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— Non. Pas de fouilles ! J’ai commencé à écrire un livre ! On peut être tranquilles, Langlois gardera un œil sur elle et, en cas de changement – quel qu’il soit ! –, on vous préviendra !

— De toute façon, intervint Pauline, rien ne m’appelle en urgence à New York, contrairement à mon frère, et je peux rester quelque temps à Paris. J’adore cet hôtel ! Cela posé, je n’arrive pas à comprendre la raison pour laquelle la vie de ma pauvre Helen est en danger au point que, même à moitié morte, on s’acharne sur elle. Après sa déposition devant M. Langlois, il ne s’était rien passé. Il a fallu que je l’envoie faire quelques courses et qu’elle achète ce journal que l’on n’a pas retrouvé…

— … et que j’ai été assez stupide de ne pas au moins regarder, relaya Aldo. Si j’en juge l’espèce de gymnastique à laquelle elle se livrait pour essayer de lire en dépit de ses paquets, elle a remarqué quelque chose d’essentiel. Mais quoi ?

Avant de remettre le tas de journaux à Langlois, on a tout épluché, mais comme la production du jour n’était pas au complet…

— Langlois a dû faire le nécessaire pour obtenir ce qui manquait, reprit Adalbert, et s’il a déniché ce que nous cherchons, cela m’étonnerait qu’il nous l’apprenne. Secret d’enquête oblige !… En attendant, vous autres, les Belmont, vous feriez bien d’aller le voir tout de suite !

Avec un bref éclat de rire, John-Augustus lui asséna une claque dans le dos :

— Touché ! fit-il. Vous venez avec nous ?

— Vaut mieux pas ! Le grand homme n’aime pas être envahi…

— Quant à moi, dit Aldo, je vais vous dire au revoir. Je rentre au bercail demain…

— Vous partez ? murmura Pauline.

Y avait-il un regret dans sa voix ? Du moins Aldo voulait le croire.

— Je ne me suis déjà que trop attardé et j’ai à faire !

— Mais si l’on a besoin de vous ?

— Me trouver est la chose du monde la plus facile : palais Morosini, Venise ! Et la maison est ouverte… comme l’a été pour moi, il n’y a pas si longtemps, votre château de Newport ! Quelques petites heures de train et vous y êtes !

John-Augustus alluma un sourire radieux.

— Ça, c’est une idée ! s’exclama-t-il. Quand on viendra récupérer Helen… ou l’enterrer, on poussera jusque chez vous ! Je dois être le seul Américain à n’avoir jamais mis les pieds à Venise ! La cité sur la mer !

— Ce n’est pas votre cher Océan, ce n’est que l’Adriatique mais je crois que vous aimerez !…

— Mais moi, je reste ! précisa Adalbert. Et tout à votre service !

On se sépara là-dessus. En baisant la main de Pauline, Aldo crut sentir un léger tremblement mais s’interdit de croiser son regard. Le rideau était tiré et c’était mieux ainsi… alors pourquoi fallut-il qu’en sortant du salon, il tombe droit sur Fanchetti ? Planté devant une vitrine d’Hermès, il semblait s’intéresser prodigieusement à l’élégant assemblage de foulards de soie et de maroquinerie haut de gamme, mais le miroir formant le fond du meuble indiquait clairement qu’il surveillait la porte du salon… vers lequel il se dirigea dès qu’il eut vu sortir les deux amis, rappelant désagréablement à Morosini son envie furieuse de le boxer.

Ce que pressentant, Adalbert entraîna Aldo par le bras.

— Pas de souci ! Il ne me plaît pas plus qu’à toi et je garderai un œil sur lui !

Un câblogramme attendait Morosini rue Alfred-de-Vigny sur un guéridon du jardin d’hiver, littéralement couvé des yeux par Marie-Angéline qui faisait une réussite à côté.

— Viens mettre fin à mon supplice ! implora Mme de Sommières. Voici plus d’une heure que Plan-Crépin contemple ce papier sans oser y toucher, ce qui nuit beaucoup au développement harmonieux de son jeu !

— Quel esprit pervers que le vôtre, Tante Amélie ! Tenez, Angelina, fit-il en lui tendant le coupe-papier posé sur le plateau d’argent auprès du message. Faites-le pour moi !

— Jamais je n’ouvrirai une lettre qui ne m’est pas adressée !

