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— Vous êtes vraiment des amis comme on n’en fait plus et je vous remercie infiniment ! Et vous, Aldo, vous ne dites rien ?

— Que puis-je ajouter ? Que si l’on a besoin de moi j’accourrai. Venise, elle non plus, n’est pas si loin.

— Vous restez encore quelque temps ?

— Non. Je pars demain. À regrets, ne put-il s’empêcher de préciser, mais je pars…

L’entracte s’achevait.

— Vous ne voulez vraiment pas de moi ? soupira Fanchetti.

— Eh non ! répondit Pauline en riant. Nous sommes au complet et vous serez tellement mieux dans votre confortable fauteuil. On se reverra demain…

— Bien ! Mesdames, mes hommages désolés !

Il franchit la porte au moment où Wishbone revenait, visiblement soucieux. La vue de l’Italien n’arrangea rien.

— Qu’est-ce qu’il voulait, celui-là ?

— C’est un ami de Mrs Belmont, le renseigna Mme de Sommières. Il venait nous saluer !

— Ah ? Je ne sais pas pourquoi, mais il a une tête qui ne me revient pas ! À New York il était en permanence dans les jupons de Lucrezia ! Et à ce propos, j’ai une mauvaise nouvelle : notre diva refuse d’aller souper au Café de Paris.

— Pourquoi ? demanda Adalbert, à l’évidence déçu. L’endroit ne lui plaît pas ?

— Oh si, elle vous dira elle-même combien elle regrette – car elle compte bien que je vous amène près d’elle à la fin du spectacle ! – mais elle n’a pas envie de souper. Elle se sent un peu lasse et elle a toussé deux ou trois fois.

— Cela ne devrait pas vous inquiéter, sourit la marquise. Elle répétait son rôle. Elle va tousser abondamment avant de trépasser sous nos yeux…

La salle s’éteignait à nouveau tandis que l’orchestre interprétait un court prélude avant que le rideau ne se relevât sur le salon ensoleillé d’une maison de campagne aux environs de Paris.

Comme au premier acte, la Torelli était en scène, seule avec l’homme qu’elle aimait, plus « jeune fille » qu’au premier acte grâce à une robe d’organdi blanc semé de petites fleurs. Elle tenait à la main la grande capeline fleurie qu’elle était censée avoir retirée en rentrant du jardin. Et le sortilège joua de nouveau.

Jetant un regard sur Adalbert, Aldo put constater qu’il nageait en pleine béatitude… Penché en avant, les coudes aux genoux, il dévorait des yeux la cantatrice avec, aux lèvres, un sourire qui en disait long.

« Le revoilà en train de tomber amoureux, pensa-t-il non sans un frémissement. Dieu sait ce qui risque de nous arriver ! »

Morosini ne se souvenait que trop de l’épisode Alice Astor où son Adalbert s’était laissé enchaîner par une créature aussi rouée, aussi dépourvue de sentiments que sa mère, Ava, qui était peut-être la femme la plus redoutable de toute la planète car elle joignait à une grande beauté le cœur le plus sec et le plus phénoménal égoïsme qui soit. Cela lui avait valu une cuisante expérience, heureusement effacée par l’aventure égyptienne du printemps dernier et la recherche de la Reine inconnue. Une expérience plus spirituelle que sensuelle, une plongée dans un rêve idéal dont Aldo avait espéré qu’elle mettrait son ami définitivement à l’abri d’un quelconque coup de passion. Et là, en l’observant, il en était moins sûr. Or la réputation de la Torelli lui faisait redouter le pire !

Quelqu’un d’autre observait aussi le phénomène. Pauline, qui depuis une traversée sur  l’Île-de-France jusqu’à la « Season » de Newport, avait suivi, en même temps qu’Aldo, les développements délirants de l’aventure de l’égyptologue avec Alice Astor qui se prenait pour la réincarnation d’une épouse de Pharaon. Détestant la Torelli tout en rendant justice à sa beauté, son talent et sa voix, elle redoutait en amie affectueuse de le voir se prendre à ses charmes. Quant à Marie-Angéline, elle était l’image même de l’accablement : depuis l’an passé, elle hébergeait Adalbert dans son cœur virginal et, quand elle risquait les yeux vers lui, c’était avec une expression douloureuse qu’on ne lui avait jamais vue.

