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– Vous l’entendez, jeune homme? dit Maurevel; si vous avez quelque ennemi particulier, quand il ne serait pas tout à fait huguenot, mettez-le sur la liste, et il passera avec les autres.

Coconnas, plus étourdi que jamais de tout ce qu’il voyait et de tout ce qu’il entendait, regardait tour à tour l’hôte, qui prenait des poses formidables, et Maurevel, qui tirait tranquillement un papier de sa poche.

– Quant à moi, voilà ma liste, dit-il; trois cents. Que chaque bon catholique fasse, cette nuit, la dixième partie de la besogne que je ferai, et il n’y aura plus demain un seul hérétique dans le royaume!

– Chut! dit La Hurière.

– Quoi? répétèrent ensemble Coconnas et Maurevel.

On entendit vibrer le premier coup de beffroi à Saint-Germain-l’Auxerrois.

– Le signal! s’écria Maurevel. L’heure est donc avancée? Ce n’était que pour minuit, m’avait-on dit… Tant mieux! Quand il s’agit de la gloire de Dieu et du roi, mieux vaut les horloges qui avancent que celles qui retardent.

En effet, on entendit tinter lugubrement la cloche de l’église. Bientôt un premier coup de feu retentit, et presque aussitôt la lueur de plusieurs flambeaux illumina comme un éclair la rue de l’Arbre-Sec.

Coconnas passa sur son front sa main humide de sueur.

– C’est commencé, s’écria Maurevel, en route!

– Un moment, un moment! dit l’hôte; avant de nous mettre en campagne, assurons-nous du logis, comme on dit à la guerre. Je ne veux pas qu’on égorge ma femme et mes enfants pendant que je serai dehors: il y a un huguenot ici.

– M. de La Mole? s’écria Coconnas avec un soubresaut.

– Oui! le parpaillot s’est jeté dans la gueule du loup.

– Comment! dit Coconnas, vous vous attaqueriez à votre hôte?

– C’est à son intention surtout que j’ai repassé ma rapière.

– Oh! oh! fit le Piémontais en fronçant le sourcil.

– Je n’ai jamais tué personne que mes lapins, mes canards et mes poulets, répliqua le digne aubergiste; je ne sais donc trop comment m’y prendre pour tuer un homme. Eh bien, je vais m’exercer sur celui-là. Si je fais quelque gaucherie, au moins personne ne sera là pour se moquer de moi.

– Mordi, c’est dur! objecta Coconnas. M. de La Mole est mon compagnon, M. de La Mole a soupé avec moi, M. de La Mole a joué avec moi.

– Oui, mais M. de La Mole est un hérétique, dit Maurevel.

M. de La Mole est condamné; et si nous ne le tuons pas, d’autres le tueront.

– Sans compter, dit l’hôte, qu’il vous a gagné cinquante écus.

– C’est vrai, dit Coconnas, mais loyalement, j’en suis sûr.

– Loyalement ou non, il vous faudra toujours le payer; tandis que, si je le tue, vous êtes quitte.

– Allons, allons! dépêchons, messieurs, s’écria Maurevel; une arquebusade, un coup de rapière, un coup de marteau, un coup de chenet, un coup de ce que vous voudrez; mais finissons-en, si vous voulez arriver à temps, comme nous avons promis, pour aider M. de Guise chez l’amiral.

Coconnas soupira.

– J’y cours! s’écria La Hurière, attendez-moi.

– Mordi! s’écria Coconnas, il va faire souffrir ce pauvre garçon, et le voler peut-être. Je veux être là pour l’achever, s’il est besoin, et empêcher qu’on ne touche à son argent.

Et mû par cette heureuse idée, Coconnas monta l’escalier derrière maître La Hurière, qu’il eut bientôt rejoint; car, à mesure qu’il montait, par un effet de la réflexion sans doute, La Hurière ralentissait le pas.

Au moment où il arrivait à la porte, toujours suivi de Coconnas, plusieurs coups de feu retentirent dans la rue.

Aussitôt on entendit La Mole sauter de son lit et le plancher crier sous ses pas.

– Diable! murmura La Hurière un peu troublé, il est réveillé, je crois!

– Ça m’en a l’air, dit Coconnas.

– Et il va se défendre?

– Il en est capable. Dites donc, maître La Hurière, s’il allait vous tuer, ça serait drôle.