— Et susceptible avec ça !

— Surtout qu’il n’y a vraiment pas de quoi ! Ce cher Wishbone me fait savoir que, la Torelli étant partie chanter en Angleterre puis en France, il revient ! Seulement il ne dit pas quand ! Et moi je suis fermement décidé à rentrer à Venise demain !

— Ça ne doit pas être difficile à savoir, flûta Plan-Crépin qui avait récupéré le papier bleu. Il est en mer sur le  Léviathan. Il suffit de téléphoner à la compagnie maritime pour apprendre le jour et l’heure de l’accostage !

— Faites donc ça, Plan-Crépin ! ordonna la marquise. Quant à toi, tu ferais aussi bien de l’attendre : il est capable de te courir après jusque chez toi. Qu’as-tu à lui dire ?

— Rien… sinon que je laisse tomber ! Je n’ai pas le plus petit début de piste pour retrouver cette foutue Chimère et pas davantage de temps à perdre ! Quand il viendra, vous lui direz d’aller voir Mlle Toussaint chez Cartier, qu’elle est au courant et qu’il s’arrange avec elle ! Moi, je vais revoir les flots bleus de l’Adriatique !

— Cela ressemble à une fuite ! susurra Marie-Angéline en brouillant ses cartes pour recommencer une nouvelle « patience ».

— Mais bien sûr que c’est une fuite ! Devant des recherches sans fin, des nuits blanches et Dieu sait quels problèmes ! Et vous devriez être la dernière à me le reprocher…

— Moi ?

— Ne jouez pas les innocentes par-dessus le marché ! Ces jours derniers, vous donniez l’impression d’avoir toutes les peines du monde à supporter ma présence…

— Sainte Prisca, priez pour nous ! marmotta Mme de Sommières.

— Demandez à Adalbert, si vous ne me croyez pas ! Il m’a même proposé de me replier chez lui !

— Là ! Qu’est-ce que je disais ! triompha la marquise en aparté.

Sans attendre qu’elle lui pose la question, l’égyptologue entra en lice :

— C’est vrai ! J’avoue que, pour une fois, j’ai pu constater que votre merveilleux flair semblait avoir des ratés !

— Conclusion : je rentre ! Et mieux encore, je compte sur votre vive imagination pour me rendre le service de faire avaler la pilule à Wishbone !

Elle leva sur lui des yeux soudain noyés de larmes.

— Mais je n’ai jamais voulu vous chasser ! Comment pouvez-vous croire une chose pareille ?

Il s’appuya des deux poings sur la table pour que leurs visages soient à la même hauteur.

— Allons, Angelina, vous n’allez pas pleurer ? Vous dont les ancêtres ont « fait » les croisades ? Il faut seulement regarder la réalité en face. Vous n’avez pas envie que je m’attarde à Paris… en même temps qu’une dame…

L’entrée de Cyprien lui coupa la parole.

— Une dame demande Monsieur le prince au téléphone ! annonça-t-il.

Le cœur d’Aldo manqua un battement et il ferma les yeux un court instant ! Si c’était… elle, on pouvait dire qu’elle tombait mal !

— Quelle dame ? Elle a dû donner un nom ? s’énerva-t-il.

— Mme Berthier ! Mme Michel Berthier. Son époux est…

— Journaliste au  Figaro ! J’y vais !

Et il disparut en direction de la loge du concierge. En effet, détestant l’idée que l’on pût la « sonner comme une domestique », Mme de Sommières s’était toujours refusée à ce que cette « machine infernale » soit installée dans ses appartements.

— J’y vais aussi ! fit Adalbert après une minute de réflexion.

Restées seules, les deux femmes gardèrent le silence durant quelques secondes, à la suite desquelles la marquise soupira.

— C’est aussi peu commode que possible, toutes ces galopades à la loge et je me demande si, finalement, je ne vais pas me décider à donner asile dans l’antichambre à l’un de ces… machins ! Après tout, il faut vivre avec son temps !

— Je pense que nous prendrions là une excellente décision ! À part ça, je me pose une question : pourquoi l’ex-Caroline Autier (9), qui ne donne jamais signe de vie, appelle Aldo à cette heure ?

La réponse vint environ un quart d’heure plus tard quand ils remontèrent, visiblement soucieux : Michel Berthier avait disparu depuis trois jours et sa jeune femme était ravagée d’angoisse.

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