Se détournant sur son siège, Pauline chercha le regard d’Aldo – qu’elle n’eut d’ailleurs aucune difficulté à rencontrer car il était fixé sur elle – et lui désigna Adalbert d’un mouvement de tête auquel il répondit par un haussement d’épaules fataliste… Comme elle l’en priait d’un geste de la main, il se pencha vers elle.

— Vous êtes vraiment obligé de partir demain ? chuchota-t-elle.

— N’oubliez pas que j’ai des affaires importantes et que je ne peux pas laisser constamment mon travail à mes assistants !

— C’est grandement dommage. Notre Adalbert n’aura plus de garde-fou. Combien de temps cette femme reste-t-elle à Paris ?

— Je n’en ai pas la moindre idée. Vous voudriez que j’attende qu’elle reparte ? Cela ne servirait à rien. S’il est vraiment mordu, il va la suivre comme un toutou là où elle ira… à moins qu’ils ne s’entre-tuent, lui et Wishbone ? Je crois que nous pouvons seulement prier.

— De toute façon, souffla Mme de Sommières qui avait entendu, la peur n’évite pas le danger.

À la pause du deuxième acte on ne bougea pas. Cornélius servit à ses hôtes du champagne et des petits toasts au caviar, ce qui ne l’empêcha pas d’entretenir avec Adalbert un duo extatique voué au charme, à la beauté et au talent de la cantatrice qui finit par agacer la marquise.

— Où est votre courtoisie, Messieurs ? Nous sommes venus entendre une artiste admirable, j’en conviens, mais ce n’est pas une raison pour ne parler que d’elle ! Nous sommes là, il me semble, et nous avons des oreilles pour apprécier.

— Je demande le pardon, dit Cornélius, mais avouez que c’est une très grande artiste !

— J’admirerai tout ce que vous voulez, si vous m’offrez une autre coupe de champagne. Lui aussi est admirable !

Et l’on papota joyeusement de choses et d’autres… sauf Adalbert qui paraissait plongé dans un état second !

Enfin, quand le quatrième acte se fut achevé et que « Violetta » eut rendu l’âme, vint le moment tant attendu où Wishbone entraîna ses amis vers les coulisses, saluer et complimenter l’héroïne de la soirée…

Guidés par lui au comble de l’excitation, on gagna l’étage des loges où il y avait affluence, mais l’Américain jouissait apparemment d’une sorte de laissez-passer car, suivi des autres que Fanchetti s’était hâté de rejoindre, il put fendre la foule escorté de ses invités sans trop soulever de protestations. Enfin la porte de la bienheureuse loge se referma sur eux. Sauf Marie-Angéline qui, déclarant mourir de chaleur, alla s’asseoir sur le tabouret libéré par le pompier de service.

La loge – la plus spacieuse bien sûr ! – ressemblait à une serre tant elle débordait de bouquets – de roses et de camélias de préférence –, ainsi que d’écrins sur la table à coiffer devant le miroir ovale entouré d’ampoules électriques. La prima donna, qui avait pris le temps de troquer sa chemise de nuit d’agonisante contre une tenue de ville, reçut ses visiteurs debout. Vue de près, portant encore son maquillage de scène qui la rendait plus pâle mais faisait ressortir davantage ses magnifiques yeux, elle semblait moins jeune que sous l’éclairage du plateau, mais sa beauté n’en était pas amoindrie. Elle eut un éblouissant sourire quand Wishbone la présenta à Mme de Sommières et reçut avec grâce le compliment sincère qui lui fut offert, un autre sourire plus discret à l’adresse de Pauline mais, quand ce fut au tour d’Aldo et qu’il s’inclina devant elle, son visage se ferma.

— Quel honneur pour moi que le prince Morosini daigne venir jusqu’à moi ! Je n’en aurais jamais espéré autant !

Sa voix sèche et dure épouvanta Cornélius qui se hâta de répondre :

— Que dites-vous là, chère belle amie ? Vous ne vous êtes jamais rencontrés ?

— Non, figurez-vous ! Lorsque je chantais  Tosca à la Fenice et que je l’avais prié de venir me voir, il m’a répondu par une insolence…

— Prié ? riposta Aldo. Le billet que j’ai reçu ne me priait pas mais exigeait, même ordonnait sur un ton que je n’ai pas accepté !

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