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– Mais qui êtes-vous, pour me parler avec ce ton de commandement? demanda Coconnas.

– Avez-vous, par hasard, entendu parler du sire de Maurevel?

– Le meurtrier de l’amiral?

– Et du capitaine de Mouy.

– Oui, sans doute.

– Eh bien, le sire de Maurevel, c’est moi.

– Oh! oh! fit Coconnas.

– Écoutez-moi donc.

– Mordi! Je crois bien que je vous écoute.

– Chut! fit le sire de Maurevel en portant son doigt à sa bouche. Coconnas demeura l’oreille tendue.

On entendit en ce moment l’hôte refermer la porte d’une chambre, puis la porte du corridor, y mettre les verrous, et revenir précipitamment du côté des deux interlocuteurs.

Il offrit alors un siège à Coconnas, un siège à Maurevel, et en prenant un troisième pour lui:

– Tout est bien clos, dit-il, monsieur de Maurevel, vous pouvez parler.

Onze heures sonnaient en Saint-Germain-l’Auxerrois. Maurevel compta l’un après l’autre chaque battement de marteau qui retentissait vibrant et lugubre dans la nuit, et quand le dernier se fut éteint dans l’espace:

– Monsieur, dit-il en se retournant vers Coconnas tout hérissé à l’aspect des précautions que prenaient les deux hommes, monsieur, êtes-vous bon catholique?

– Mais je le crois, répondit Coconnas.

– Monsieur, continua Maurevel, êtes-vous dévoué au roi?

– De cœur et d’âme. Je crois même que vous m’offensez, monsieur, en m’adressant une pareille question.

– Nous n’aurons pas de querelle là-dessus; seulement, vous allez nous suivre.

– Où cela?

– Peu vous importe. Laissez-vous conduire. Il y va de votre fortune et peut-être de votre vie.

– Je vous préviens, monsieur, qu’à minuit j’ai affaire au Louvre.

– C’est justement là que nous allons.

– M. de Guise m’y attend.

– Nous aussi.

– Mais j’ai un mot de passe particulier, continua Coconnas un peu mortifié de partager l’honneur de son audience avec le sire de Maurevel et maître La Hurière.

– Nous aussi.

– Mais j’ai un signe de reconnaissance. Maurevel sourit, tira de dessous son pourpoint une poignée de croix en étoffe blanche, en donna une à La Hurière, une à Coconnas, et en prit une pour lui. La Hurière attacha la sienne à son casque, Maurevel en fit autant de la sienne à son chapeau.

– Oh çà! dit Coconnas stupéfait, le rendez-vous, le mot d’ordre, le signe de ralliement, c’est donc pour tout le monde?

– Oui, monsieur; c’est-à-dire pour tous les bons catholiques.

– Il y a fête au Louvre alors, banquet royal, n’est-ce pas? s’écria Coconnas, et l’on en veut exclure ces chiens de huguenots?… Bon! bien! à merveille! Il y a assez longtemps qu’ils y paradent.

– Oui, il y a fête au Louvre, dit Maurevel, il y a banquet royal, et les huguenots y seront conviés… Il y a plus, ils seront les héros de la fête, ils paieront le banquet, et, si vous voulez bien être des nôtres, nous allons commencer par aller inviter leur principal champion, leur Gédéon, comme ils disent.

– M. l’amiral? s’écria Coconnas.

– Oui, le vieux Gaspard, que j’ai manqué comme un imbécile, quoique j’aie tiré sur lui avec l’arquebuse même du roi.

– Et voilà pourquoi, mon gentilhomme, je fourbissais ma salade, j’affilais mon épée et je repassais mes couteaux, dit d’une voix stridente maître La Hurière travesti en guerre.

À ces mots, Coconnas frissonna et devint fort pâle, car il commençait à comprendre.

– Quoi, vraiment! s’écria-t-il, cette fête, ce banquet… c’est… on va…

– Vous avez été bien long à deviner, monsieur, dit Maurevel, et l’on voit bien que vous n’êtes pas fatigué comme nous des insolences de ces hérétiques.

– Et vous prenez sur vous, dit-il, d’aller chez l’amiral, et de…? Maurevel sourit, et attirant Coconnas contre la fenêtre:

– Regardez, dit-il; voyez-vous, sur la petite place, au bout de la rue, derrière l’église, cette troupe qui se range silencieusement dans l’ombre?

– Oui.

– Les hommes qui composent cette troupe ont, comme maître La Hurière, vous et moi, une croix au chapeau.

– Eh bien?

