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— Soyez tranquille ! On lui confiera Mlle Autié. Cela l’occupera suffisamment…

Ils en étaient à la pêche Melba quand le couple Crawford pénétra dans le restaurant : elle, époustouflante à son habitude dans un crêpe de Chine corail, une cascade de perles fines au cou et une étroite toque de plumes blanches et rouges sur la tête, lui visiblement soucieux. Apercevant Mme de Sommières et Morosini, il indiqua au maître d’hôtel une table voisine de la leur qu’un couple venait d’abandonner.

— C’est un vrai bonheur de vous rencontrer, s’exclama Léonora de sa voix chantante — avec elle on avait toujours l’impression qu’elle entamait un air d’opéra ! J’ai convaincu Quentin de venir ici plutôt que de rester à la maison. Depuis le début de l’exposition, on a l’impression que les plafonds nous tombent sur le crâne par morceaux !

— Vous avez des ennuis ? Mais pourquoi ? demanda la marquise.

— C’est moi qui suis à l’origine de cette manifestation en hommage à la Reine et que je voulais si brillante, soupira Crawford. Vous avez vu ce qui s’ensuit ? Je commence à croire que quelqu’un m’en veut personnellement !… Je vous explique, continua-t-il après avoir avalé d’un trait la coupe de champagne que l’on venait de lui servir. Il y a un mois environ, l’une de mes voitures m’a été volée Faubourg Saint-Honoré, juste à côté de l’ambassade d’Angleterre…

— Vous avez un chauffeur qui, normalement, reste sur son siège en votre absence. Comment est-ce possible ? questionna Morosini.

— Fields souffrait des dents depuis le matin et je lui avais donné sa journée. D’ailleurs je ne déteste pas conduire moi-même. Et comme je venais seulement chercher un renseignement auprès de l’attaché culturel, je n’avais pas rentré ma voiture dans la cour. En outre, j’étais pressé…

— Et quand vous êtes ressorti elle n’était plus là ! conclut Aldo, qui après s’être demandé pourquoi le richissime Écossais faisait tout un plat d’une auto disparue depuis un mois, sentait venir une idée : Et elle était comment ?

— Heureusement ce n’était pas la Rolls-Royce, continua Léonora, mais c’était tout de même une assez jolie chose un modèle spécial de Renault. Noire avec…

—… des portières cannées, acheva son époux.

— Banco ! pensa Morosini qui ajouta :

— Et vous venez d’apprendre non seulement qu’on l’a revue mais aussi qu’elle a servi à un crime ? Ou peu s’en faut !

— C’est ça ! s’écria Léonora. Le commissaire a téléphoné pour dire l’horrible histoire. Nous sommes bouleversés !

— Contrariés ! corrigea sir Quentin. Ma femme a énormément d’imagination. J’avoue cependant que c’est plutôt désagréable… D’autant que je ne comprends pas pourquoi on s’en est pris à un malheureux chauffeur de taxi ?

— Ce malheureux chauffeur de taxi commandait un régiment de cosaques au service du tsar, précisa sèchement Aldo choqué par le ton vaguement méprisant de l’Écossais. Il est, en outre, mon ami et celui de Vidal-Pellicorne…

— Le mien aussi ! fit Mme de Sommières en écho.

— … De plus il assurait nos arrières lors de l’opération « Bassin du Dragon ». C’est à cet endroit qu’il a dû être pris.

— Oh ! Veuillez m’excuser ! J’ignorais…

— Mais c’est un homme passionnant ! s’exclama Léonora. Il faut que j’aille prendre de ses nouvelles !

Les yeux de la jeune femme brillaient d’un feu qui inclina Morosini à plaindre son ami Vauxbrun. La dame avait l’emballement facile et la romance de Gilles risquait de tourner court. Comme quasiment les précédentes d’ailleurs ! Mais aussi cette manie de se jeter sur le premier bouchon de carafe venu en le prenant pour un diamant !

Parvenu à ce point de réflexion, il s’aperçut soudain qu’un nouveau personnage venait de s’inscrire dans son champ de vision. Debout à côté de Crawford, un jeune homme d’environ vingt-cinq ans lui parlait à l’oreille. Un assez joli garçon en vérité ! L’Homme au gantdu Titien habillé en Angleterre ! Tante Amélie le considérait à travers son face-à-main avec une insolence tout aristocratique. Quant aux yeux de Léonora ils se muaient en un noir océan de douceur veloutée… Crawford, cependant, se levait de table, s’inclinait devant la vieille dame avec un sourire d’excuses :

— Faites-moi la grâce de me pardonner, madame la marquise, mais je dois impérativement rentrer chez moi. Mon secrétaire – Frédéric Baldwin – vient m’apprendre une visite imprévue…

— Mais… et le déjeuner ? On vient juste de nous servir ! gémit sa femme.

