froissant légèrement la feuille entre le pouce et l’index. Quant à la suscription, il est certain que sortie de son contexte il est difficile de voir à quoi cela correspond…

— C’est pourtant assez clair : il est question d’une cassette contenant on ne sait quoi, subtilisée par un certain Léonard Autié qui a dû être un ancêtre de Mlle Caroline…

— Vous avez sûrement raison…

Sans cesser de répondre au journaliste, Adalbert réfléchissait à toute vitesse. Une idée lui venait mais c’était avec Aldo qu’il entendait en parler. Pour l’instant il fallait aviser :

— Vous me le laissez ? fit-il en agitant le papier au bout de ses doigts. J’en parlerai à Morosini dès qu’il sera là. Et, au sujet de votre visiteur de cette nuit, le mieux est d’en toucher un mot au commissaire afin qu’il fasse surveiller la maison. Si l’individu revient il sera pris et obligé de donner des explications…

— Oui, mais c’est notre histoire à Ledru et à moi. On aimerait la garder pour nous ! Quant à la police elle poserait trop de questions gênantes.

— Faites à votre guise ! N’importe comment, Morosini saura vous en remercier…

— Je ne suis inquiet pour ça ! Merci pour le déjeuner !…

Resté seul, Adalbert relut plus attentivement l’étrange feuillet. Il sentait qu’il tenait dans ses mains un point capital et il cherchait comment l’utiliser. Après deux ou trois tours dans sa chambre, il appela Marie-Angéline sur le téléphone intérieur et il lui demanda si elle connaissait l’adresse du professeur Ponant-Saint-Germain.

— Vous voulez que je vous y emmène ? proposa-t-elle aussitôt.

— Non. Nous nous sommes déjà rencontrés. Il s’agit d’une visite… professionnelle.

La note allègre qui résonnait dans la voix de la vieille fille s’éteignit. Elle était déçue mais trop bien élevée pour en convenir. Elle se contenta d’un « ah ! »… suivi du renseignement demandé : il habitait place Hoche au rez-de-chaussée d’une maison située au coin de la rue Carnot.

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