– Ces pièces – questionna la Fée – où sont-elles maintenant?
– Je les ai perdues!
C’était un mensonge. Les pièces, Pinocchio les avaient dans sa poche. Et il n’eut pas plus tôt menti que son nez, déjà conséquent, s’allongea immédiatement.
– Et où les as-tu perdues?
– Dans le bois.
C’était un deuxième mensonge. Le nez de Pinocchio s’allongea encore plus.
– Si tu les as perdues dans le bois, on va les chercher et on les retrouvera. Tout ce qui se perd dans ce bois se retrouve toujours.
– Ah oui! Maintenant, je me rappelle. – répliqua la marionnette qui s’embrouillait – Les quatre pièces d’or, je ne les ai pas perdues. Je n’ai pas fait attention et je les ai avalées avec votre médicament.
A ce troisième mensonge, son nez grandit tellement que Pinocchio ne pouvait plus tourner la tête. S’il la tournait d’un côté, le nez rencontrait le lit ou les vitres de la fenêtre. S’il la tournait de l’autre, il se heurtait aux murs ou à la porte de la chambre. Et s’il relevait tant soit peu la tête, il risquait de crever un œil à la Fée.
Celle-ci le regardait en riant.
– Pourquoi riez-vous – s’enquit la marionnette, soucieuse et confuse à cause de ce nez qui n’arrêtait pas de croître.
– Je ris de tes mensonges.
– Et comment savez-vous que j’ai menti?
– Mon garçon, les mensonges se repèrent tout de suite. Il y a ceux qui ont les jambes courtes et ceux qui ont le nez long. A l’évidence, tes mensonges à toi font partie de la deuxième catégorie.
Honteux, ne sachant plus où se cacher, Pinocchio essaya de s’enfuir de la pièce mais il n’y parvint pas. Son nez était désormais si grand qu’il ne pouvait plus passer par la porte.
Chapitre 18
Pinocchio retrouve le Renard et le Chat. Il part avec eux semer ses quatre pièces d’or dans le Champ des Miracles.
Comme on peut le deviner, la Fée laissa pleurer et hurler Pinocchio, furieux de ne pas pouvoir sortir à cause de son nez. Elle voulait lui donner une leçon afin qu’il perde l’habitude de dire des mensonges, le plus gros défaut qu’un enfant puisse avoir. Mais quand elle le vit transfiguré par le désespoir, les yeux lui sortant de la tête, elle eut pitié de lui et frappa dans ses mains. Tout un essaim d’oiseaux appelés piverts entra par la fenêtre. Se posant sur le nez disproportionné de la marionnette, ils entreprirent de le becqueter tant et si bien qu’en quelques minutes, le nez retrouva sa taille normale.
– Vous êtes ma bonne Fée et je vous aime beaucoup! – s’exclama Pinocchio en séchant ses larmes.
– Moi aussi, je t’aime – répondit la Fée – et si tu souhaites rester ici avec moi, tu seras mon petit frère et moi je serai ta gentille petite sœur.
– Je resterais bien volontiers mais… mon pauvre papa?
– J’ai pensé à tout. Ton papa a été averti. Il sera là avant la nuit.
– Vraiment? – hurla Pinocchio en sautant de joie – Alors, si vous le permettez, ma bonne Fée, je voudrais aller à sa rencontre. Il me tarde de pouvoir l’embrasser, lui qui a tant souffert à cause de moi!
– Va donc, mais fais attention de ne pas te perdre. Prends la route qui traverse le bois. En passant par-là, je suis sûre que tu le trouveras.
Pinocchio partit et, dés qu’il fut dans la forêt, il se mit à courir comme un chevreuil. Pourtant, arrivé près du Grand Chêne, il s’arrêta: il lui avait semblé entendre marcher dans le sous-bois. Il ne s’était pas trompé. Or savez-vous qui apparut sur le chemin? Le Renard et le Chat, ses deux compagnons de voyage avec lesquels il avait dîné à l’auberge de l’Écrevisse Rouge!
– Mais c’est notre cher Pinocchio! – s’exclama le Renard en le prenant dans ses bras et en l’embrassant. Que fais-tu donc ici?
– Que fais-tu donc ici? – répéta le Chat.
– C’est une longue histoire – leur répondit la marionnette – que je vous raconterai quand j’aurai le temps. Sachez pourtant que l’autre nuit, quand vous m’avez laissé tout seul à l’auberge, je suis tombé sur des brigands.
– Des brigands? Pauvre ami! Et que voulaient-ils, ces brigands?
– Me voler mes pièces d’or.
– Les infâmes! – glapit le Renard.
– Les infâmes! – répéta le Chat.
– Je me suis sauvé mais ils m’ont suivi et, après m’avoir rattrapé, ils m’ont pendu à une branche de ce chêne.
Pinocchio montra le Grand Chêne.
– C’est vraiment terrible! – gémit le Renard. Dans quel monde sommes-nous donc condamnés à vivre! Et quel refuge pouvons-nous trouver, nous, les honnêtes gens?
Alors qu’ils devisaient ainsi, Pinocchio remarqua que le Chat boitait de sa jambe antérieure droite, car il n’avait plus ni ongles ni coussinets. Il lui demanda:
– Qu’est-il arrivé à ta patte?
Le Chat voulut répondre mais il ne savait que dire. Alors, le Renard intervint:
– Mon ami est trop modeste, c’est pourquoi il ne répond pas. Je parlerai pour lui. Apprends donc que nous avons croisé sur le chemin, il y a une heure, un vieux loup à demi-mort de faim qui nous demanda l’aumône. Comme nous n’avions même pas une arête de poisson à lui donner, qu’a fait notre ami qui a vraiment un cœur d’or? Il s’est sectionné une patte de devant et l’a jetée à cette pauvre bête afin qu’elle cesse de jeûner.
Le Renard essuya une larme.
Pinocchio, troublé lui aussi, s’approcha du Chat et lui dit à l’oreille:
– Si tous les chats étaient comme toi, les souris auraient de la chance!
– Et à présent, qu’est-ce qui t’amène par ici? – questionna le Renard.
– J’attends mon papa qui doit arriver d’un moment à l’autre.
– Et tes sequins?
– Je les ai toujours. Ils sont dans ma poche, sauf un qui m’a servi à payer l’aubergiste.
– Quand on pense qu’au lieu de quatre pièces, tu pourrais en avoir mille ou même deux mille dés demain! Pourquoi ne suis-tu pas mon conseil? Pourquoi ne vas-tu pas les semer dans le Champ des Miracles?
– Aujourd’hui, c’est impossible. J’irai un autre jour.
– Un autre jour? Ce sera trop tard.
– Pourquoi?
– Parce que le champ a été acheté par un grand seigneur et que, à partir de demain, il sera interdit à tout le monde d’y semer de l’argent.
– On est loin du Champ des Miracles? – s’enquit alors Pinocchio.