– Eh bien, ces hommes, c’est une compagnie de Suisses des petits cantons, commandés par Toquenot; vous savez que messieurs des petits cantons sont les compères du roi.

– Oh! oh! fit Coconnas.

– Maintenant, voyez cette troupe de cavaliers qui passe sur le quai; reconnaissez-vous son chef?

– Comment voulez-vous que je le reconnaisse? dit Coconnas tout frémissant, je suis à Paris de ce soir seulement.

– Eh bien, c’est celui avec qui vous avez rendez-vous à minuit au Louvre. Voyez, il va vous y attendre.

– Le duc de Guise?

– Lui-même. Ceux qui l’escortent sont Marcel, ex-prévôt des marchands, et J. Choron, prévôt actuel. Les deux derniers vont mettre sur pied leurs compagnies de bourgeois; et tenez, voici le capitaine du quartier qui entre dans la rue: regardez bien ce qu’il va faire.

– Il heurte à chaque porte. Mais qu’y a-t-il donc sur les portes auxquelles il heurte?

– Une croix blanche, jeune homme; une croix pareille à celle que nous avons à nos chapeaux. Autrefois on laissait à Dieu le soin de distinguer les siens; aujourd’hui nous sommes plus civilisés, et nous lui épargnons cette besogne.

– Mais chaque maison à laquelle il frappe s’ouvre, et de chaque maison sortent des bourgeois armés.

– Il frappera à la nôtre comme aux autres, et nous sortirons à notre tour.

– Mais, dit Coconnas, tout ce monde sur pied pour aller tuer un vieil huguenot! Mordi! c’est honteux! c’est une affaire d’égorgeurs et non de soldats!

– Jeune homme, dit Maurevel, si les vieux vous répugnent, vous pourrez en choisir de jeunes. Il y en aura pour tous les goûts. Si vous méprisez les poignards, vous pourrez vous servir de l’épée; car les huguenots ne sont pas gens à se laisser égorger sans se défendre, et, vous le savez, les huguenots, jeunes ou vieux, ont la vie dure.

– Mais on les tuera donc tous, alors? s’écria Coconnas.

– Tous.

– Par ordre du roi?

– Par ordre du roi et de M. de Guise.

– Et quand cela?

– Quand vous entendrez la cloche de Saint-Germain-l’Auxerrois.

– Ah! c’est donc pour cela que cet aimable Allemand, qui est à M. de Guise… comment l’appelez-vous donc?

– M. de Besme?

– Justement. C’est donc pour cela que M. de Besme me disait d’accourir au premier coup de tocsin?

– Vous avez donc vu M. de Besme?

– Je l’ai vu et je lui ai parlé.

– Où cela?

– Au Louvre. C’est lui qui m’a fait entrer, qui m’a donné le mot d’ordre, qui m’a…

– Regardez.

– Mordi! c’est lui-même.

– Voulez-vous lui parler?

– Sur mon âme! je n’en serais pas fâché.

Maurevel ouvrit doucement la fenêtre. Besme, en effet, passait avec une vingtaine d’hommes.

– Guise et Lorraine! dit Maurevel.

Besme se retourna, et, comprenant que c’était à lui qu’on avait affaire, il s’approcha.

– Ah! ah! c’être fous, monsir de Maurefel.

– Oui, c’est moi; que cherchez-vous?

– J’y cherche l’auperge de la Belle-Étoile, pour brévenir un certain monsir Gogonnas.

– Me voici, monsieur de Besme! dit le jeune homme.

– Ah! pon, ah! pien… Vous êtes brêt?

– Oui. Que faut-il faire?

– Ce que vous tira monsir de Maurefel. C’être un bon gatholique.

– Vous l’entendez? dit Maurevel.

– Oui, répondit Coconnas. Mais vous, monsieur de Besme, où allez-vous?

– Moi?… dit de Besme en riant…

– Oui, vous?

– Moi, je fas tire un betit mot à l’amiral.

– Dites-lui-en deux, s’il le faut, dit Maurevel, et que cette fois, s’il se relève du premier, il ne se relève pas du second.

– Soyez dranguille, monsir de Maurefel, soyez dranguille, et tressez-moi pien ce cheune homme-là.

– Oui, oui, n’ayez pas de crainte, les Coconnas sont de fins limiers, et bons chiens chassent de race.

– Atieu!

– Allez.

– Et fous?

– Commencez toujours la chasse, nous arriverons pour la curée. De Besme s’éloigna et Maurevel ferma la fenêtre.

20
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