– Aie pitié de nous!
– De nous!
– Adieu, beaux masques! Rappelez-vous le proverbe: «La farine du diable en son toujours se transforme»
– Ne nous abandonne pas!
– Pas! – répéta le Chat.
– Adieu, beaux masques! Rappelez-vous le proverbe: «Qui vole à autrui son manteau n’aura même pas de chemise pour mourir».
Pinocchio et Geppetto continuèrent tranquillement leur chemin. Peu après, ils découvrirent un sentier qui menait à une jolie chaumière au milieu des champs.
Elle était en paille mais recouverte d’un toit de tuiles.
– Cette maison est certainement habitée – fit remarquer Pinocchio – Allons-y!
Ils s’engagèrent dans le sentier et allèrent frapper à la porte de la chaumière.
Une voix ténue se fit entendre:
– Qu’est-ce que c’est?
– C’est un pauvre papa et son pauvre enfant qui n’ont rien pour manger ni pour dormir.
– Tournez la clé et entrez!
Pinocchio manœuvra la clé, la porte s’ouvrit et ils purent entrer. Mais ils eurent beau regarder partout, ils ne virent personne.
– Où donc est le maître de ces lieux? – s’étonna Pinocchio.
– Je suis là-haut!
Le fils et le père levèrent la tête en même temps: ils aperçurent alors, sur une poutre du plafond, le Grillon-qui-parle.
– Oh! Mais c’est mon cher grillon! – s’exclama Pinocchio en le saluant poliment.
– Ah bon! Maintenant, je suis ton «cher grillon», n’est-ce pas?
Rappelle-toi pourtant que tu m’as envoyé un marteau à la figure pour me chasser de chez toi!
– C’est vrai, grillon! Alors chasse-moi toi aussi et, si tu veux, assomme-moi avec un marteau mais aie pitié de mon pauvre papa!
– J’aurai pitié de vous deux. Mais je tenais à te rappeler ta grossièreté pour que tu saches qu’en ce monde il vaut mieux se montrer courtois envers autrui si l’on veut, dans les moments difficiles, bénéficier de la courtoisie des autres.
– Tu as raison, grillon, mille fois raison et je retiendrai la leçon. Mais, dis-moi, comment as-tu fait pour acquérir une si belle chaumière?
– Elle m’a été donnée hier par une gracieuse chèvre à la toison bleu-nuit.
– Et cette chèvre, où est-elle allée?
– Je n’en sais rien.
– Mais quand reviendra-t-elle? – insista Pinocchio.
– Elle ne reviendra pas. En partant, hier, elle semblait très affectée.
Elle avait des bêlements qui semblaient dire: «Pauvre Pinocchio… jamais je ne le reverrai… le Requin l’aura bel et bien dévoré…»
– C’est ce qu’elle a dit? Vraiment? Donc c’était bien elle, c’était bien ma bonne petite Fée! – se mit à hurler Pinocchio en éclatant en sanglots.
Il pleura beaucoup puis essuya ses larmes et prépara un bon lit de paille sur lequel s’étendit le vieux Geppetto. Alors, se tournant vers le grillon:
– Dis-moi, mon petit grillon, sais-tu où je pourrais trouver un verre de lait pour papa?
– Tu trouveras du lait chez Giangio le maraîcher. Il possède des vaches.
C’est le troisième champ à partir d’ici.
Pinocchio courut donc chez le maraîcher qui lui demanda:
– Quelle quantité de lait veux-tu?
– Un verre plein.
– Un verre de lait coûte un sou. Commence donc par me donner un sou.
– Mais je n’ai même pas un centime – répondit Pinocchio, à la fois vexé et désolé.
– Alors, jeune marionnette, rien à faire! Si tu n’as même pas un centime à me donner, moi je n’ai même pas un doigt de lait à te vendre.
– Tant pis! – dit Pinocchio qui n’avait plus qu’à s’en aller.
– Attends un peu! – ajouta Giangio le maraîcher – On peut toujours s’arranger. Cela t’irait de tourner la noria?
– La noria? C’est quoi?
– C’est cette machine en bois qui sert à remonter l’eau du puits pour arroser mes légumes.
– Je vais essayer.
– Dans ce cas, tu me tires une centaine de seaux et, en échange, je te donne un verre de lait.
– D’accord.
Giangio conduisit la marionnette dans le potager et lui montra comment faire fonctionner la noria. Pinocchio se mit immédiatement au travail mais il n’avait pas encore tiré ses cent seaux d’eau qu’il était déjà ruisselant de sueur de la tête aux pieds. Jamais il n’avait éprouvé une telle fatigue.
– Jusqu’à présent, c’est mon âne qui faisait ce travail pénible mais la pauvre bête est moribonde. – expliqua le maraîcher.
– Je pourrais le voir? – demanda Pinocchio.
– Bien sûr.
En entrant dans l’écurie, Pinocchio vit un joli petit âne couché sur la paille, usé par trop de travail et pas assez de nourriture.
Il le regarda longuement et se dit, troublé:
– Mais cet ânon, je le connais! J’ai déjà vu sa tête quelque part!
Alors, se penchant vers lui et utilisant le langage des ânes, il lui demanda:
– Qui es-tu?
Le petit âne parvint à ouvrir les yeux et balbutia, dans le même dialecte:
– Je… m’appelle… La…Mè…che…
Puis, refermant les yeux, il expira.
– Pauvre Lucignolo! – soupira Pinocchio en essuyant avec de la paille une larme qui coulait le long de sa joue.
– Tu es ému par un âne qui ne t’a rien coûté? – s’étonna le maraîcher – Qu’est-ce que je devrais dire, moi qui l’ai payé quatre pièces d’or comptant!
– C’est à dire… c’était mon ami!
– Un ami?
– Oui, un copain de l’école.
– Comment! – s’esclaffa Giangio qui riait à gorge déployée – Comment!
Tu avais des bourricots comme camarades de classe? Eh bien! Tu as dû faire de fameuses études!
La marionnette, froissée par cette remarque, ne répondit rien, prit son verre de lait encore chaud et s’en retourna à la maison du grillon.
Il continua, cinq mois durant, à se lever chaque jour avant l’aube pour aller manœuvrer la noria afin de gagner les verres de lait qui faisait tant de bien à son papa dont la santé était délicate. Non content d’exercer cette tâche, il profita de son temps libre pour apprendre à fabriquer avec du jonc corbeilles et paniers. Grâce à l’argent qu’il gagnait ainsi, il réussit à faire face aux dépenses domestiques qu’il gérait avec beaucoup de sagesse. Parmi mille autres choses, il fabriqua également une élégante carriole pour promener son père afin qu’il prenne un peu l’air quand il faisait beau.