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— Sans doute, mais je ne vous apprends rien. Votre père et vous-même vous êtes souvent lancés sur des traces dangereuses, aveuglés que vous étiez – comme je le suis moi-même ! – par l’éclat de ces merveilles ! Et j’ai peur que le goût des émotions de la chasse au trésor ne me quitte pas de sitôt. Cela m’ennuie pour Lisa…

— Elle vous a épousé en sachant ce qu’elle faisait. Et puis peut-être l’âge venant vous sentirez-vous moins attiré… comme je le suis moi-même ?

— Peut-être, répondit Morosini évitant de rappeler à nouveau la blessure dont souffrait son beau-père et qui, grâce à Dieu, ne lui avait pas été infligée à lui. En attendant, me ferez-vous l’honneur… et l’immense plaisir de revoir votre collection ? À moins que…

— Du tout, du tout ! Je n’ai jamais dit que je l’avais prise en aversion ! J’y tiens toujours autant. Venez !

Se levant de table, il précéda son gendre jusqu’à son cabinet de travail où il fit porter le café et les liqueurs avant de chercher la clef qui ouvrait un panneau de livres en même temps que la porte d’entrée se fermait automatiquement. La chambre forte s’offrit à eux et ils y pénétrèrent comme dans une chapelle en véritables dévots qu’ils étaient. Le seuil franchi, ils subissaient à nouveau l’envoûtement des pierres… Kledermann ouvrait les écrins avec orgueil. Aldo admirait sans arrière-pensée.

Il revit avec bonheur la grosse émeraude de Montezuma, rapportée par Cortés, la fabuleuse parure d’améthystes et de diamants de la Grande Catherine, les saphirs de la reine Hortense, les nœuds de corsage de la du Barry, les perles de la Reine Vierge, la Belle de Flandres – l’un des plus beaux rubis du Téméraire ! – un étonnant saphir russe, de deux teintes, représentant une femme enveloppée d’une draperie. Dans l’une des teintes était gravée la tête et dans l’autre la draperie… Aldo l’examina longuement :

— Je ne vous le connaissais pas ? Et même je ne le connaissais pas du tout ! C’est une merveille ! D’où le sortez-vous ?

— Une réfugiée… bolchevique d’ailleurs !

— C’est plutôt rare !

— Pas à ce point ! Celle-ci avait eu accès à certaines « réserves », s’était servie et avait pris le large pour arriver ici en réclamant bien haut l’asile politique. Elle est venue me voir et j’ai acheté. Vous voyez, ce n’est pas plus difficile !

— Qu’est-elle devenue ?

— Elle a disparu, mais rassurez-vous, elle m’a signé les documents nécessaires à une vente régulière et vous n’aurez pas de problèmes !

— Pourquoi en aurais-je ?

Le banquier se mit à rire, referma l’écrin qu’il avait gardé en main et le rangea dans son coffre :

— Mais parce que tout ceci vous reviendra !

— C’est Lisa votre héritière ! Je ne suis que votre gendre et vous n’êtes mon aîné que de dix ans ! précisa Aldo avec un rien de sécheresse.

— Ne montez pas sur vos grands chevaux ! C’est elle, en effet qui héritera mais à la condition formelle de laisser la collection entière entre vos mains, faute de quoi celle-ci ira à Antonio votre premier fils. Vous aurez ainsi largement le temps d’en profiter !

— Oui, mais voyez-vous je préférerais un autre genre de conversation ! Rien ne me dit que l’ensemble sera intact quand vous partirez : vous oubliez les bracelets de Marie-Antoinette ! Il se peut que je ne puisse les récupérer !

— Quelle importance quand je n’y serai plus ! Je vous dis tout cela afin de vous libérer l’esprit ! Ce n’est pas vous qui m’avez entraîné dans l’aventure de Trianon, alors ne vous tourmentez pas pour cette parure.