– Hum! hum! fit l’hôte. Mais, se sentant armé d’une bonne arquebuse, il se rassura et enfonça la porte d’un vigoureux coup de pied. On vit alors La Mole, sans chapeau, mais tout vêtu, retranché derrière son lit, son épée entre ses dents et ses pistolets à la main.

– Oh! oh! dit Coconnas en ouvrant les narines en véritable bête fauve qui flaire le sang, voilà qui devient intéressant, maître La Hurière. Allons, allons! en avant!

– Ah! l’on veut m’assassiner, à ce qu’il paraît! cria La Mole dont les yeux flamboyaient, et c’est toi, misérable?

Maître La Hurière ne répondit à cette apostrophe qu’en abaissant son arquebuse et qu’en mettant le jeune homme en joue. Mais La Mole avait vu la démonstration, et, au moment où le coup partit, il se jeta à genoux, et la balle passa pardessus sa tête.

– À moi! cria La Mole, à moi, monsieur de Coconnas!

– À moi! monsieur de Maurevel, à moi! cria La Hurière.

– Ma foi, monsieur de la Mole! dit Coconnas, tout ce que je puis dans cette affaire est de ne point me mettre contre vous. Il paraît qu’on tue cette nuit les huguenots au nom du roi. Tirez-vous de là comme vous pourrez.

– Ah! traîtres! ah! assassins! c’est comme cela! eh bien, attendez.

Et La Mole, visant à son tour, lâcha la détente d’un de ses pistolets. La Hurière, qui ne le perdait pas de vue, eut le temps de se jeter de côté; mais Coconnas, qui ne s’attendait pas à cette riposte, resta à la place où il était et la balle lui effleura l’épaule.

– Mordi! cria-t-il en grinçant des dents, j’en tiens; à nous deux donc! puisque tu le veux. Et, tirant sa rapière, il s’élança vers La Mole.

Sans doute, s’il eût été seul, La Mole l’eût attendu; mais Coconnas avait derrière lui maître La Hurière qui rechargeait son arquebuse, sans compter Maurevel qui, pour se rendre à l’invitation de l’aubergiste, montait les escaliers quatre à quatre. La Mole se jeta donc dans un cabinet, et verrouilla la porte derrière lui.

– Ah! schelme! s’écria Coconnas furieux, heurtant la porte du pommeau de sa rapière, attends, attends. Je veux te trouer le corps d’autant de coups d’épée que tu m’as gagné d’écus ce soir! Ah! je viens pour t’empêcher de souffrir! ah! je viens pour qu’on ne te vole pas, et tu me récompenses en m’envoyant une balle dans l’épaule! attends! birbonne! attends!

Sur ces entrefaites, maître La Hurière s’approcha et d’un coup de crosse de son arquebuse fit voler la porte en éclats.

Coconnas s’élança dans le cabinet, mais il alla donner du nez contre la muraille: le cabinet était vide et la fenêtre ouverte.

– Il se sera précipité, dit l’hôte; et comme nous sommes au quatrième, il est mort.

– Ou il se sera sauvé par le toit de la maison voisine, dit Coconnas en enjambant la barre de la fenêtre et en s’apprêtant à le suivre sur ce terrain glissant et escarpé.

Mais Maurevel et La Hurière se précipitèrent sur lui, et le ramenant dans la chambre:

– Êtes-vous fou? s’écrièrent-ils tous deux à la fois. Vous allez vous tuer.

– Bah, dit Coconnas, je suis montagnard, moi, et habitué à courir dans les glaciers. D’ailleurs, quand un homme m’a insulté une fois, je monterais avec lui jusqu’au ciel, ou je descendrais avec lui jusqu’en enfer, quelque chemin qu’il prît pour y arriver. Laissez-moi faire.

– Allons donc! dit Maurevel, ou il est mort, ou il est loin maintenant. Venez avec nous; et si celui-là vous échappe, vous en trouverez mille autres à sa place.

– Vous avez raison, hurla Coconnas. Mort aux huguenots! J’ai besoin de me venger, et le plus tôt sera le mieux.

Et tous trois descendirent l’escalier comme une avalanche.

– Chez l’amiral! cria Maurevel.

– Chez l’amiral! répéta La Hurière.

– Chez l’amiral, donc! puisque vous le voulez, dit à son tour Coconnas.

Et tous trois s’élancèrent de l’hôtel de la Belle-Étoile, laissé en garde à Grégoire et aux autres garçons, se dirigeant vers l’hôtel de l’amiral, situé rue de Béthisy; une flamme brillante et le bruit des arquebusades les guidaient de ce côté.

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