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La foule se taisait.

Salcède n'était point un assassin vulgaire: Salcède était d'abord de bonne naissance, puisque Catherine de Médicis, qui se connaissait d'autant mieux en généalogie qu'elle paraissait en faire fi, avait découvert une goutte de sang royal dans ses veines; en outre, Salcède avait été un capitaine de renom. Cette main, liée par une corde honteuse, avait vaillamment porté l'épée; cette tête livide sur laquelle se peignaient les terreurs de la mort, terreurs que le patient eût renfermées sans doute au plus profond de son âme, si l'espoir n'y avait tenu trop de place, cette tête livide avait abrité de grands desseins.

Il résultait de ce que nous venons de dire que, pour beaucoup de spectateurs, Salcède était un héros; pour beaucoup d'autres une victime; quelques-uns le regardaient bien comme un assassin, mais la foule a grand peine d'admettre dans ses mépris, au rang des criminels ordinaires, ceux-là qui ont tenté ces grands assassinats qu'en registré le livre de l'histoire en même temps que celui de la justice.

Aussi racontait-on dans la foule que Salcède était né d'une race de guerriers, que son père avait combattu rudement M. le cardinal de Lorraine, ce qui lui avait valu une mort glorieuse au milieu du massacre de la Saint-Barthélemy, mais que plus tard le fils, oublieux de cette mort, ou plutôt sacrifiant sa haine à une certaine ambition pour laquelle les populations ont toujours quelque sympathie, que ce fils, disons-nous, avait pactisé avec l'Espagne et avec les Guises pour anéantir, dans les Flandres, la souveraineté naissante du duc d'Anjou, si fort haï des Français.

On citait ses relations avec Baza et Balouin, auteurs présumés du complot qui avait failli coûter la vie au duc François, frère de Henri III; on citait l'adresse qu'avait déployée Salcède dans toute cette procédure pour échapper à la roue, au gibet et au bûcher sur lesquels fumait encore le sang de ses complices; seul il avait, par des révélations fausses et pleines d'artifice, disaient les Lorrains, alléchés ses juges, à tel point que, pour en savoir plus, le duc d'Anjou, l'épargnant momentanément, l'avait fait conduire en France, au lieu de le faire décapiter à Anvers ou à Bruxelles; il est vrai qu'il avait fini par en arriver au même résultat; mais dans le voyage qui était le but de ses révélations, Salcède espérait être enlevé par ses partisans; malheureusement pour lui il avait compté sans M. de Bellièvre, lequel, chargé de ce dépôt précieux, avait fait si bonne garde que ni Espagnols, ni Lorrains, ni ligueurs n'en avaient approché d'une lieue.

À la prison, Salcède avait espéré; Salcède avait espéré à la torture; sur la charrette, il avait espéré encore; sur l'échafaud, il espérait toujours. Ce n'est point qu'il manquât de courage ou de résignation; mais il était de ces créatures vivaces qui se défendent jusqu'à leur dernier souffle avec cette ténacité et cette vigueur que la force humaine n'atteint pas toujours chez les esprits d'une valeur secondaire.

Le roi ne perdait pas plus que le peuple cette pensée incessante de Salcède.

Catherine, de son côté, étudiait avec anxiété jusqu'au moindre mouvement du malheureux jeune homme; mais elle était trop éloignée pour suivre la direction de ses regards et remarquer leur jeu continuel.

À l'arrivée du patient, il s'était élevé comme par enchantement, dans la foule, des étages d'hommes, de femmes et d'enfants; chaque fois qu'il apparaissait une tête nouvelle au-dessus de ce niveau mouvant, mais déjà toisé par l'œil vigilant de Salcède, il l'analysait tout entière dans un examen d'une seconde qui suffisait comme un examen d'une heure à cette organisation surexcitée, en qui le temps, devenu si précieux, décuplait ou plutôt centuplait toutes les facultés.

Puis ce coup d'œil, cet éclair lancé sur le visage inconnu et nouveau, Salcède redevenait morne et tournait autre part son attention.

Cependant le bourreau avait commencé à s'emparer de lui, et il l'attachait par le milieu du corps au centre de l'échafaud.

Déjà même, sur un signe de maître Tanchon, lieutenant de robe courte et commandant l'exécution, deux archers, perçant la foule, étaient allés chercher les chevaux.

Dans une autre circonstance ou dans une autre intention, les archers n'eussent pu faire un pas au milieu de cette masse compacte; mais la foule savait ce qu'allaient faire les archers, et elle se serrait et elle faisait passage, comme, sur un théâtre encombré, on fait toujours place aux acteurs chargés de rôles importants.

En ce moment, il se fit quelque bruit à la porte de la loge royale, et l'huissier, soulevant la tapisserie, prévint LL. MM. que le président Brisson et quatre conseillers, dont l'un était le rapporteur du procès, désiraient avoir l'honneur de converser un instant avec le roi au sujet de l'exécution.

– C'est à merveille, dit le roi.

Puis se retournant vers Catherine:

– Eh bien! ma mère, continua-t-il, vous allez être satisfaite?

Catherine fit un léger signe de tête en témoignage d'approbation.

– Faites entrer ces messieurs, reprit le roi.

– Sire, une grâce, demanda Joyeuse.

– Parle, Joyeuse, fit le roi, et pourvu que ce ne soit pas celle du condamné…

– Rassurez-vous, sire.

– J'écoute.

– Sire, il y a une chose qui blesse particulièrement la vue de mon frère et surtout la mienne, ce sont les robes rouges et les robes noires; que Votre Majesté soit donc assez bonne pour nous permettre de nous retirer.

– Comment! vous vous intéressez si peu à mes affaires, monsieur de Joyeuse, que vous demandez à vous retirer dans un pareil moment! s'écria Henri.

– N'en croyez rien, sire, tout ce qui touche Votre Majesté est d'un profond intérêt pour moi; mais je suis d'une misérable organisation, et la femme la plus faible est, sur ce point, plus forte que moi. Je ne puis voir une exécution que je n'en sois malade huit jours. Or, comme il n'y a plus guère que moi qui rie à la cour depuis que mon frère, je ne sais pas pourquoi, ne rit plus, jugez ce que va devenir ce pauvre Louvre, déjà si triste, si je m'avise, moi, de le rendre plus triste encore. Ainsi, par grâce, sire…

– Tu veux me quitter, Anne? dit Henri avec un accent d'indéfinissable tristesse.

– Peste, sire! vous êtes exigeant: une exécution en Grève, c'est la vengeance et le spectacle à la fois, et quel spectacle! celui dont, tout au contraire de moi; vous êtes le plus curieux; la vengeance et le spectacle ne vous suffisent pas, et il faut encore que vous jouissiez en même temps de la faiblesse de vos amis.

– Reste, Joyeuse, reste; tu verras que c'est intéressant.

– Je n'en doute pas; je crains même, comme je l'ai dit à Votre Majesté, que l'intérêt ne soit porté à un point où je ne puisse plus le soutenir; ainsi vous permettez, n'est-ce pas, sire?

– Allons, dit Henri III en soupirant, fais donc à ta fantaisie; ma destinée est de vivre seul.

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