Les deux hommes restèrent encore un long moment ensemble puis la Rolls-Royce du banquier ramena Aldo à son hôtel dans des dispositions d’esprit contradictoires. Certes, il était soulagé de l’inquiétude éprouvée en arrivant mais il en éprouvait une autre : la santé de son beau-père. De cette visite il emportait la désagréable impression qu’il y avait en effet chez cet homme quelque chose de brisé. Mais ce souci-là, il lui faudrait le garder pour lui afin d’en préserver Lisa. Il serait temps de la soutenir de tout son amour quand l’inévitable se produirait… Jusque-là et tant qu’elle ne se doutait de rien…

Le lendemain, il rentrait à Paris…

Au moment même où, à Zurich, Aldo pénétrait dans la chambre forte de Kledermann, Michel Berthier et Gaspard Ledru décidaient de retourner chez Mlle Autié. Ni l’un ni l’autre n’arrivait à digérer ce qu’ils considéraient comme un affront personnel. Berthier surtout était vexé : Morosini lui avait confié la garde de la jeune fille et on la leur avait soufflée sous le nez sans qu’ils bougent seulement une oreille, sans qu’ils se doutent le moins du monde de ce qui se passait. Ils voulaient revoir la maison en détail. Ce qu’ils ne s’étaient pas donné le temps de faire quand ils avaient découvert le rapt de Caroline. Ils savaient bien que les flics avaient « investigué » mais ils ne tenaient pas en haute estime les limiers de ceux que Ledru appelait poétiquement « les chaussettes à clous » !

Il était onze heures du soir quand leur petite voiture les déposa près de l’église. Ils firent le reste du chemin à pied, traversant un quartier tellement calme qu’il ressemblait à une planète morte. Pas une ombre fugitive, pas un chat ! Ils s’en félicitèrent : c’était pour eux un gage de tranquillité…

Arrivés devant la grille, celle-ci répondit sans se faire prier aux sollicitations du couteau suisse de Ledru et cela sans le moindre bruit :

— Elle a été graissée récemment, chuchota-t-il. C’est bizarre, non ?

— Tout est bizarre dans cette baraque…

Précautionneusement, ils s’avancèrent sur les graviers de l’allée pour ne pas les faire crier. Ils étaient à mi-parcours quand ils s’aperçurent que le salon était éclairé et que la porte d’entrée, simplement poussée, montrait une fine ligne brillante. Berthier leva la main pour agrandir l’espace mais à cet instant un courant d’air fit claquer le vantail et d’un même mouvement l’équipe obliqua vers la première fenêtre. Les rideaux en étaient tirés mais il devait être possible de voir par les interstices d’où filtrait un rai de lumière. Quelqu’un d’ailleurs vint à la porte et la ferma complètement. En même temps, des pas se firent entendre qui ramenèrent bientôt dans leur champ de vision un homme jeune qui revint s’asseoir dans une bergère vétuste à côté du foyer sans feu afin d’y achever la lecture d’une sorte de cahier de papier jauni qui avait l’air de l’intéresser prodigieusement. D’où il le sortait, c’était inutile de se le demander : juste en face des deux observateurs, une plaque était détachée d’une plinthe découvrant une cachette. Vide selon toute apparence.

Pendant un instant ils purent observer l’occupant de la bergère qui leur parut posséder un assez beau profil en dépit de la paire de lunettes qui en chaussait le nez. Ils virent aussi qu’il était vêtu d’une façon décontractée, d’un pantalon et d’une chemise blanche. En outre il se comportait comme s’il était chez lui : une tasse à café vide était posée près de lui sur un guéridon.

Pensant que ce devait être un membre de la famille, les deux compères échangèrent un coup d’œil, hésitant sur ce qu’il convenait de faire : ressortir, sonner et se présenter sous un prétexte qui restait à trouver ou bien faire irruption comme de vulgaires bandits et s’emparer de force de cette liasse de papiers qui semblait si passionnante ? Ils n’avaient pas encore décidé quand l’inconnu choisit pour eux : il se leva, referma la cachette d’un coup de pied, se dirigea vers la porte menant aux chambres et éteignit derrière lui :

— Tu crois qu’il va coucher là ? demanda Ledru.

— Ça m’en a tout l’air…

— Qu’est-ce qu’on fait ?

— On peut attendre qu’il dorme et puis entrer discrètement pour voir s’il n’a pas oublié quelque chose dans ce petit endroit si bien caché que personne ne la trouvé…

— … et si par hasard il avait le sommeil dur, on pourrait peut-être récupérer les papiers ? Quitte à l’assommer avec délicatesse au cas où il aurait la mauvaise idée de se réveiller. Après tout, il est seul et on est deux…

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