— Je ne vous empêche pas de rester, ma chère ! Gardez la voiture ! Nous allons prendre un taxi.

Il régla rapidement sa note, salua et quitta la salle suivi à trois pas respectueux par son secrétaire. Pendant ce temps la marquise indiquait au maître d’hôtel de déplacer à leur table le couvert de Léonora, ce dont celle-ci se montra ravie :

— C’est tellement gentil à vous ! Je déteste prendre un repas seule et Quentin le sait très bien !

— Il devait sans doute penser que nous ne manquerions pas le plaisir de vous garder un peu plus longtemps…

La galanterie était banale chez Morosini. Léonora n’en prit pas moins un air mutin pour lui tapoter la main en gloussant :

— Comme il a bien dit ça ! Nous allons pouvoir faire plus ample connaissance puisque jusqu’à présent nous ne nous sommes rencontrés qu’au milieu de grandes foules… Et j’ai tellement entendu parler de vous ! Je raffole…

Le sourcil délicatement remonté de Tante Amélie, l’ombre de sourire qui passa sur ses lèvres en disaient plus qu’un discours sur son opinion. Aldo se contenta d’un sobre :

— Vraiment ?

— Vraiment ! Je raffole des joyaux, surtout ceux qui ont une histoire et vous êtes un maître en la matière ! !

— En d’autres petites choses aussi, fit Mme de Sommières. Mais, dites-moi : il y a longtemps que ce jeune homme est auprès de lord Crawford ?

— Frédéric ? Quatre ou cinq ans. N’est-ce pas qu’il est charmant ? Et bourré de talents !…

On eut le bon goût de ne pas demander lesquels mais la jeune femme était lancée sur un sujet qui apparemment lui tenait à cœur et on apprit ainsi tout naturellement que le jeune Anglais était d’une naissance incertaine encore qu’il laissât « supposer » qu’il possédait quelques gouttes de sang royal – celui d’Angleterre bien sûr ! – dans les veines. L’époux de Léonora l’avait rencontré au casino de Monte-Carlo, ou plutôt sur les rochers voisins d’où il s’apprêtait à plonger dans la Méditerranée après avoir raclé le fond de ses poches sur le tapis vert du casino…

— Comme vous le savez, mon époux est grand amateur d’œuvres d’art et Frédéric en est une incontestable. Quentin l’a sauvé, ramené chez nous où il s’est vite rendu indispensable. Il sait tout faire et quelle belle âme ! ajouta-t-elle en conclusion assez inattendue avant de se consacrer à la charlotte au chocolat qu’un serveur venait de placer devant elle.

À l’œil pétillant de sa tante, Aldo devinait qu’elle mourait d’envie de demander une ou deux précisions sur une qualité si rare mais lady Crawford, sa charlotte avalée, entreprit Aldo presque sans respirer sur les bijoux de Marie-Antoinette, leur nombre exact – ce qui était impossible puisque l’on ignorait à peu près tout de ce qu’elle avait apporté d’Autriche en se mariant – et ce qu’il était advenu de ceux de la cassette privée puisque le sort désastreux des joyaux de la Couronne était connu de tous.

Cela faisait beaucoup trop de questions et Aldo s’en déchargea en alléguant que Mme de Sommières et lui-même étaient attendus chez une amie de la vieille dame. Il ramena donc Léonora à sa Rolls puis remonta chez sa tante qu’il trouva songeuse, enfouie dans une bergère et son chapeau encore sur la tête.

— Quelque chose ne va pas ?

— Si… ou plutôt non ! C’est ce jeune homme. Il… il est séduisant !

— Singulière critique.

— Il me fait penser à Lucifer. Lui aussi était séduisant… et tu vois où ça l’a mené ?

— Si j’en crois la tradition, il serait assez satisfait de son sort. Mais à la réflexion vous n’avez peut-être pas tort. On pourrait en parler à Marie-Angéline. Elle devrait le connaître depuis le temps qu’elle fréquente le Comité.

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