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– Je ne vous dis pas non; mais pour le moment, vous le voyez, j'en ai tout ce que j'en puis porter.

– Je vais toujours vous les montrer.

– Inutile, je n'ai plus d'argent.

– Qu'à cela ne tienne, je vous ferai crédit; vous m'avez l'air d'un parfait honnête homme.

– Merci, mais on m'attend. – C'est étrange comme il me semble que je vous connais! fit le bourgeois.

– Moi? dit le marchand essayant inutilement de réprimer un frisson.

– Regardez donc cette salade, dit le bourgeois amenant avec son long pied l'objet annoncé, car il ne voulait point quitter la fenêtre de peur que le marchand ne se dérobât.

Et il déposa la salade dans la main du marchand.

– Vous me connaissez, dit celui-ci, c'est-à-dire que vous croyez me connaître?

– C'est-à-dire que je vous connais. N'êtes-vous point…

Le bourgeois sembla chercher; le marchand resta immobile et attendant.

– N'êtes-vous pas Nicolas?

La figure du marchand se décomposa, on voyait le casque trembler dans sa main.

– Nicolas? répéta-t-il.

– Nicolas Truchou, marchand quincaillier, rue de la Cossonnerie.

– Non, non, répliqua le marchand qui sourit et respira en homme quatre fois heureux.

– N'importe, vous avez une bonne figure; il s'agit donc de m'acheter l'armure complète, cuirasse, brassards et épée.

– Faites attention que c'est commerce défendu, monsieur.

– Je le sais, votre vendeur vous l'a crié assez haut tout à l'heure.

– Vous avez entendu?

– Parfaitement; vous avez même été large en affaire: c'est ce qui m'a donné l'idée de me mettre en relations avec vous; mais, soyez tranquille, je n'abuserai pas, moi; je sais ce que c'est que le commerce: j'ai été négociant aussi.

– Ah! et que vendiez-vous?

– Ce que je vendais?

– Oui.

– De la faveur.

– Bon commerce, monsieur.

– Aussi j'y ai fait fortune, et vous me voyez bourgeois.

– Je vous en fais mon compliment.

– Il en résulte que j'aime mes aises, et que je vends toute ma ferraille parce qu'elle me gêne.

– Je comprends cela.

– Il y a encore là les cuissards; ah! et puis les gants.

– Mais je n'ai pas besoin de tout cela.

– Ni moi non plus.

– Je prendrai seulement la cuirasse.

– Vous n'achetez donc que des cuirasses?

– Oui.

– C'est drôle, car enfin vous achetez pour revendre au poids; vous l'avez dit du moins, et du fer est du fer.

– C'est vrai, mais, voyez-vous, de préférence…

– Comme il vous plaira: achetez la cuirasse, ou plutôt, vous avez raison, allez, n'achetez rien du tout.

– Que voulez-vous dire?

– Je veux dire que, dans des temps comme ceux où nous vivons, chacun a besoin de ses armes.

– Quoi! en pleine paix?

– Mon cher ami, si nous étions en pleine paix, il ne se ferait pas un tel commerce de cuirasses, ventre de biche! Ce n'est point à moi qu'on dit de ces choses-là.

– Monsieur?

– Et si clandestin surtout.

Le marchand fit un mouvement pour s'éloigner.

– Mais, en vérité, plus je vous regarde, dit le bourgeois, plus je suis sûr que je vous connais; non, vous n'êtes pas Nicolas Truchou, mais je vous connais tout de même.

– Silence.

– Et si vous achetez des cuirasses.

– Eh bien?

– Eh bien, je suis sûr que c'est pour accomplir une œuvre agréable à Dieu.

– Taisez-vous!

– Vous m'enchantez, dit le bourgeois en tendant par le balcon un immense bras dont la main alla s'emmancher à la main du marchand.

– Mais qui diable êtes-vous? demanda celui-ci qui sentit sa main prise comme dans un étau.

– Je suis Robert Briquet, surnommé la terreur du schisme, ami de l'Union, et catholique enragé; maintenant je vous reconnais positivement.

Le marchand devint blême.

– Vous êtes Nicolas… Grimbelot, corroyeur à la Vache sans os.

– Non, vous vous trompez. Adieu, maître Robert Briquet; enchanté d'avoir fait votre connaissance.

Et le marchand tourna le dos au balcon.

– Comment, vous vous en allez?

– Vous le voyez bien.

– Sans me prendre ma ferraille?

– Je n'ai pas d'argent sur moi, je vous l'ai dit.

– Mon valet vous suivra.

– Impossible.

– Alors, comment faire?

– Dame! restons comme nous sommes.

– Ventre de biche! je m'en garderais bien, j'ai trop grande envie de cultiver votre connaissance.

– Et moi de fuir la vôtre, répliqua le marchand qui, cette fois, se résignant à abandonner ses cuirasses et à tout perdre plutôt que d'être reconnu, prit ses jambes à son cou et s'enfuit.

Mais Robert Briquet n'était pas homme à se laisser battre ainsi; il enfourcha son balcon, descendit dans la rue sans avoir presque besoin de sauter, et en cinq ou six enjambées il atteignit le marchand.

– Êtes-vous fou, mon ami? dit-il en posant sa large main sur l'épaule du pauvre diable; si j'étais votre ennemi, si je voulais vous faire arrêter, je n'aurais qu'à crier: le guet passe à cette heure dans la rue des Augustins; mais non, vous êtes mon ami, ou le diable m'emporte! et la preuve, c'est que maintenant je me rappelle positivement votre nom.

Cette fois le marchand se mit à rire.

Robert Briquet se plaça en face de lui.

– Vous vous nommez Nicolas Poulain, dit-il, vous êtes lieutenant de la prévôté de Paris; je me souvenais bien qu'il y avait du Nicolas là-dessous.

– Je suis perdu! balbutia le marchand.

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