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Mais celui qui mangea le moins, ce fut Pinocchio. Il demanda une poignée de noix avec un morceau de pain et laissa tout dans son assiette. Le pauvre garçon était tellement obsédé par le Champ des miracles qu’il souffrait d’une indigestion anticipée de pièces d’or.

Quand ils eurent fini, le Renard s’adressa à l’aubergiste:

– Donnez-nous deux bonnes chambres: une pour monsieur Pinocchio, une autre pour mon compagnon et moi. Nous ferons un petit somme avant de repartir. N’oubliez pas de nous réveiller à minuit.

A vos ordres, messieurs – répondit l’aubergiste tout en faisant un clin d’œil au Renard et au Chat comme s’il voulait dire: «Je vois clair dans votre jeu, comptez sur moi.»

Dés que Pinocchio fut au lit, il s’endormit et rêva immédiatement. Il rêva qu’il était dans un champ recouvert de jeunes arbres chargés de grappes de sequins d’or qui tintinnabulaient au gré d’une légère brise. Et cette musique semblait dire: «Viens donc nous cueillir». Mais juste au moment où Pinocchio s’apprêtait à les récolter par poignées entières et à s’en mettre plein les poches, on frappa bruyamment à la porte de la chambre.

C’était l’aubergiste qui venait le prévenir qu’il était minuit.

– Et mes amis? Sont-ils prêts? – lui demanda la marionnette.

– Mieux que prêts. Ils sont partis, il y a déjà deux bonnes heures.

– Si vite? Mais pourquoi?

– Le Chat a reçu un message lui apprenant que son fils aîné avait des engelures aux pieds et qu’il était entre la vie et la mort.

– Et le repas, ils l’ont payé?

– Bien sûr que non! Ce sont des personnes trop bien éduquées pour faire cet affront à votre seigneurie.

– Ah? Dommage! Cet affront ne m’aurait pas déplu! – fit remarquer Pinocchio en se grattant la tête. Et où ont-ils dit qu’ils m’attendraient, ces chers amis?

– Au Champ des miracles, au lever du jour.

Pinocchio régla donc son repas et celui de ses compagnons: il lui en coûta une pièce d’or. Puis il partit.

On peut même dire qu’il partit à l’aveuglette car, dehors, il faisait si noir qu’on ne voyait goutte autour de soi. Pas une feuille ne bougeait dans la campagne alentour. Seuls quelques gros oiseaux de nuit, volant d’un buisson à l’autre, venaient battre des ailes sous le nez de Pinocchio. Celui-ci, apeuré, criait «Qui va là?» et seul l’écho lointain des collines environnantes répondait: «Qui va là? Qui va là? Qui va là?».

Alors qu’il marchait, il vit soudain, sur le tronc d’un arbre, une petite bestiole qui émettait un pâle halo de lumière, comme la petite flamme d’une veilleuse de nuit.

– Qui es-tu? – s’enquit Pinocchio.

– Je suis l’ombre du Grillon-qui-parle – répondit la bestiole d’une voix infiniment faible et qui semblait venir de l’au-delà.

– Qu’est-ce que tu me veux?

– Je veux te donner un conseil. Fais demi-tour et porte les quatre pièces qui te restent à ton pauvre papa qui pleure et se désespère en ne te voyant pas revenir.

– Demain, mon papa sera un grand monsieur car ces quatre sequins vont en faire deux mille.

– Ne te fie jamais, mon garçon, à ceux qui te promettent de te rendre riche du jour au lendemain. Ce sont toujours, soit des fous, soit des filous. Crois-moi, rentre chez toi.

– Et moi, au contraire, je veux continuer.

– Il est tard…

– Je veux continuer.

– Il fait noir…

– Je veux continuer.

– Le chemin est dangereux…

– Je continuerai quand même.

– Rappelle-toi que les enfants capricieux tôt ou tard s’en repentent toujours.

– Oh! Toujours les mêmes histoires! Bonne nuit, grillon.

– Bonne nuit, Pinocchio. Que le ciel te protège de la rosée et des assassins!

Ces dernières paroles prononcées, plus rien n’éclaira l’endroit où se tenait le Grillon-qui-parle. Il s’était éteint comme s’éteint une chandelle dont on vient de souffler la flamme. Et l’obscurité sur la route en fut plus profonde encore.

Chapitre 14

Pinocchio, qui n’a pas suivi les excellents conseils du Grillon-qui-parle, se retrouve nez à nez avec des bandits.

La marionnette reprit sa route en bougonnant:

– Nous autres, les enfants, n’avons vraiment pas de chance. Tout le monde nous donne des leçons ou nous réprimande. A les entendre, ils se prennent tous pour nos papas ou nos maîtres d’école. Tous, même un simple grillon! Parce que je n’ai pas voulu suivre les conseils de cet ennuyeux Grillon-qui-parle, le voilà qui me prédit plein d’ennuis. D’après lui, je risquerais de rencontrer des bandits! Encore heureux que je n’y croie pas. D’ailleurs, je n’y ai jamais cru. Pour moi, les bandits ont été inventés exprès par les papas pour faire peur aux enfants qui veulent sortir la nuit. Et même si j’en croisais sur cette route, est-ce que je me laisserais intimidé? Jamais de la vie! Je leur dirais, bien en face: «C’est à quel sujet, messieurs les bandits?». Ah mais! Ils s’apercevraient qu’on ne plaisante pas avec moi. Ils continueraient leur chemin, et basta! Des paroles bien senties et ces bandits, moi, je les vois détalant comme le vent. D’ailleurs, s’ils n’étaient pas suffisamment éduqués pour s’en aller, c’est moi qui partirais pour avoir la paix…

Pinocchio n’eut pas le temps d’achever son raisonnement car il venait d’entendre le bruissement d’une feuille derrière lui.

Il se retourna. Dans la pénombre, il distingua deux sinistres individus dissimulés dans des sacs de charbon qui le suivaient sur la pointe des pieds. On aurait dit deux fantômes.

– Ce sont les bandits! – se dit-il.

Et, comme il ne savait pas où cacher ses pièces d’or, il les fourra dans sa bouche et les glissa sous sa langue. Puis il essaya de se sauver. Mais à peine avait-il bougé qu’il sentit qu’on l’attrapait par le bras. Deux voix caverneuses vociférèrent:

– La bourse ou la vie!

Pinocchio ne pouvait pas répondre à cause des sequins qu’il avait dans la bouche. Il multiplia contorsions et mimiques pour expliquer à ces deux encagoulés, dont on ne voyait que les yeux à travers des trous faits dans les sacs, qu’il n’était qu’une pauvre marionnette n’ayant pas la moindre piécette, même fausse, sur lui.

– Ca suffit! Arrête ton baratin et montre ton argent! – crièrent en chœur les deux brigands.

Pinocchio, d’un signe de tête accompagné d’un mouvement des mains, leur signifia qu’il n’en avait pas.

– Sors-le! Sinon, tu es mort. – menaça le plus grand.

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